Organisations
Concurrence dans les transports ferroviaires : place au poker menteur
Cinq ans déjà qu’ont débuté les négociations pour établir une convention collective nationale du fret ferroviaire concernant les salariés des entreprises privées et le personnel contractuel du groupe SNCF.
Cette période peut sembler longue mais elle témoigne à la fois du sérieux comme de la complexité technique et sociale du secteur qui n’avait jamais fait l’objet d’une telle négociation depuis l’invention de ce mode de transport.
Les partenaires sociaux d’un secteur en développement ont aussi appris à se connaître pour certains d’entre eux. D’un côté, certains syndicalistes à l’ADN pure « SNCF entreprise publique historique » (organisés par la fédération « cheminote » et non « des transports », portée aussi par l’intermodalité). De l’autre côté, des représentants patronaux, soit de culture des transports publics urbains, soit de « nouveaux entrants ferroviaires » à l’empreinte de dialogue social plus ou moins développée.
Comme il se doit, pour l’élaboration d’une CCN, la négociation s’est engagée par parties successives (accords de branches) avec conclusion-signature sur chacune.
Ainsi les accords sur l’organisation du travail, le contrat de travail et les classifications du personnel ont été conclus et leur application étendue à toutes les entreprises du secteur conformément aux procédures légales.
Seule demeure en attente la procédure d’extension pour l’accord formation professionnelle.
Les stratégies syndicales ne furent pas identiques. En préalable à l’ouverture des négociations, la CFDT a précisé qu’elle n’engagerait sa signature éventuelle qu’à l’issue du texte complet de la CCN pour juger sur l’équilibre global.
Les autres organisations syndicales ont décidé d’adopter la méthode de négociation par accords successifs, justifiée par la nécessité de répondre aux difficultés passées et actuelles des salariés.
La partie inaugurale « organisation du travail » connaîtra une dynamique avec la déclaration d’opposition des syndicats CFDT et FO jugeant inacceptable, entre autres, l’instauration de l’utilisation possible du 3ème RHR (repos hors résidence) pour les personnes mobiles (agents de conduite essentiellement). Précisons que dans le cadre du transport ferroviaire international transfrontalier, les organisations ETF (syndicats européens de cheminots) et CER (patronat du ferroviaire) avaient conclu sur le principe de 1 RHR (+1 RHR négocié par accord d’entreprise, soit 2 maximum), cette conclusion ayant été transcrite dans une directive européenne (n° 2005-47).
La négociation s’est poursuivie avec plus ou moins de signatures d’organisations syndicales.
Recours gracieux
Le 1er juin 2012, le président de la SNCF, Guillaume Pépy, a adressé un courrier au Premier Ministre Jean-Marc Ayrault et au Ministre du Travail, Michel Sapin, sollicitant un « recours gracieux contre le décret du 27 avril 2010 instituant un double cadre social dans le secteur ferroviaire ».
Sur sa forme juridique, ce « recours gracieux » n’a aucune valeur dans la mesure où trois parties importantes de cette SSN sont déjà étendues dans les formes légales. Et que retenir que la validité de ces accords de branche, hors volonté farouche des partenaires sociaux serait la marque du mépris pour le dialogue social de branche.
Mais la forme de l’action du président de la SNCF est critiquable. D’abord parce que sa décision semble solitaire. Diverses sources indiquent que les responsables de l’UTP ont été informés après l’envoi de la missive de Guillaume Pépy, comme certains dirigeants de l’entreprise publique et le Ministère des Transports.
Cette méthode met en lumière la gestion particulièrement erratique de la négociation par la direction de la SNCF.
Il faut rappeler que la négociation sur les conditions sociales des cheminots du transport de fret ferroviaire a commencé bien avant l’ouverture de la négociation d’une CCN.
Cela avait été précédé par la « concertation simplifiée de projet » (CSP) engagée à Fret SNCF par L. Nadal (dirigeant de cette entité), vraie fausse négociation consistant à obtenir des syndicats cheminots une plus grande « élasticité » de la règlementation sociale applicable à la SNCF (référentiel d’entreprise RH077). Le point de rupture avait été obtenu (notamment) par la menace directe de ce dirigeant face à ses cadres, en leur promettant la création d’une filiale de droit privé permettant de réaliser des transports sur la seule base légale du Code de Travail.
Ensuite, il faut raconter les différentes étapes et les implications (et les non-implications) de l’EPIC SNCF comme du groupe SNCF dans la négociation collective du fret ferroviaire.
La première période a été celle de l’absence directe de la SNCF dans la négociation de la CCN. Sans doute pour trois raisons. D’abord, celle, logique, d’évitement d’être taxé de ralentisseur de l’ouverture à la concurrence du secteur vu la place omnipotente de la société publique. Ensuite, parce que la SNCF a compris que laisser la conduite des négociations à de nouveaux entrants permettait d’obtenir de facto une réglementation sociale bien inférieure à celle de l’EPIC SNCF. Enfin, la question peut se poser d’une stratégie réellement pensée.
