Organisations
Fusion des IRP ou « élu à tout faire » ?
Le Président de la République estime qu’il y a trop de structures de représentation du personnel dans les entreprises. Cela nuit au dialogue social et il y a lieu de limiter les IRP afin de faciliter le rôle des élus. Les conséquences sont-elles si bien appréhendées ?
La solution est toute trouvée : on regroupe et on fusionne CE + CHSCT + DP, en donnant à la nouvelle instance le pouvoir de négocier. C’est clair et précis. Ainsi affichée, cette logique bienveillante envers tous les élus d’entreprise de France devient imparable.
La fusion des IRP est donc la martingale avancée par de jeunes théoriciens politiques. La solution fait tout de même fi de la réalité du terrain, de l’histoire de la pratique sociale, voire du terroir social des entreprises.
Quel élu BNP pourra à la fois réclamer un jour de RTT au chef d’agence d’un collègue de Pau, négocier à Paris un PSE de plusieurs dizaines de licenciements devant le PDG, tout en préparant l’arbre de Noël à Nice et à Brest ? C’est impossible. Peu de connaisseurs avertis du système social d’entreprise croit avec sincérité en l’efficacité du nouveau dispositif, tant le domaine sera large en volumétrie de missions et en territoire géographique ou sectoriel à couvrir. Le réseau d’élus d’entreprise, composé de la diversité actuelle de représentants du personnel, sera démantelé au profit d’une communauté d’élus généralistes.
Prenons ce raisonnement et appliquons-le à un hôpital. Toutes les spécialités sont regroupés en un seul corps de médecins. Plus de cardiologues, neurologues ou radiologues, que des médecins soignant toutes les maladies au gré des rendez-vous. Le tout fusionné dans un même hôpital central. La santé publique sera-t-elle garantie ?
La fusion des IRP en instance unique affectera la qualité du dialogue social d’entreprise, pourtant si nécessaire en France.
Fabrice Angei (CGT) indique : « S'il y a moins d'élus et moins d'heures de délégation, certains sujets vont être délaissés ». Et d’ajouter : « Il est à craindre que le volet économique va prendre le pas sur l'organisation du travail, l'hygiène et la sécurité ».
Gilles Lecuelle (CFE-CGC) n’est pas rassuré : « Centraliser toutes les questions sur une même personne, c'est augmenter sa charge de travail » signale-t-il, avant de conclure : « Cela aura un effet contraire, celui de fragiliser le maintien de l’activité professionnelle à côté de sa fonction d'élu ».
Les élus du comité social et économique (nouveau nom de l’instance unique) pourraient demain négocier les accords d’entreprise, d’après nos gouvernants. Pourquoi pas après tout ? Les élus ont la légitimité électorale et connaissent le terrain. Donc « exeunt les délégués syndicaux », pourrait proposer le nouveau pouvoir.
Cette position simpliste méconnaît la philosophie historique depuis 1945. Dans toute négociation, pour un bon équilibre, l’une des parties ne doit pas dépendre de l’autre. Il convient que la délégation syndicale soit absolument au même niveau que la patronale. La présence du syndicat garantit l’équilibre. Les partenaires sociaux (syndicats de salariés et patronaux) restent les gardiens du temple social. C’est la pierre angulaire de la légitimité de tout accord. Ce dispositif est si fort que personne n’imagine en France contester le moindre accord. Est-ce garanti pour demain ?
Tout salarié a un lien de subordination à l’entreprise. Si l’élu négociateur n’est plus en lien avec le syndicat, il restera tout de même toujours subordonné à l’employeur, l’autre partie négociatrice. Cela fausse alors réellement les échanges et crée un déséquilibre qui affectera fortement l’issue de la négociation.
Par son mandat, obtenu du syndicat, le négociateur syndical est hors de cette relation de subordination. L'appartenance syndicale garantit donc l'indépendance du négociateur. On peut affirmer que cela donne une vraie légitimité à tout accord. L’entreprise pourra s’en prévaloir à juste titre pour l’appliquer. Un accord signé qu’avec X, même si X est élu, n’aura plus la même force. Il restera en chacun une part d’illégitimité, voire de suspicion sur l’accord X.
Bien sûr, les entreprises en recherche de performances en pâtiront. Par exemple, revoir une organisation de travail à partir de l’accord X, signé hors des structures syndicales et hors de la branche, ne peut qu’amener discorde, démobilisation et perturbation des performances. Si l’évolution est défavorable, chacun sera tenté de dire avec un brin de cynisme : « merci X ».
Aussi, le maintien du pouvoir de négociation du DS ou du mandaté syndical est l’un des enjeux de la prochaine loi. La CFDT affirme sur ce sujet un impératif : « pas de négociation possible sans organisation syndicale » et de réclamer « un renforcement des moyens des représentants du personnel, en nombre de mandats et d'heures de délégation et recours aux expertises ».
La future loi doit absolument garantir cette équité de posture à une table de négociation sociale, où autonomie et indépendance doivent être de mise en permanence. C’est un enjeu de performances sociales mais surtout économiques.
La solution est toute trouvée : on regroupe et on fusionne CE + CHSCT + DP, en donnant à la nouvelle instance le pouvoir de négocier. C’est clair et précis. Ainsi affichée, cette logique bienveillante envers tous les élus d’entreprise de France devient imparable.
