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10 / 03 / 2016 | 31 vues
Roman Bernier / Membre
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Discrimination syndicale chez Emirates : pourquoi la compagnie du Golfe ne veut pas de syndicat indépendant

Voila une nouvelle qui risque fort d'entacher l'image de compagnie modele d'Emirates. Vendredi dernier, l’inspection du travail a refusé le licenciement pour faute d’une salariée de la compagnie, ex-déléguée CGT et conseillère prudhommale. L’administration a par ailleurs dressé un portrait au vitriol de l’entreprise.

Si dans l’aérien, les relations entre syndicats et entreprises peuvent parfois être tendues, à l’image des heurts qui ont secoué Air France et Lufthansa, il arrive parfois que cela aille beaucoup plus loin. Comme ce qu'il s'est passé avec Emirates Airlines, les choses vont beaucoup plus loin puisque la compagnie du Golfe cherche tout simplement à « nier toute présence syndicale autre que le syndicat maison », selon les informations parues à l’AFP hier.

Les faits

En 2000, Mahchid Modjaverian est entré chez Emirates en tant que comptable. En 2005, elle a décidé de créer une section syndicale SATA (Syndicat d’accueil du transport aérien) CGT. À l’AFP, elle a affirmé que depuis la création du syndicat, « la répression n’a jamais cessé » car « la direction ne veut pas de la CGT, que du syndicat maison », dénonçant une forme de harcèlement moral. Dans les faits, c’est principalement en 2011 que tout s’est accéléré. À l’époque, un article de L’Humanité décrivait un harcèlement moral, entamé peu après que la militante ait dû quitter ses fonctions de délégué syndicale pour problème de santé. Elle a été convoquée dans l’année dans le cadre « d’une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’à son licenciement ». Une autre représentante du SATA CGT, Nouha Boubet, avait précédemment été convoquée pour avoir diffusé un tract de la CGT à l’intérieur de l’entreprise.

Au total, depuis qu’elle avait quitté le poste de délégué syndicale en 2011, Mahchid Modjaverian a connu trois demandes de licenciement, selon l’inspection du travail, la compagnie lui reprochant des « accusations mensongères » et une « obstruction au pouvoir de direction de l’employeur » pour avoir contesté la procédure disciplinaire engagée contre l’actuelle déléguée CGT dans un courriel.

Acharnement ?

Le motif d’acharnement qui est régulièrement invoquée par Mahchid Modjaverian est difficile à prouver, bien que les conclusions de l’inspection du travail soient sans appel. En effet, l’autorité a bien reconnu une volonté de « mettre un terme à toute présence syndicale effective dans l’entreprise ». Cela se reflète notamment par les nombreuses procédures disciplinaires prises contre des représentants ou délégués CGT. Emirates se défend en déclarant qu’un « recours sera introduit » contre la décision de l’inspection du travail car elle « concerne une salariée qui n’est plus en poste depuis trois ans » et ne dispose d’aucun « mandat syndical ou électif ».

Cette défense apparaît plutôt fragile et ne risque pas de tenir. En revanche, l’accusation de harcèlement ne semble pas avoir retenu l’attention des prud’hommes, selon l’AFP. Au contraire, il s’agit moins d’attaquer une employée en particulier que d’empêcher l’émergence de syndicats extérieurs.

Le syndicat maison pour protéger un modèle économique

Dans les compagnies aériennes qui dominent aujourd’hui le ciel, les syndicats extérieurs ou indépendants font rarement bon ménage. Chez easyJet, ces derniers ont longtemps été personæ non gratæ. Quant à Ryanair, la compagnie irlandaise fait la chasse systématique aux syndiqués, de sorte que ces derniers ont dû se constituer en syndicat anonyme (le Ryanair Pilot Group). Emirates s’inscrit dans la même veine quand elle essaye bon gré mal gré d’empêcher la naissance de syndicats en son sein.

Les conditions de travail des salariés sont ainsi assurées par des syndicats maison mais trop souvent, l’histoire a démontré les risques qu’implique ce type de représentativité, avec l’absence d’un contre-pouvoir réel. D’autant plus que, contrairement aux compagnies aériennes classiques, les nouveaux entrants ne sont pas toujours au clair avec le droit social. Pour eux, l’émergence d’un syndicat hors maison reste le pire des scénarios car cela supposerait l’apparition d’un droit du travail pour l’heure malmené. Au-delà de l’aspect éthique, il s’agirait d’un coup terrible porté à un modèle économique pour lequel la réduction des coûts est une nécessité. Dans l’aérien, la productivité des travailleurs est cruciale, plus encore qu’ailleurs, dans les performances économiques des entreprises.

Chevauchant plusieurs règles, plusieurs frontières, plusieurs pays, les compagnies aériennes qui dominent le ciel actuellement jouent du droit social autant que faire se peut. Ryanair emploie en France, au Danemark ou en Espagne sous contrats irlandais, quand elle ne les sous-traite pas tout à fait. Des compagnies comme Norwegian Air créent des passerelles entre pays dans l’objectif de sous-traiter ses ressources via une filiale à Singapour… En Europe, le droit des travailleurs aériens est ainsi régulièrement bafoué. À tel point qu’en France, les sénateurs s’étaient vus contraints de produire en 2014 un rapport sur le sujet (« le droit en soute : le dumping social dans les transports européens »). Deux ans après, le constat reste le même et le rapport désormais actualisé englobe davantage les situations anti-concurrentielles et la nécessité de transparence. L’appel aux respects des règles sociales est d’ailleurs souvent réitéré. Sans succès.

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