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09 / 02 / 2015 | 6 vues
Jacques Landriot / Membre
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Dialogue social : comment le moderniser sans en perdre les acquis ?

Le débat sur la négociation de la modernisation du dialogue social s’est ouvert et s’est refermé sans accord entre les partenaires sociaux. Il ne m’appartient pas ici de discuter le projet des uns et des autres. En revanche, il m’a semblé essentiel d’apporter un éclairage à partir de mon expérience pendant plus de 23 ans à la tête d’une entreprise, le groupe Chèque Déjeuner dont j’ai pris les rênes à la suite de mon ami Georges Rino qui l’avait fondée en 1964.

À l’époque, en 1991, la coopérative Chèque Déjeuner comptait un effectif de 180 salariés et un chiffre d’affaire de quelques millions d’euros. Après 23 ans d’efforts de l’ensemble des salariés, nous sommes parvenus à la développer à plus de 5,2 milliards d’euros de volume d’affaires. Ainsi, plus de 2 400 salariés s’impliquent au quotidien dans cette entreprise dirigée désormais par Catherine Coupet, cela dans 15 pays.

Excellence du dialogue social

Cette belle réussite a été permise en raison de l’excellence du dialogue social qui a toujours régné au sein de l’entreprise et de l’engagement total des salariés. Tous ceux qui nous connaissent depuis 50 ans mesurent l’attachement de ces derniers, leur fierté d’appartenance à l’entreprise (cela dans tous les pays). Ils ont aussi pu mesurer le respect mutuel qui y règne à tous les niveaux.

Il m’a donc semblé utile de m’exprimer sur ce sujet en tant que dirigeant d’une petite entreprise devenue entreprise à taille intermédiaire (ETI), c’est-à-dire une entreprise de plus de 2 000 salaries mais qui n’est pas encore un grand groupe international.  

L’emploi d’aujourd’hui et de demain sera le fait des PME et des ETI, voire des PME qui atteindront le stade des ETI. En cela, la question du dialogue social et des fameux seuils évoqués par le Premier Ministre est importante. Pour le gouvernement, la simplification du dialogue social est l’espoir d’une source de création d’emplois plus importante, plus vivace.

Le calcul est vite établi. Nous avons dans notre pays environ 26 500 entreprises dont l’effectif se situe entre 50 et 200 salaries. Imaginons que chacune puisse créer une vingtaine d’emplois en deux ans, rythme réaliste, nous obtiendrions environ un million de créations d’emplois au bout de quatre ans.

Bien sûr, au-delà du dialogue social, bien d’autres conditions sont absolument nécessaires pour avancer en cette voie de la création massive d’emplois, notamment l’amélioration de l’environnement administratif, fiscal et économique des entreprises, ainsi que les délais de paiement qui étranglent encore, les très petites entreprises (TPE) et les PME en les empêchant de disposer de la trésorerie pour leur investissement.  

Mais disons le tout de suite, le dialogue social est fondamental au sein d’une firme d’autant plus quand celle-ci est en développement. Le dialogue social, par sa vivacité, sa créativité peut être un frein ou un accélérateur de croissance. Sans réel dialogue social, l’entreprise, quelle que soit sa taille, peut être confrontée à des catastrophes et péricliter, voire disparaître.

L’attachement des salaries, leur implication sans réserve, favorise la résilience organisationnelle en cas de choc. Car c’est inévitable, chaque entreprise doit faire face à des chocs, des turbulences, voire des échecs. Elle doit les surmonter. Elle doit se réinventer chaque jour.  Réussir c’est aussi tenir sur la durée. Sans ce lien fort entre tous permis par le dialogue social, le ciment propice à la pérennisation ne prend pas.

Combien de fois ai-je été, en contradiction avec les juristes pour traiter des situations ou le professionnel du droit pouvait nous conduire à des contentieux alors qu’il me paraissait plus efficace de les régler par l’écoute, l’empathie et la compréhension mais aussi la fermeté et la rigueur ?

