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18 / 11 / 2021 | 972 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Comment négocier des mobilités domicile-travail durables, sans laisser personne sur le bord de la route

L’organisation de la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail a longtemps été essentiellement du pouvoir de l’employeur via le plan de mobilité. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, c’est désormais un sujet de négociation collective obligatoire, notamment en vue de réduire le coût de cette mobilité et d’inciter à l'usage des « modes de transport vertueux ». Le 22 octobre 2021, Covence Avocats et BL Évolution ont parrainé une rencontre en ligne sur cette négociation qui peut constituer un levier d’action utile à une transition écologique juste et adaptée, visant en particulier à la réduction des inégalités sociales et environnementales.

 

 

30 % du trafic routier est lié aux trajets domicile-travail qui portent un très fort enjeu financier avec des coûts pour les salariés souvent inversement proportionnels au niveau de salaire. Ces coûts représentent entre 4 500 et 5 500 € par an entre le carburant, l’entretien, l’assurance, le stationnement et autres amendes. « Ces dépenses importantes coupent jusqu’à 25 % du pouvoir d’achat des salariés les moins rémunérés. Ce coût est d’autant plus important que les trois quarts des déplacements domicile-travail se font en solo », souligne Luc Lavielle, consultant énergie, climat & mobilités chez BL évolution.


Quel cadre social et fiscal des mesures en faveur des mobilités durables ?
 

Pour autant, les mesures incitatives et les aides de l’Etat apparaissent limitées au regard des enjeux en présence. Il est notamment surprenant de voir que les montants du bonus écologique et de la prime à la conversion ne font que diminuer d’année en année alors que les collectivités limitent de plus en plus la circulation des véhicules les plus polluants sur leur territoire… 


Toutefois, des incitations sociales et fiscales existent pour inciter à l’utilisation de mobilités dites douces ou plus responsables, comme le co-voiturage, le vélo, les véhicules partagés, avec un « forfait mobilités durables » exonéré dans la limite de 500 € par an par salarié, avec une possibilité de cumul plafonné à 600 € avec la prise en charge des abonnements aux transports collectifs.


La loi d’orientation des mobilités de décembre 2019 a introduit la possibilité de négocier des mesures alors que jusqu’à maintenant, les directions traitaient essentiellement le sujet par décision unilatérale, à travers des plans de mobilité entreprise. « C’est désormais un véritable objet de négociation notamment dans le cadre de la QVT. Il faut savoir l’amener en ne se limitant pas aux incitations financières. L’approche doit être globale, en intégrant par exemple le volet télétravail. C’est comme cela qu’un maximum de salariés pourra bénéficier des mobilités durables », recommande Amélie Klahr, avocate associée du cabinet Covence Avocats qui conjugue droit du travail et droit environnemental.


Le panorama très modulaire des incitations sociales et fiscales balaye large. Outre le forfait mobilité durable, une entreprise mettant une flotte de vélos à disposition bénéficie par exemple d’un avantage fiscal et l’URSSAF s’engage à ne pas y voir un avantage redressable. Le cabinet Covence Avocats a produit une boîte à outils à la demande de l’ADEME, destinée à poser le cadre juridique de cette négociation. 

 

Covence Avocats


Histoire de simplifier les choses, l’État a par ailleurs décidé que le cadre serait différent entre les salariés du privé et celui des agents des fonctions publiques, où le forfait est ainsi plafonné à 200 €... 
 

Quel cadre pour négocier ?
 

« Les employeurs que sont les collectivités territoriales n’ont pas attendu pour mettre des mesures incitatives en place, en allant notamment souvent au-delà de l’obligation légale de prise en charge des abonnements aux transports collectifs », explique Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH des grandes collectivités, qui ont la possibilité d'engager des négociations opposables juridiquement, sur quasiment tous les sujets, comme dans le secteur privé depuis la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019.


Chez Allianz, la CFDT a tenu à ce que le forfait mobilité durable ne soit pas négocié comme une variable d’ajustement salariale dans le cadre de la NAO. Donc, la négociation s’est déroulée dans le cadre d’une négociation dédiée aux mobilités domicile-travail. « Sur l’ensemble de nos sites, nous avons demandé à avoir un audit des conditions de sécurisation et de protection des espaces pour les vélos et de prévoir des aménagements appropriés comme des douches dans les cahiers des charges de toutes les futures implantations », explique Joëlle Blanc, déléguée syndicale nationale adjointe CFDT chez Allianz. Chez Orange, il n’était pas plus question de s’engager dans la négociation à tiroir d’un accord RSE. « Nous tenions à avoir un accord spécifique qui ne se borne pas à l’usage du vélo alors que les indemnités kilométriques vélo bénéficiaient déjà à environ 2 000 salariés. C’est pour cela que nous avons tenu à ce que les conditions de prise en charge soient exactement les mêmes entre les usagers du vélo et les salariés qui covoiturent, par exemple. Nous raisonnons sur la base d’un forfait commun qui ne prend pas en compte le nombre de kilomètres parcourus mais juste l’usage quotidien, sur la base de 3 € par jour », illustre Éric Carbonnier, délégué syndical CFDT chez Orange, où la direction partait au départ sur un forfait journalier à 1,5 €, insuffisamment incitatif pour les syndicats. La direction d’Orange n’a pas fait le choix de recourir à une solution de gestion du forfait mobilité durable (conditions d’éligibilité, justificatifs, financements etc.), comme il en existe sur le marché. C’est BetterWay qui a été en revanche choisi chez Allianz, là où les syndicats ont tenu à appliquer le principe du « plus vous pédalez, plus vous y gagnez » soit une stricte application de l’indemnité kilométrique vélo qui est une découverte pour les « vélos-taffeurs » historiques de l’assureur. 
 

