Focus
ACCÈS PUBLIC
19 / 03 / 2024 | 440 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
Articles : 4197
Inscrit(e) le 16 / 11 / 2007

Tandem Expertise

Des moyens à la baisse pour les CSE des PME de moins de 250 salariés : comment porter l'enjeu syndical ?

L'enjeu porté par une réforme des seuils sociaux et plus globalement sur la simplification du dialogue social est de taille. Retour sur les échanges du direct organisé le 14 mars par Miroir Social en partenariat avec Tandem Expertise entre les responsables syndicaux confédéraux, fédéraux et des élus syndiqués dans des PME, avec l'horizon d'un projet de loi avant la fin du printemps.
 

Force est de constater l'émiettement, souvent l'absence, des réactions syndicales face au projet parlementaire, sous tendu par l'exécutif économique et financier, avec la CPME en guise d'incubateur, visant à faire passer le seuil du CSE de "plein exercice" de 50 à 250 salariés. Une simplification par le vide du dialogue social. De quoi confirmer aux porteurs du projet, qui n'est pas qu'un chiffon rouge, que les conditions sont réunies pour poursuivre.


Les ordonnances Macron, tout autant que la réforme des retraites, sont passées malgré les appels à mobilisation des syndicats. Bref, Il y a de la résignation dans l'air du côté des appareils pour monter ensemble au créneau, à fortiori sur un sujet où les salariés des PME (indépendantes ou liées à des groupes) ne se sentent pas concernés. Il s'agit de choisir ses combats entre la réforme de l'assurance chômage et la négociation interprofessionnelle du pacte de la vie au travail.
 

L'enjeu porté par une réforme des seuils et plus globalement sur la simplification du dialogue social est pourtant de taille. Retour sur les échanges du direct organisé le 14 mars par Miroir Social en partenariat avec Tandem Expertise entre les responsables syndicaux confédéraux, fédéraux et des élus syndiqués dans des PME, avec l'horizon d'un projet de loi avant la fin du printemps.

 

Dégradation des conditions de travail

"Alors même que les conditions de travail se dégradent, sur fond d'absentéisme et d'accidents du travail, enlever des droits aux élus ne peut contribuer qu'à amplifier le phénomène. C’est un contre sens. Les élus doivent plus que jamais expliquer aux salariés ce qu'ils font et pourquoi ils le font, sur la base des remontées du terrain. C'est la condition pour peser dans le rapport de force", souligne Julien Sportes, le Président de Tandem Expertise, à l'initiative d'une pétition et de plusieurs tribunes dans Le Monde, Miroir Social, Actuel CSE.
 

Une rupture d’égalité

La clé de la mobilisation est de faire comprendre aux salariés des PME qu'ils en subiront les impacts sur leur droit à se faire entendre et à avoir accès à une information la plus complète possible et qui ne soit pas que descendante.


"C'est l'illustration d'une démarche globale d'individualisation et de dégradation des conditions d'exercice des droits collectifs. Il y a la volonté de développer la retraite par répartition, de déroger encore plus aux accords de branche. C'est une attaque contre notre modèle social. Cela va de paire avec une diminution des capacités de contrôle des entreprises, tant sur le plan fiscal que social. Le message est clair, laissez nous mener les affaires", considère Hélène Fauvel, secrétaire confédérale FO qui voit dans cette tentation d'une simplification par les seuils une "rupture d'égalité "entre les salariés des PME et des grandes entreprises.
 

C'est le moment d'affirmer la place des représentants élus par les salariés. "Il faut être vigilant à ce que le dialogue professionnel, c'est-à-dire les conditions d'expression directe des salariés, n'efface pas les prérogatives des élus. Il peut y avoir cette tentation patronale. Les deux doivent se conjuguer", note Pierre Jardon, conseiller confédéral CFTC.


Pour faire comprendre aux salariés que le CSE ne se limite pas à gérer les ASC, les élus doivent aller au contact des salariés. "C'est en effet l'occasion de faire du dialogue social un objet de discussion avec les salariés mais cela sous-entend que les temps de délégation soient intégrés dans l'organisation du travail, pour ne pas pénaliser les équipes. C'est la responsabilité de l'employeur, pas celle des syndicats. Dans les faits, beaucoup d'élus n'utilisent pas les heures dont ils ont le droit pour ne pas devenir des charges. Ce temps doit être effectif. Cela commence par là", pose Vivien Orleach, secrétaire national Fédération CFDT Métallurgie, en guise de préalable.

Résister à la pression avec le soutien des salariés

Résister à la pression des employeurs n'est pas simple pour les élus. A fortiori dans les PME où l'élu permanent n'existe pas.