Aussi, pendant un quart de siècle, je me suis évertué à demeurer disponible pour les partenaires syndicaux, pour les élus dans les comités d’entreprise ou les CHSCT, pour les délégués du personnel afin de traiter les problèmes qui inévitablement surviennent dans toute société humaine sans laisser ceux-là dégénérer. Combien de fois ai-je été, en contradiction avec les juristes pour traiter des situations ou le professionnel du droit pouvait nous conduire à des contentieux alors qu’il me paraissait plus efficace de les régler par l’écoute, l’empathie et la compréhension mais aussi la fermeté et la rigueur ? J’appliquais le vieil adage qu’un accord (même non optimisé) valait mieux qu’un mauvais procès.
Par ailleurs, au sein d’un groupe comme Chèque Déjeuner (devenu le groupe UP en début d’année), une attitude exemplaire était nécessaire. Le dialogue social ne peut fonctionner sans cette exemplarité qui s’applique à tous mais qui commence par la direction. Sur ce plan, les dirigeants ne doivent pas prêter le flanc à la critique. Leur comportement doit manifester le respect et la compréhension pour tous. La conduite des hommes au XXIème siècle ne tolère plus les coups de canif à cette éthique comportementale.

De même, le dialogue social doit être porté au sein de l’entreprise par une culture positive. Les dirigeants et  les responsables syndicaux doivent négocier avec la volonté d’assurer le progrès économique et social dans le respect des conditions de travail et de la dignité de tous. Chacun doit veiller aux performances pour assurer les grands équilibres et donc l’emploi de demain. La direction doit aussi veiller à récompenser les éléments les plus capables et les plus investis dans la réussite de l’entreprise. Elle doit faire jouer l’ascenseur social. Donner leur chance à ceux qui n’ont pas eu cette opportunité est également une manière de favoriser le dialogue social.

Certes, la question de la distribution des rémunérations est centrale mais celle de la redistribution des responsabilités l'est tout autant. Car quand un jeune parti du bas réussit son parcours ascensionnel, c’est une leçon de choses pour tous et la preuve des valeurs de l’entreprise. Quand une mère de famille assume la gouvernance d’une telle entreprise, c’est aussi un signe envoyé à toutes les femmes de ce pays.

  • Ceci dit, on mesure bien que pour la grande masse des petites structures de moins de 11 salariés (qui sont les plus importantes dans notre pays), la question du dialogue social à revitaliser n’est pas la première de leur priorité.

La priorité des responsables réside dans la simplification à mettre en œuvre pour leur permettre d’assurer le développement de leur entreprise  Récemment, un ami patron d’une TPE de 5 personnes m’expliquait l’ensemble des obligations à remplir en raison d’un contrôle de routine.  

Concernant votre établissement X et suite à l'ordonnance du 26 juin 2014, je vous rappelle les nouvelles dispositions quant à la liste des affichages qui sont obligatoires pour toutes les entreprises à partir d'un salarié, ce afin d'éviter lors d'un contrôle de l'inspection du travail de lourdes amendes pouvant aller jusqu'à 7 500 euros.

Les affichages obligatoires à mettre en place sont les suivants :

  • égalité de rémunération entre hommes et femmes,
  • inspection du travail,
  • médecine du travail,
  • accords et convention collective applicables,
  • consignes de sécurité,
  • lutte contre le tabagisme,
  • règlement intérieur,
  • ordre des départs en congé,
  • horaires collectifs de travail,
  • repos hebdomadaires,
  • modalités d'accès au document unique d'évaluations des risques professionnels.

Obligation de diffusion concernant la législation du droit du travail pour :

  • la prévention du harcèlement moral et sexuel,
  • et la lutte contre les discriminations.

Tout cela pour une micro structure de cinq personnes. Chacun comprendra que la présentation sur un tableau impose la rédaction préalable mais aussi la réalisation de tous ces textes. Bien entendu, il n’est pas question ici de remettre en cause les principes et le respect indispensables des contrôles de l’URSSAF ou de l’Inspection du travail mais, à l’évidence, si l'on veut aider les chefs d’entreprise à mieux s’en sortir, c’est dans cette optique de simplification qu’il faut entrer et proportionner les contraintes à la taille des entreprises.

