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17 / 01 / 2022 | 248 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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APC

À quoi ressemblent des APC gagnants-gagnants ?

Les règles sont claires. L’employeur augmente la rémunération globale de la majorité des salariés tout en réduisant simultanément les cotisations sociales et en obtenant des gains de productivité sur l’organisation du travail. Découvrez les témoignages des RRH et des élus non syndiqués de Signall et de Fligitter, deux PME de la plasturgie qui ont négocié des APC gagnants-gagnants avec leur CSE, sur des durées de plus de dix ans, avec l’accompagnement de Plastalliance, l’organisation patronale dont elles sont adhérentes. Retour sur l’échange en ligne du 9 décembre dans lequel la CFE-CGC chimie a fait entendre son point de vue à la fois méfiant et curieux sur des APC qui mènent ces PME dont les syndicats sont absents à déroger au cadre conventionnel de la branche au maximum.
 

Les APC se développent à contre-courant parmi les entreprises adhérentes de Plastalliance, seconde organisation patronale représentative de la plasturgie, qui les accompagne depuis maintenant près de cinq ans pour intégrer cette disposition de la loi sur le travail de 2017 dans des accords qui façonnent leur propre convention d’entreprise.  Près de 30 % des entreprises adhérentes à cette organisation se sont dotées d’APC ayant une approche très large de la durée déterminée puisqu’ils sont en moyenne signés pour des périodes de dix ans au moins, pour poser un nouveau socle social plus compétitif pour les  directions et mieux rémunérés pour les salariés. En effet, ces APC très atypiques sont négociés pour consolider des reprises économiques, contrairement à la grande majorité des APC qui se traduisent par des baisses de salaire et des augmentations du temps de travail pour passer des périodes économiques difficiles. On retrouve souvent ces APC défensifs dans des grandes entreprises dans lesquelles les directions parviennent à trouver des syndicats signataires non sans créer de fortes tensions avec les non-signataires. « Il n’y a eu aucune négociation de notre part pendant les deux premiers confinements car il n’était pas opportun d’en rajouter une couche notamment par rapport aux interrogations des salariés », souligne Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance.
 

Hausse moyenne du pouvoir d’achat : 4 %
 

Chez Fligitter, PME d’Alsace-Moselle spécialisée dans les fenêtres en PVC, l’accord est appliqué depuis le 1er novembre et aucun des 90 salariés ne s’est pour le moment opposé à un accord qui assure un gain mensuel moyen de 150 € nets pour les non-cadres. Une prime de panier exonérée de cotisations sociales d’un montant de 6,70 € par jour travaillé a notamment été introduite de même que la prime de transport. A cela s’ajoute une augmentation moyenne du salaire direct chargé de 2 %. Au final, l’augmentation moyenne est de 4 %. « La direction a voulu marquer le coup pour réduire les écarts de salaire avec l’Allemagne et la Suisse dont nous sommes limitrophes. Nous ne voulons pas voir nos salariés quitter l’entreprise et l’APC nous donne l’occasion de sécuriser cette augmentation de la rémunération globale en introduisant de nouveaux leviers désocialisés et en en modifiant certains qui préexistaient, comme la prime d’ancienneté », explique Sophia Grandidier, responsable des ressources humaines de l’entreprise. Alors que la prime d'ancienneté  était prise en compte pendant les 15 premières années, elle ne complétera désormais plus le salaire des nouvelles recrues que sur les cinq premières années. Les salariés déjà en poste n’y perdront toutefois rien puisque le décalage par rapport au seuil des quinze ans sera intégré dans le salaire. De quoi compenser la baisse du taux de rémunération des heures supplémentaires qui passe de 25 à 10 %. Toujours pour sécuriser la masse salariale, les indemnités de licenciement prévues par la convention collective de la plasturgie sont passées à la trappe pour revenir au code du travail. « Nous sommes multi-conventionnels. En construisant notre convention d’entreprise, nous facilitons la gestion des RH en réduisant sensiblement les risques d’erreur », ajoute Sophia Grandidier dont la direction a tenu à se montrer totalement transparente sur les gains pour l’entreprise et les conséquences sur les salariés à l’occasion des entretiens annuels. L’occasion aussi de clairement expliquer l’incidence des primes désocialisées sur les retraites par exemple dans une entreprise au sein de laquelle le climat social est qualifié de serein.
 

