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01 / 04 / 2011 | 1 vue
Dominique Andolfatto / Membre
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Élections à la SNCF : une nouvelle régulation sociale sur les rails ?

Le 24 mars 2011, les cheminots ont voté pour désigner leurs représentants du personnel : délégués du personnel et comités d’entreprises. Si la CGT conserve (et de loin) le leadership syndical de l’entreprise, elle perd des voix tandis que les « réformistes » progressent. Cela annonce-t-il des relations sociales moins conflictuelles au sein de l’entreprise ferroviaire ?

Simplification du paysage syndical… mais détérioration des relations sociales


Les résultats de 2011 confirment d’abord ceux de 2009 concernant la simplification du paysage syndical à la SNCF. En effet, depuis la loi du 20 août 2008 « portant rénovation du dialogue social », les élections professionnelles permettent également de déterminer la « représentativité » des organisations syndicales, c’est-à-dire leur capacité à agir dans l’entreprise et, en particulier, leur capacité à négocier avec l’employeur : sont reconnues comme « représentatives » les seules organisations qui obtiennent au moins 10 % des suffrages exprimés par les salariés.

En mars 2009 (lors des élections précédentes), la SNCF avait été l’une des premières grandes entreprises françaises à appliquer cette réforme. Cela avait produit des effets radicaux sur le paysage syndical interne : le nombre de syndicats représentatifs passait de huit à quatre. La CFTC, la CGC et FO, qui n’avaient pas recueilli 10 % des suffrages, disparaissait de la scène nationale. La FGAAC, syndicat spécifique de la SNCF, regroupant une partie des conducteurs de train, réussissait à se maintenir en tant que composante catégorielle de la CFDT. Conservaient donc leur représentativité la CGT, l’UNSA, SUD-rail et la CFDT (incluant la FGAAC).

  • Dans les faits, la situation était un peu plus complexe car (dans certaines régions ou établissement locaux) les organisations syndicales qui avaient perdu leur représentativité sur le plan national la conservaient (ainsi, la CFTC demeurait la première organisation syndicale en Alsace). Inversement, certaines organisations représentatives sur le plan national n’avaient pas recueilli suffisamment de voix pour être reconnues comme telles au niveau régional (tel était le cas de la CFDT non représentative dans 12 régions ou directions SNCF sur 27).


Cette situation avait abouti à un beau casse-tête pour la gestion des relations sociales et donné lieu à quelques contentieux. Elle a aussi eu pour effet de retarder la mise en œuvre de la nouvelle politique de relations sociales ambitionnée par le président de la SNCF, Guillaume Pépy.

  • À la tête de l’entreprise ferroviaire depuis 2008, celui-ci avait dit vouloir tourner la page de la « cogestion » avec la CGT pratiqué par son prédécesseur (Louis Gallois). Il entendait privilégier comme interlocuteurs les organisations dites « réformistes », sortir de relations sociales caractérisées par des « rapports de force » et par la « gréviculture ». Cependant, les élections de 2009 n’avaient pas accordé suffisamment de suffrages à ce « pôle réformiste » pour qu’il soit en mesure de signer des accords lors des négociations collectives. S’il disposait bien du pouvoir de négocier, il ne pouvait juridiquement rien signer puisque la loi de 2008, outre les 10 % pour être représentatifs, exige également un seuil de 30 % pour conclure des accords avec la direction. Or, les deux syndicats « réformistes » de l’entreprise (UNSA et CFDT, dont FGAAC) avaient recueilli ensemble 29,7 % des suffrages ! La stratégie sociale du président Pépy était mort-née.