La seconde période est celle d’un investissement un peu plus étendu mais à double face. Progressivement, la SNCF s’est investi dans la commission ferroviaire de l’UTP et a pris une plus grande place. Cette position s’est exprimée par des interventions fortes et déterminés de la filiale du groupe SNCF la plus virulente en matière de libéralisation : VFLI. Cette société (groupe SNCF) était celle qui défendait énergiquement l’existence du 3ème RHR, même si son utilisation est exceptionnelle, voire impossible, par rapport au marché ferroviaire actuel et à la structuration des entreprises privées et publiques.
Entre temps, la direction de la SNCF avait tenté de manipuler une organisation syndicale, la CFDT, en sollicitant celle-ci pour qu’elle effectue un recours au Conseil d’État contre la première partie de la CCN du fret ferroviaire. La CFDT avait bien analysé la situation en refusant cette manœuvre qui aurait provoqué la remise en cause d’une partie de la règlementation du travail et de la Loi de 1940 qui porte des dispositions essentielles pour le personnel, notamment de conduite (prétexte de l’impossibilité de maintenir deux règlementations différentes pour le fret ferroviaire).
Dès lors, on peut s’interroger sur la stratégie du président de la SNCF. La lettre de mission de l’ex-président Nicolas Sarkozy à Guillaume Pépy avait déjà beaucoup troublé les syndicats ainsi qu’une partie de l’encadrement, alors que la communication officielle interne se félicitait de cette missive tout en second degré sur la véritable évolution du statut actuel des cheminots. Sans omettre que l’entourage du président de la SNCF s’était empressé d’indiquer que le président de la SNCF avait largement inspiré le signataire final.
Il ne faut pas omettre que le président de la SNCF avait largement minoré au conseil d’administration de l’entreprise en novembre 2010 l’importance du projet de révision du premier paquet ferroviaire.
Au niveau du dialogue social de l’EPIC SNCF comme du groupe, la question est posée de la sincérité préalable indispensable pour une réflexion que la direction de la SNCF voudrait maintenant voir engagée sur le transport régional de voyageurs.
Sur ce point précis, l’Allemagne semble prendre de l’avance avec une convention collective nationale sur le transport régional de voyageurs, conclue en septembre dernier par les entreprises ferroviaires et le syndicat EVG.
Mais le modèle semble se limiter à cette question. Car depuis l’automne dernier, le groupe DB semble avoir pris un peu de recul sur son attachement à l’« undbundling » (maintien du gestionnaire de l’infrastructure au sein de la holding DB). Anecdotiquement, en octobre 2011, le président de la DB etait intervenu dans un second temps lors de la première réunion de la « plateforme de stratégie du rail » (rail strategy platform) après l’intervention d’un représentant salarié qui, lui, avait insisté sur ce lien entreprise publique historique/gestionnaire de l’infrastructure.
Ensuite, une communication médiatique nationale de la DB avait retenu l’attention de plusieurs experts du ferroviaire. Cela a été une expression précisant qu’au cas où la DB serait placée dans l’obligation de répondre à une séparation complète entre exploitation et infrastructure, cela lui causerait un préjudice de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Ce qui s’explique aussi par l’évolution de la situation économique européenne où l’Allemagne, partisane d’une austérité pleine et entière, ne peut plus se permettre de s’extraire des injonctions de la Commission sur la séparation complète de l’infrastructure et donc de la remise en cause à terme de la holding DB pour favoriser une concurrence majoritairement contrôlée réellement par le groupe DB.
Sur les prochaines évolutions du transport ferroviaire, il semble utile de quitter la table de poker pour parvenir à celle de la négociation permettant de construire un cadre social de haut niveau.
Cette période peut sembler longue mais elle témoigne à la fois du sérieux comme de la complexité technique et sociale du secteur qui n’avait jamais fait l’objet d’une telle négociation depuis l’invention de ce mode de transport.
Les partenaires sociaux d’un secteur en développement ont aussi appris à se connaître pour certains d’entre eux. D’un côté, certains syndicalistes à l’ADN pure « SNCF entreprise publique historique » (organisés par la fédération « cheminote » et non « des transports », portée aussi par l’intermodalité). De l’autre côté, des représentants patronaux, soit de culture des transports publics urbains, soit de « nouveaux entrants ferroviaires » à l’empreinte de dialogue social plus ou moins développée.
Comme il se doit, pour l’élaboration d’une CCN, la négociation s’est engagée par parties successives (accords de branches) avec conclusion-signature sur chacune.
Ainsi les accords sur l’organisation du travail, le contrat de travail et les classifications du personnel ont été conclus et leur application étendue à toutes les entreprises du secteur conformément aux procédures légales.
Seule demeure en attente la procédure d’extension pour l’accord formation professionnelle.