Cela a été le cas chez Optorg, un groupe d'import-export en Afrique où travaillent 1500 salariés et dont le siège social français emploie seulement 70 salariés répartis dans trois sociétés formant une UES. En 2010, les élus, alors non syndiqués, lancent une expertise sur les comptes quand la direction arrête de verser l'intéressement alors que les résultats sont très bons. Le CSE engage alors un combat en justice pour obtenir la participation. Cela va durer 10 ans, avec un jugement favorable en cassation.
 

"Le recours à cette première expertise a été perçu comme une déclaration de guerre par la direction or notre objectif visait à comprendre pour expliquer aux salariés. Nous nous sommes assurés de leur soutien en organisant un référendum. C'était indispensable", se souvient Ingrid Zilo, élue sans étiquette à l'époque et déléguée syndicale CFDT depuis 2014.
 

Depuis, le CSE d'Optorg recourt régulièrement à son droit d'expertise. "La direction voit désormais ce qu'elle peut retirer des expertises. Cela aide à formaliser le dialogue social. Au niveau par exemple des indicateurs de suivi qui sont extraits des rapports des experts", souligne Nicolas Dupeux, lui aussi syndiqué à la CFDT depuis 2014.
 

Pas facile de recourir au droit à l'expertise comme on vient de prendre son premier mandat, à l'instar de Carmen Firan, élue CFDT chez Numa. 1er mandat endossé en 2018 alors que l'entreprise compte 70 salariés. Les ruptures conventionnelles se multiplient, les salariés ne tiennent pas à voir s'engager une revendication collective pour obtenir un PSE. Certains s'y retrouvent, d'autres non. L'effectif chute à 30 sans qu'aucune expertise ne soit conduite. "Aujourd'hui, dans la même configuration, il y aurait recours à expertise avec le soutien des salariés pour connaître la réalité des comptes. J’ai depuis eu le temps de me former, de m’affirmer", témoigne Carmen Firan qui commence son deuxième mandat avec une nouvelle direction qui se montre plus ouverte au collectif. Celle-ci a ainsi accepté que des salariés non élus prennent sur les heures mutualisées de délégation pour s'impliquer dans la charte télétravail, le questionnaire RPS,..."Il y a un travail essentiel à faire pour convaincre l'ensemble des salariés de l'intérêt du CSE. Je suis la seule élue à être syndiquée", note Carmen Firan.
 

Comme dans beaucoup de PME, il n'y avait pas de BDSE au moment où Numa était au-dessus des 50 salariés. "C'est un droit à l'information", considère Vivien Orleach qui a attaqué pour délit d'entrave alors qu'il était élu, non syndiqué lui aussi à l'époque, dans la filiale française de 50 salariés d'un groupe américain. Les contentieux restent rares pour obtenir la BDSE réglementaire au sens strict, c'est bien davantage la question des conditions d'accès aux informations essentielles qui se pose.
 

S'assurer du soutien des salariés et de leur apport, de même que celui des experts est essentiel mais cela passe aussi par des alliances. "Nous avons fait une liste commune avec 5 syndicats aux dernières élections. Cela ne plaît pas forcément aux fédérations au regard du calcul de la représentativité mais c'est surtout pour nous l'occasion d'être légitime car les salariés des PME votent pour des personnes, pas pour des étiquettes",  lance François Reyrolle, délégué syndical CFE-CGC chez Merck Serono, une entité commerciale du groupe Merck qui emploie 120 salarié, illustrant ainsi l'émiettement du rapport de force syndicale. 

Avantage compétitif

Si une frange patronale voit le dialogue social par le bout de la simplification, une partie considère que le rôle de régulation des élus du CSE est essentiel tout autant que la capacité à négocier avec des acteurs représentatifs, tandis que d'autres peuvent même y voir un avantage compétitif, en terme d'attractivité des emplois notamment. Il serait bon qu'il se fassent aussi entendre.
 

Faute de mobilisation syndicale contre un seuil relevé, c'est la voie royale au développement du conseil d'entreprise comme le fait justement remarquer Mario, un intervenant du chat. Un conseil d'entreprise introduit par les ordonnances Macron qui accorde aux élus non syndiqués tous les droits des syndiqués. Une possibilité, encore largement en sommeil, en cohérence avec la revendication de la fin du monopole syndical au 1er tour des élections portée par la CPME, mais que le rapport parlementaire sur la simplification n'a pas osé intégrer.
 

Gare à ne pas se tromper de combat. La défense du budget désocialisé des ASC, au nom du pouvoir d'achat, n'est pas le principal. C'est justement ce que le projet de loi devrait faire en sorte de conserver. Que ce budget, optionnel, reste à la main des élus ou à celle des employeurs, en direct.