Vont suivre deux ans d’escarmouches et de tensions, parfois très vives, entre la direction de l’entreprise, la CGT, qui ne cessera de rappeler son statut d’interlocuteur incontournable (n’est-elle pas la seule à disposer des 30 % pour signer des accords ?). Sans oublier SUD, toujours en embuscade et fidèle à une conception militante du syndicalisme. On pourrait presque parler d’une guerre de positions, ponctuées de quelques « offensives » : multiplication de grèves-éclair (59 minutes) de la part de SUD (pour faire échec au nouveau dispositif sur le « service minimum » dans les transports publics), long conflit d’avril 2010 qui ressemble avant tout à une épreuve de force entre la CGT et SUD pour le leadership de la contestation des restructurations engagées à la SNCF et à face des « réformistes » attentistes…

 

Reflux de la CGT, progrès de la CFDT et de l’UNSA

 

Avec deux ans de retard, la stratégie sociale envisagée pour 2009 pourrait devenir réalité, à la suite des élections du 24 mars dernier.


Tandis que la CGT recule, que SUD s’érode, la CFDT et, plus encore, l’UNSA progressent et dépassent désormais les 30 % d’audience (précisément 35 %). Cela donne à ces deux organisations, à condition qu’elles s’allient, la possibilité de signer des accords avec la direction. Cette situation nouvelle ouvrira-t-elle une nouvelle période dans les relations sociales à la SNCF ?

Dans un courrier adressé à Guillaule Pépy, le 10 février 2011, Didier Le Reste, secrétaire général de la fédération CGT des cheminots jusqu’en novembre 2010, affichait son scepticisme parce que, dans la période qui venait de s’écouler, le président de la SNCF n’avait pas « tenté de renouer les fils d’un dialogue social plus productif et des relations sociales plus apaisées », en faisant de la CGT un véritable partenaire. Il regrettait aussi une pratique de la négociation qui se réduisait en fait à de la « phraséologie » et avec « très peu de contenu ».

Ce que Guillaume Pépy n’a donc pas voulu faire avec la CGT (sans doute pour de bonnes raisons et au risque, parfois, de contradications avec celui qui l’a nommé) le fera-t-il avec le « pôle réformiste » devenu, depuis le 24 mars 2011, un interlocuteur possible ?

  • Le fait que le mandat des nouveaux élus soit de 3 ans (et plus de 2 ans) pourrait être, dans tous les cas, un moyen de le faciliter : direction et organisations syndicales disposent désormais d’un temps plus long pour tenter d’inventer un nouveau dialogue social et les concurrences entre organisations, que nourrit l’approche des élections professionnelles, ne reviendront pas de sitôt…

Tableau 1 : Résultats des élections aux comités d’entreprise de la SNCF

(résultats en % des suffrages exprimés - source : SNCF)

 

 

CGT

UNSA

SUD-rail

CFDT (dont FGAAC)


FO

CFTC

CGC

2009

39,3

18,1

17,7

11,6

8,0

5,4

-

2011

37,4

21,5

17,4

13,8

8,6

1,0

0,4


Pour être plus précis (cf le tableau 1, ci-dessus), entre les élections de 2009 et celles de 2011, la CGT recule de 2 points de pourcentage (par rapport aux suffrages exprimés), soit une perte de quelque 3 600 voix (la SNCF comptant 164 000 salariés inscrits lors des élections de 2011). L’audience de SUD s’érode également : - 0,3 point, soit une perte d’environ un millier de voix. En revanche, la CFDT gagne 2,2 points (plus de 2 000 voix) et l’UNSA progresse de 2,4 points (plus de 3 300 voix). On notera encore que les progrès enregistrés par la CFDT lui permettent d’étoffer sa « représentativité » au niveau régional, en gagnant 7 nouvelles régions. La CFDT, représentative au plan national, le devient donc dans 22 régions ou directions sur 27 (contre 15 sur 27 en 2009).

Trois autres organisations étaient en lice mais, ne franchissant pas la barre des 10 % des suffrages exprimés, elles n’ont pas obtenu la « représentativité ». FO, qui avait constitué une alliance improbable mais pragmatique avec une partie de la CFTC à l’occasion de ce scrutin, progresse tout de même de 0,6 point… Mais il lui manque encore 1,4 point pour atteindre la barre des 10 %.

