Organisations
Comment intégrer la création de valeur dans le salaire de base ?
La question de l'intégration de la création de valeur dans le salaire de base se pose avec d'autant plus d'acuité alors que la dernière ex "prime macron" contribue à réduire les enveloppes salariales. Pour le cabinet d'expertise PNL Conseil qui portait le 21 mars une rencontre en ligne organisée par Miroir Social, il existe un risque d'inversion de la hiérarchie des rémunérations.
"Est-ce qu’une inversion de la hiérarchie des rémunérations n’est pas déjà à l’œuvre avec une part grandissante des dispositifs variables, individualisés, désocialisés et défiscalisés au détriment de la part du salaire de base dans la rémunération ?", lance Julien Picard, co-fondateurs du cabinet d'expertise PNL Conseil qui portait le débat en ligne du 21 mars organisé par Miroir Social. De quoi bien planter le décor avec une infographie de cette inversion.
- La note de conjoncture de l'Insee du 15 mars dernier ne dit pas autre chose soulignant que 30 % des versements de la Prime sur le Partage de la Valeur (ex prime macron) exonérée de cotisations se sont substitués à des revalorisations salariales socialisées qui auraient été versées, même sans cette prime...La pleine illustration d'un effet d'aubaine. Dans le cas de la PPV, c'est donc la possibilité d'une augmentation salariale qui ne se matérialise pas...
"Dans la pratique, la frontière entre les différents éléments de rémunération n’est pas imperméable. Les analyses des comptes de charge qui peuvent être menées notamment à travers les postes de masse salariale montrent des phénomènes de vases communicants", explique Julien Picard.
"Nous avons refusé de mettre la PPV au menu de la négociation salariale car celle-ci est source de biais dans la rémunération, nous ne l’utiliserons qu’en deuxième intention", explique Annabelle Halbert, déléguée syndicale centrale CFE-CGC de Schneider Electric où les syndicats ont obtenu pour la première fois une augmentation générale de 2,3 % pour les cadres. Une inflexion collective significative dans une entreprise plutôt encline à piloter une partie conséquente de la masse salariale sur des objectifs de performance. Cette rémunération variable sur bonus varie entre 5 et 40 % de la rémunération individuelle. Le niveau de ce bonus repose à 50 % sur des objectifs de performance collectifs. "Les objectifs collectifs du bonus variable sont devenus inatteignables et il faut sur performer pour les atteindre sur le volet individuel. L'employeur a totalement la main sur ces éléments de redistribution. Facile pour lui de sortir du chapeau une prime pour faire passer la pilule d'un bonus à la baisse", souligne Annabelle Halbert. Concernant l'intéressement, plafonnée à 10 % de la masse salariale chez Schneider Electric, les objectifs qui intègrent notamment 11 indicateurs non financiers d'actions durables même à la cible, ne permettent pas d’atteindre le tiers de l’enveloppe à distribuer.
Sur le périmètre de l'UES (MMA, MAAF, GMF), la direction de Covea s’emploie à redistribuer en revanche le maximum possible autorisée par la loi en intéressement et participation soit 20 % de la masse salariale des 21 000 salariés. Depuis 2022, le montant de l'intéressement groupe a été réintégré dans le salaire à hauteur de 1000 € brut à l'issue d'une négociation. Début 2023, pour la première fois, une intersyndicale a appelé à la grève pour une augmentation générale des salaires. 4 % d'augmentation ont été obtenus mais jusqu'à seulement 40 000 €. "Le niveau de redistribution en intéressement et participation ne doit pas se traduire par une politique de modération salariale qui conduit à tasser des grilles de salaire. Notre priorité va au salaire et cela sous-entend de faire comprendre l'importance des cotisations sociales", note Olivier Bébin, secrétaire général adjoint de la fédération CGT Banques et Assurances et ex délégué syndical chez GMF.
Pour Daphné Lecointre, co-fondatrice de PNL Conseil, "il est important de rappeler la baisse de la part des salaires et des rémunérations dans la redistribution de la richesse. Le préalable à toute discussion sur le partage de la valeur passe donc par une compréhension fine de la création de richesse dans l’entreprise et la structuration de la masse salariale. La transparence et la précision du diagnostic sont nécessaires pour déterminer clairement les équilibres. Cela permet ensuite de négocier ou a minima de se positionner en connaissance de cause sur des éléments de plus en plus variables et individualisés." Un partage de la valeur qui ne doit pas se borner au salaire. Et Daphné Lecointre de conclure : "la répartition de la valeur doit englober l’ensemble des thèmes de l’investissement social : les emplois, les classifications et les formations sans oublier les conditions de travail".