Transparence sur les gains respectifs
 

L’exercice de transparence a aussi été de mise chez Signall, une PME de 80 salariés implantée à Vierzon, en région Centre-Val-de-Loire, qui fabrique des enseignes et des produits de signalétique. Il était d’autant plus indispensable que la société revient de loin, après une restructuration menée par une nouvelle direction, avec des licenciements économiques à la clef. Ce n’était alors pas le moment de négocier un APC « défensif ». Désormais de nouveau bénéficiaire, la PME a engagé la négociation d’un APC avec son CSE sur sensiblement les mêmes bases que chez Fligitter en termes de gain de pouvoir d’achat pour la majorité des salariés, avec des indemnités qui ne sont pas perçues quand on ne travaille pas.  Contrairement à chez Fligitter, où un accord d’annualisation préexistait, l’organisation du temps de travail a été modifiée. Ainsi, les salariés en production ne verront plus les temps de pause rémunérés comme temps de travail, soit 20 mn de travail en plus par jour et il n’y aura plus besoin d’avenants pour aménager certaines plages de travail. Dans cinq ans, cet accord signé pour 10 ans tournera à plein régime et permettra à la direction d’économiser 90 000 euros par an. « Cet accord doit nous permettre de consolider l’avenir mais il n’était pas question de tout accepter. Nous avons d’abord pris le temps de bien comprendre les tenants de ce que la direction nous présentait entre les élus du CSE avant de réunir les salariés pour partager notre approche de la négociation et recueillir leurs retours. Devoir prendre sa pause repas en 30 minutes contre 45 minutes auparavant n’a pas réjoui tout le monde mais les enjeux ont été compris. Pour cela, il fallait avoir confiance dans la direction », raconte Jean-Claude Sordet, élu du CSE de Signall. Cela n’est ainsi pas passé sur les sept jours de carence mis sur la table pour les cadres et pour les non-cadres afin de limiter l’absentéisme de courte durée. Au final, c’est trois jours de carence pour tout le monde, à partir du deuxième arrêt consécutif (chez Fligitter, on ne retrouve pas ces jours de carence car le régime d’assurance-maladie dérogatoire d’Alsace-Moselle interdit cette pratique). Les jours d’absence rémunérés pour enfants malades passent aussi à la trappe, sauf en cas d’hospitalisation. Cette mesure se trouve par ailleurs élargie aux conjoints. Le CSE a utilisé son contrat d’assistance juridique annuelle pour l’aider à trouver des réponses mais, quand le cabinet a présenté un devis à 12 000 euros pour une étude complète, ça a coincé. « En mutualisant les heures de délégation avec les suppléants, nous avons fait en sorte que tous les élus s’impliquent dans une négociation qui aura duré six mois », précise Jean-Claude Sordet, animateur d’équipe en production, pour qui la méritocratie n’est pas un gros mot. Cela tombe bien car la direction n’est pas convaincue par le principe de l’augmentation générale des salaires. Celle-ci a en revanche accepté de valoriser les médailles du travail qui peuvent représenter jusqu’à un mois de salaire et une augmentation du budget ASC du CSE.


Nouveau souffle pour le dialogue social
 

Pour Vanessa Beguin, responsable ressources humaines de Signall, « cet APC nous apporte le socle nécessaire pour désormais négocier des accords sur le développement des compétences pour maintenir l’employabilité et l’intéressement au résultat. Il n’est pas question de s’arrêter à l’APC ». Cette négociation aura été l’occasion de révéler une forme de « lutte des classes à l’envers » avec des cadres qui ont considéré que les non-cadres profitaient le plus des gains en termes de pouvoir d’achat car les primes désocialisées et celles de panier, d’habillage et de nettoyage concernent exclusivement les salariés en production. « Découvrir les réactions de certains cadres touchant une part variable alors que notre APC permet justement de réduire les écarts avec les non-cadres a été une surprise. Par ailleurs, il n’y a pas de raison pour que les cadres ne soient pas concernés par les jours de carence », note Vanessa Beguin. De fait, l’approche de Plastalliance consistant partiellement à « enlever du brut pour rajouter du net » a davantage ses limites avec les salariés non postés en production où le panel des primes désocialisées est moins large. « Il faut prendre garde à ne pas opposer les salariés entre eux, notamment les cadres et les non-cadres. Accorder des augmentations générales contribue à forger un socle collectif », considère Malik Gueye, président de la fédération CFE-CGC de la chimie qui couvre la plasturgie.
 

Pas de référendum, priorité au consensus avec les élus
 

Dans ces deux PME, les directions se sont donné les moyens de parvenir à un consensus avec la majorité des élus des CSE (collège cadre compris) avant de soumettre les APC à signature. « Si les conditions d’un consensus entre les élus ne sont pas réunies, nous ne conseillons pas aux directions d’emprunter la voie du référendum car c’est justement une source de division du collectif de travail », explique Joseph Tayefeh dont l’organisation professionnelle a fait de l’APC un levier d’accompagnement de ses adhérents, intégré dans le prix de l’adhésion. Le modèle de base est adapté aux spécificités et objectifs de chaque entreprise avec finalement autant de conventions d’entreprise différentes que d’APC. « Nous intégrons les leviers de l’APC dans des accords qui sont bien plus larges. C’est l’illustration des possibilités que le cadre légal ouvre pour façonner des accords qui répondent pleinement aux besoins des TPE et des PME », considère le secrétaire général de l’organisation professionnelle. Là-dessus, il y a au moins un point de convergence avec le président CFE-CGC de la chimie. « Je reconnais que les branches professionnelles en général ne répondent pas pleinement aux besoins des TPE et des PME mais ce n’est pas une raison pour faire table rase du socle conventionnel, comme on le voit avec ces APC. Je suis donc méfiant sur la teneur de ces accords. Pouvoir en prendre connaissance (*), permettrait de mieux les comprendre, d’autant que nous ne sommes pas présents dans la plupart des PME au sein desquels ils se négocient », explique Malik Gueye qui en profite pour rappeler qu’un nombre important des militants de son organisation syndicale étaient sans étiquette au début de leur mandat, lui le premier. Jusqu’en mars 2020, il y avait un délégué syndical CGT chez Signall mais celui-ci a fait l’objet d’un licenciement économique et personne n’a pris la suite…

 

(*) En théorie, les APC qui intègrent des informations potentiellement confidentielles ne doivent pas se retrouver dans la base de données publique des accords d’entreprise de Légifrance. Certains accords ont été toutefois publiés ce qui a entraîné pour des entreprises, peu rassurées, le fait de pas déposer ces accords et de les rendre applicables à la signature et non à l’issue de la réalisation des formalités de dépôt.