Quel suivi des accords ?
 

Deux approches radicalement différentes de l’usage du forfait mobilité durable fixé à 400 € dans les deux entreprises. Mais dans les deux cas, les négociateurs ont tenu à ce que les accords assurent le service après-signature. Ainsi, chez Orange, l’accord prévoit que les salariés de tous les établissements puissent adresser leurs retours aux représentants de proximité. Ces retours seront traités au niveau national. C’est aussi dans cette idée-là que l’accord d’Allianz prévoit une clause de révision annuelle. Il y a aujourd’hui environ 300 bénéficiaires du forfait sur les 8 000 salariés de l’assureur en France. 80 % sont des cyclistes dont le nombre a été multiplié par 2. Pour Joëlle Blanc, « l’élargissement des bénéficiaires passe par la baisse des trajets solo en voiture pour se rendre à une gare située à quelques kilomètres. L’assouplissement des règles de cumul entre le forfait et les abonnements aux transports collectifs devrait faciliter cette transition ». À noter que 50 % des trajets de moins d’un kilomètre se font en voiture. « Cela montre les marges de progression qui existent et sur lesquelles la sensibilisation doit porter. Cartographier les déplacements des salariés en fonction des lieux de résidence est un bon moyen de faire remonter les contraintes et les occasions, tout en projetant la réduction de l’empreinte carbone. Il faut illustrer les conséquences des changements d’usage à un niveau collectif », rapporte Luc Lavielle. 



Aller au contact des salariés
 


Aller au contact des salariés s’impose aux élus pour bien appréhender les besoins et les contraintes. Cette mission commence d’ailleurs avant que les négociations ne débutent. Cela fait deux ans qu’Abdelkader Belbachir, élu au CSE de Visions systèmes, prépare le terrain. D’abord en organisant la participation de cette société industrielle de 300 salariés au défi mobilité organisé par la région Auvergne-Rhône-Alpes, sur une journée, en septembre depuis dix ans. L’objectif est de convaincre un maximum de salariés de ne pas venir en voiture solo au travail. Chez Visions systèmes, où la grande majorité des salariés vient en voiture et touche à ce titre une prime conventionnelle de 40 € par mois propre à la convention collective territoriale de la métallurgie, on en est à 30 % de salariés qui ont essayé autre chose que la voiture, le temps d’une journée. L’ensemble du comité de direction a joué le jeu et le sujet des mobilités domicile-travail est désormais mûr pour se négocier. « L’idée serait par exemple d’obtenir le remboursement à 100 % de l'abonnement aux transports collectifs », avance Abdelkader Belbachir, adhérent au « Printemps écologique », un nouveau syndicat. « Nous ne pouvons pas encore négocier car nous ne sommes pas représentatifs mais au sein de mon entreprise, les syndicats en place voient très bien l’intérêt de nous laisser agir. Ils ont ainsi accepté de me confier le pilotage de la commission environnement du CSE », poursuit le militant écologique de cette PME. « Un plan de mobilité travail fonctionnera si une personne est identifiée et reconnue par tous comme pilote », considère Luc Lavielle. C’est notamment elle qui pourra participer aux programmes qu’engagent les collectivités territoriales avec les entreprises pour mutualiser les approches en mode inter-entreprises au maximum. « Le sujet des "tiers lieux" (espace de coworking…) est particulièrement propice à ces rencontres inter-entreprises où l’on peut aussi aborder les aires de co-voiturage et l’évolution du maillage des transports », précise Mathilde Icard. Et Amélie Klahr de conclure en recommandant que les organisations syndicales représentatives aient accès au contenu du plan de mobilité élaboré par l’autorité organisatrice des mobilités compétente (le code des transports prévoit qu’il doit être communiqué aux employeurs…). « Il y aurait même un intérêt à ce que les représentants de la région, autorité organisatrice de la mobilité, puissent intervenir lors des négociations domicile-travail dans les entreprises » avance l'avocate qui regrette que la loi LOM n’ait pas prévu que les accords "mobilités durables" soient transmis, une fois conclu, à l’autorité organisatrice des mobilités alors que cette communication est prévue pour les plans de mobilité employeur décidés unilatéralement...