  • FO obtient tout de même la représentativité dans 7 régions (contre 8 en 2009) : Limoges, Marseille, Montpellier, Parie-Est, Paris-Nord, Strasbourg (où l’appoint de la CFTC a été décisif) ainsi qu’au niveau de la direction « transverses ».

 

La CFTC atomisée

La CGC, qui avait fait liste commune avec FO en 2009, a présenté cette fois quelques listes autonomes mais n’a pas réussi à percer. Enfin, pour la CFTC qui, pour ce scrutin, a longtemps hésité entre une stratégie autonome ou l’alliance avec FO, avant de se diviser et de se quereller devant les tribunaux, tout en voyant une grande partie de ses permanents tenter de sauvegarder leurs intérêts personnels en migrant vers la CFDT et, parfois vers la CGT (comme en Lorraine) ou ailleurs –(comme dans le football, on a parlé ici de « mercato »), ces élections ont constitué une véritable Berezina.

  • Certes, la CFTC avait déjà perdu sa « représentativité » nationale lors des élections de 2009 mais elle était demeurée « représentative » dans cinq régions : Lyon, Metz-Nancy, Strasbourg et au niveau des directions « clientèles » et « transverses ». Elle a désormais tout perdu.

À Lyon, la plus grande partie de son électorat (et de ses équipes) ont rejoint la CFDT. À Metz-Nancy, où elle a conservé 9,2 % des suffrages (contre 14,7 % en 2009, son meilleur score régional en 2011), une partie de ses électeurs ont rejoint la CGT (qui stabilise ses forces et ne recule pas comme en moyenne nationale) et l’UNSA. À Strasbourg, FO est le principal bénéficiaire des reports de la CFTC (il s’agissait d’une liste commune FO-CFTC)… Et c’est d’ailleurs en raison de ces reports que FO devient représentative en Alsace. Mais une partie des reports sont intervenus aussi en faveur de la CGT (comme en Lorraine) et, plus encore, de SUD-rail qui, du coup, accède également à la représentativité en Alsace. Au niveau des directions, c’est l’UNSA qui est le principal bénéficiaire de l’échec de la CFTC.

On avait prophétisé que la loi de 2008 induirait une simplification du paysage syndical et serait « mortifère » pour certaines organisations. Tel est bien le cas. À la SNCF, la CFTC (malgré quelques bonnes implantations locales) disparaît ou presque. Ses équipes et son électorat se sont atomisés, mais les positions de FO sont également devenues précaires.

Le vote électronique sauve la participation

Le niveau de la participation électorale (en recul depuis les scrutins antérieurs) se stabilise en 2011. Il demeure également à un niveau élevé (73,9 % des électeurs inscrits), bien au-delà de celui qui caractérise les élections politiques aujourd’hui (hormis l’élection présidentielle).

Les élections de 2011 ont vu la généralisation de la possibilité du vote électronique. Celui-ci peut donc expliquer (au moins partiellement) la résistance de la participation. Reste qu’il n’a pas réussi à inverser la tendance et que plus d’un quart des cheminots ne votent pas. Pour la direction, il a également permis des économies (par rapport au vote « physique ») et désorganise moins les équipes le jour des élections.

Trente ans d’évolution électorale

Au cours de ces trente ans, on notera :