La fusion des IRP est donc la martingale avancée par de jeunes théoriciens politiques. La solution fait tout de même fi de la réalité du terrain, de l’histoire de la pratique sociale, voire du terroir social des entreprises.
Un élu d’entreprise « quatre en un »
Chaque instance a un rôle précis, un territoire et des missions bien différentes. En voici une synthèse :- le DP réclame pour ses collègues d’atelier, de métier ou de bureau ;
- le CE débat les orientations économiques et gère l’enveloppe sociale et culturelle ;
- le CHSCT protège contre les risques professionnels ;
- le DS (délégué syndical) négocie l’avenir social de l’ensemble du personnel par les accords.
Quel élu BNP pourra à la fois réclamer un jour de RTT au chef d’agence d’un collègue de Pau, négocier à Paris un PSE de plusieurs dizaines de licenciements devant le PDG, tout en préparant l’arbre de Noël à Nice et à Brest ? C’est impossible. Peu de connaisseurs avertis du système social d’entreprise croit avec sincérité en l’efficacité du nouveau dispositif, tant le domaine sera large en volumétrie de missions et en territoire géographique ou sectoriel à couvrir. Le réseau d’élus d’entreprise, composé de la diversité actuelle de représentants du personnel, sera démantelé au profit d’une communauté d’élus généralistes.
Prenons ce raisonnement et appliquons-le à un hôpital. Toutes les spécialités sont regroupés en un seul corps de médecins. Plus de cardiologues, neurologues ou radiologues, que des médecins soignant toutes les maladies au gré des rendez-vous. Le tout fusionné dans un même hôpital central. La santé publique sera-t-elle garantie ?
La fusion des IRP en instance unique affectera la qualité du dialogue social d’entreprise, pourtant si nécessaire en France.
Fabrice Angei (CGT) indique : « S'il y a moins d'élus et moins d'heures de délégation, certains sujets vont être délaissés ». Et d’ajouter : « Il est à craindre que le volet économique va prendre le pas sur l'organisation du travail, l'hygiène et la sécurité ».
Gilles Lecuelle (CFE-CGC) n’est pas rassuré : « Centraliser toutes les questions sur une même personne, c'est augmenter sa charge de travail » signale-t-il, avant de conclure : « Cela aura un effet contraire, celui de fragiliser le maintien de l’activité professionnelle à côté de sa fonction d'élu ».
Mais pourquoi écarter le délégué syndical ?
Aujourd’hui, le pouvoir de négociation reste alloué au délégué syndical. D’ailleurs, dans toutes les entreprises et toutes les branches, les accords signés gardent une force légitime à toute épreuve.Les élus du comité social et économique (nouveau nom de l’instance unique) pourraient demain négocier les accords d’entreprise, d’après nos gouvernants. Pourquoi pas après tout ? Les élus ont la légitimité électorale et connaissent le terrain. Donc « exeunt les délégués syndicaux », pourrait proposer le nouveau pouvoir.
Cette position simpliste méconnaît la philosophie historique depuis 1945. Dans toute négociation, pour un bon équilibre, l’une des parties ne doit pas dépendre de l’autre. Il convient que la délégation syndicale soit absolument au même niveau que la patronale. La présence du syndicat garantit l’équilibre. Les partenaires sociaux (syndicats de salariés et patronaux) restent les gardiens du temple social. C’est la pierre angulaire de la légitimité de tout accord. Ce dispositif est si fort que personne n’imagine en France contester le moindre accord. Est-ce garanti pour demain ?
Tout salarié a un lien de subordination à l’entreprise. Si l’élu négociateur n’est plus en lien avec le syndicat, il restera tout de même toujours subordonné à l’employeur, l’autre partie négociatrice. Cela fausse alors réellement les échanges et crée un déséquilibre qui affectera fortement l’issue de la négociation.
Par son mandat, obtenu du syndicat, le négociateur syndical est hors de cette relation de subordination. L'appartenance syndicale garantit donc l'indépendance du négociateur. On peut affirmer que cela donne une vraie légitimité à tout accord. L’entreprise pourra s’en prévaloir à juste titre pour l’appliquer. Un accord signé qu’avec X, même si X est élu, n’aura plus la même force. Il restera en chacun une part d’illégitimité, voire de suspicion sur l’accord X.
Bien sûr, les entreprises en recherche de performances en pâtiront. Par exemple, revoir une organisation de travail à partir de l’accord X, signé hors des structures syndicales et hors de la branche, ne peut qu’amener discorde, démobilisation et perturbation des performances. Si l’évolution est défavorable, chacun sera tenté de dire avec un brin de cynisme : « merci X ».
Aussi, le maintien du pouvoir de négociation du DS ou du mandaté syndical est l’un des enjeux de la prochaine loi. La CFDT affirme sur ce sujet un impératif : « pas de négociation possible sans organisation syndicale » et de réclamer « un renforcement des moyens des représentants du personnel, en nombre de mandats et d'heures de délégation et recours aux expertises ».
La future loi doit absolument garantir cette équité de posture à une table de négociation sociale, où autonomie et indépendance doivent être de mise en permanence. C’est un enjeu de performances sociales mais surtout économiques.
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