Pour les PME, en développement ou non, la question cruciale qui se pose à toutes les branches est comment assurer une juste représentation des salariés, un juste équilibre entre les parties. Équilibre qui doit profiter à la création de richesses.

La problématique consiste à avancer dans la simplification du dialogue social sans que cela ne nuise à la prévention des risques professionnels et à l’ambiance générale des entreprises.

DUP élagie aux CHSCT


Il paraît judicieux de revenir sur le dispositif de délégation unique du personnel (DUP), actuellement en vigueur dans certaines entreprises. En effet, la réglementation permet actuellement à l’employeur de réunir dans une même instance les délégués du personnel et les élus du comité d’entreprise. Cette approche pourrait très bien avec raison être étendue aux membres du CHSCT.

Ainsi, pour les entreprises au-dessus de 11 salariés la délégation unique du personnel reprendrait l’ensemble des prérogatives des délégués du personnel. Elle débuterait à 11 salariés et pourrait aller jusqu’à 300 salariés. À partir de 50 salariés, la DUP un peu renforcée se réunirait alors soit en « mode CE », soit en « mode CHSCT » cette approche dans les entreprises à taille humaine favoriserait la constitution d’équipes rationnelles et ne sacrifierait pas l’histoire et la jurisprudence de prévention qui s’attachent aux CHSCT.

Cette évolution serait simple à mener. Quelques mots dans un article de loi. Une grande transformation s’établirait dans notre pays, tout en maintenant les grands équilibres et sans mettre à genoux les organisations syndicales.

Pourquoi le seuil de 300 salariés ?

Il paraît évident qu’à ce stade les questions de représentation des salariés doivent évoluer. Les élus du personnel doivent se spécialiser fortement. Par ailleurs, il convient d’intégrer les firmes multi-sites. En matière de représentation et de prévention, 300 salariés sur un site unique, ce n’est pas du tout la même chose que 300 salariés sur trois sites.

Les organisations syndicales plaident, il me semble à juste titre, pour que l’on ne relâche pas les filets de protection en matière de santé et de sécurité. Elles considèrent que l’élément central dans l’entreprise est la tension qui y règne. Outre la recherche de productivité et l’accélération des rythme de travail en raison des outils électroniques, celle-ci résulte aussi de la précarité de l’emploi (le nombre de chômeurs, 3,4 millions, n’a jamais été aussi important dans notre pays), ce qui accroît la précarité virtuelle ressentie par les salariés en poste.

Certains dirigeants, en raison de cette « armée de réserve » disponible durcissent leur mode de management. Ce qui n’est pas bon. Car le salarié trop stressé ne peut donner le meilleur de lui-même, faire preuve de créativité réelle ou d’implication récurrente.

Voilà pourquoi dans la réalité du travail d’aujourd’hui et en accord avec les spécialistes de la prévention, il semble important de maintenir la présence des CHSCT, outil social d’équilibre, au seuil des 200 ou 300 salariés. À ce niveau de développement économique, cette présence bien loin d’être un poids, est un avantage compétitif ; c’est l’assurance d’un traitement rapide des problèmes posés au sein des collectifs de travail.

En effet, la fusion d’une instance unique aurait pour grave conséquence de diluer l’ensemble des sensibilités aux problèmes de santé et de prévention au profit d’autres thèmes, sans doute importants pour les salariés comme les œuvres sociales, mais moins structurant pour l’entreprise.

Ne nous y trompons pas : trouver un point d’équilibre dans la modernisation du dialogue social est indispensable pour éviter, à terme, l’engrenage négatif de la montée des risques.

Si demain les salariés n’arrivaient plus à parler de leur travail au sein d’une structure consacrée (comme le CHSCT), des décrochages en boucle en résulteraient.

La compétitivité en serait altérée car l’implication des salariés et la responsabilité au quotidien de ces derniers sont les gages de la réussite et du développement. Croire qu’en raison du durcissement du dialogue social, on va régler ces problèmes de compétitivité, ce serait préparer un enlisement redoutable.

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