  • le déclin de la CGT qui a perdu près d’un tiers de son audience, suivant une évolution en dents de scie et, dans les années 2000, assez bien inversée par rapport aux fluctuations de l’audience de la CFDT ;
  • la CFDT, deuxième organisation de la SNCF jusqu’au début des années 2000, a depuis reculé au quatrième rang. Son audience est alors divisée par trois par rapport au début des années 1990. À cette chute a succédé une lente remontée depuis lors ;
  • SUD-rail émerge en 1996 puis progresse rapidement et parallèlement au double reflux de la CFDT et, plus encore, de la CGT. Devenue deuxième organisation syndicale de la SNCF au milieu des années 2000, elle recule à son troisième rang en 2009, doublée par l’UNSA, tout en consoidant ses positions ;
  • L’UNSA, qui cible la maîtrise et les cadres (représentant aujourd’hui plus de 45 % du personnel de la SNCF) et se veut avant tout pragamatique, connaît une progression continue, qui s’accélère même à compter de la fin des années 1990. Cela lui permet de prendre le large par rapport aux autres organisations mais plus de 15 points la séparent encore de la CGT ;
  • On note, enfin, la grande stabilité et le tête-à-tête de FO et de la CFTC jusqu’au scrutin de 2011, qui voit la première progresser et la seconde s’effondrer (on a vu que cela s’expliquait en partie parce qu’une partie des « chrétiens » s’étaient résolus à faire alliance avec les « laïcs »).

Nota bene : l’UNSA a pris la relève de la FMC en 1998 ; la CFDT et la FGAAC font liste commune depuis 2009 ; FO et la CGC ont fait listes communes en 2009 ; FO et la CFTC ont fait partiellement listes communes en 2011).
  • Mais les pourcentages par rapport aux suffrages exprimés sont relativement trompeurs car ils méconnaissent le niveau de participation électorale et ne reflètent donc pas les audiences (ou implantations) effectives des syndicats. Une organisation qui obtient 50 % des suffrages exprimés lorsque la participation mobilise 60 % des inscrits ne peut effectivement se prévaloir que d’une audience effective de 30 % dans l’entreprise concernée. Elle fidélise donc moins d’un tiers des salariés de celle-ci et pas la moitié.

Si, depuis 1981, la CGT conserve (et de loin) le leadership électoral, ce sont l’UNSA (FMC jusqu’en 1998) et SUD-rail (depuis 1996) qui ont le plus progressé (doublant, voire triplant leur audience).


Tableau 2 : Audiences syndicales effectives en 1981 et en 2011

(en % des inscrits (sauf indices) - source : direction de la SNCF)

 

 

CGT

FMC-UNSA

SUD-rail

CFDT-FGAAC


FO

CFTC

CGC

1981

43,9

6,9

-

23,7

5,8

4,0

0,4

2011

26,8

15,4

12,5

8,9

6,2

0,7

0,3

Indice (1)

61

223

296 (2)

42

106

18

75

(1) Indice : audience 2011 / audience 1981 x 100

(2) Indice calculé par rapport à l’audience 1996 (première participation électorale de SUD-rail)


En ce qui les concerne, au cours de ces trente années, la CGT a perdu 40 % de ses forces et la CFDT près de 60 %. Lors d’une note interne préparant son congrès de novembre 2010, la fédération CGT des cheminots s’inquiétait de cette évolution, qu’elle expliquait par les restructurations incessantes de la SNCF. Cela « laisse des sites entiers sans activité [syndicale CGT] » et fait que « des milliers de cheminots ne connaissent pas et ne voient pas la CGT ». À cette situation de fond, il conviendrait d’ajouter une certaine opacité dans les pratiques syndicales ou la gestion de comités d’entreprises, voire des retombées (finalement négatives) de la multiplication des journées d’actions en 2009 et 2010, mais il est difficile de mesurer les conséquences  précises de ces mouvements sur le comportement électoral des salariés.

Même dans ses « bastions », la CGT rencontre donc des difficultés. Reste à se demander si les implantations des « réformistes » sont suffisamment nombreuses et solides pour fonder et légitimer un nouveau dialogue social.

  • De ce point de vue, les rivalités entre la CGT et SUD peuvent apparaître comme un avantage inattendu… Mais avec plus de 50 % d’audience, les deux organisations disposent aussi d’un pouvoir d’opposition ou de dissusasion. Souhaiteront-ils en user ?

En toute hypothèse, changer les relations sociales à la SNCF paraît être un beau défi.

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