Les stratégies syndicales ne furent pas identiques. En préalable à l’ouverture des négociations, la CFDT a précisé qu’elle n’engagerait sa signature éventuelle qu’à l’issue du texte complet de la CCN pour juger sur l’équilibre global.
Les autres organisations syndicales ont décidé d’adopter la méthode de négociation par accords successifs, justifiée par la nécessité de répondre aux difficultés passées et actuelles des salariés.
La partie inaugurale « organisation du travail » connaîtra une dynamique avec la déclaration d’opposition des syndicats CFDT et FO jugeant inacceptable, entre autres, l’instauration de l’utilisation possible du 3ème RHR (repos hors résidence) pour les personnes mobiles (agents de conduite essentiellement). Précisons que dans le cadre du transport ferroviaire international transfrontalier, les organisations ETF (syndicats européens de cheminots) et CER (patronat du ferroviaire) avaient conclu sur le principe de 1 RHR (+1 RHR négocié par accord d’entreprise, soit 2 maximum), cette conclusion ayant été transcrite dans une directive européenne (n° 2005-47).
- N’atteignant pas les 30 % du seuil de remise en cause du texte (avec la seule représentativité de la CFDT et de FO cheminots), la CGT décidant de ne pas signer et de pas s’opposer, cette partie a été conclue par des syndicats minoritaires, puis étendue ultérieurement.
La négociation s’est poursuivie avec plus ou moins de signatures d’organisations syndicales.
- En juin dernier (2012), a donc été proposé à la signature le texte « complet » de la CCN du fret ferroviaire. Un document considéré par nombre d’organisations syndicales comme « équilibré » et permettant d’envisager une action plus claire contre les distorsions de concurrence par le dumping social, tout en répondant à l’impératif de la fidélisation du personnel.
Recours gracieux
Le 1er juin 2012, le président de la SNCF, Guillaume Pépy, a adressé un courrier au Premier Ministre Jean-Marc Ayrault et au Ministre du Travail, Michel Sapin, sollicitant un « recours gracieux contre le décret du 27 avril 2010 instituant un double cadre social dans le secteur ferroviaire ».
Sur sa forme juridique, ce « recours gracieux » n’a aucune valeur dans la mesure où trois parties importantes de cette SSN sont déjà étendues dans les formes légales. Et que retenir que la validité de ces accords de branche, hors volonté farouche des partenaires sociaux serait la marque du mépris pour le dialogue social de branche.
- Côté politique, on comprend la manœuvre du président de la SNCF : remettre le dossier « SNCF/concurrence ferroviaire » en haut de la pile des sujets à traîter par le gouvernement.
Mais la forme de l’action du président de la SNCF est critiquable. D’abord parce que sa décision semble solitaire. Diverses sources indiquent que les responsables de l’UTP ont été informés après l’envoi de la missive de Guillaume Pépy, comme certains dirigeants de l’entreprise publique et le Ministère des Transports.
Cette méthode met en lumière la gestion particulièrement erratique de la négociation par la direction de la SNCF.
Il faut rappeler que la négociation sur les conditions sociales des cheminots du transport de fret ferroviaire a commencé bien avant l’ouverture de la négociation d’une CCN.
Cela avait été précédé par la « concertation simplifiée de projet » (CSP) engagée à Fret SNCF par L. Nadal (dirigeant de cette entité), vraie fausse négociation consistant à obtenir des syndicats cheminots une plus grande « élasticité » de la règlementation sociale applicable à la SNCF (référentiel d’entreprise RH077). Le point de rupture avait été obtenu (notamment) par la menace directe de ce dirigeant face à ses cadres, en leur promettant la création d’une filiale de droit privé permettant de réaliser des transports sur la seule base légale du Code de Travail.
Ensuite, il faut raconter les différentes étapes et les implications (et les non-implications) de l’EPIC SNCF comme du groupe SNCF dans la négociation collective du fret ferroviaire.
La première période a été celle de l’absence directe de la SNCF dans la négociation de la CCN. Sans doute pour trois raisons. D’abord, celle, logique, d’évitement d’être taxé de ralentisseur de l’ouverture à la concurrence du secteur vu la place omnipotente de la société publique. Ensuite, parce que la SNCF a compris que laisser la conduite des négociations à de nouveaux entrants permettait d’obtenir de facto une réglementation sociale bien inférieure à celle de l’EPIC SNCF. Enfin, la question peut se poser d’une stratégie réellement pensée.
La seconde période est celle d’un investissement un peu plus étendu mais à double face. Progressivement, la SNCF s’est investi dans la commission ferroviaire de l’UTP et a pris une plus grande place. Cette position s’est exprimée par des interventions fortes et déterminés de la filiale du groupe SNCF la plus virulente en matière de libéralisation : VFLI. Cette société (groupe SNCF) était celle qui défendait énergiquement l’existence du 3ème RHR, même si son utilisation est exceptionnelle, voire impossible, par rapport au marché ferroviaire actuel et à la structuration des entreprises privées et publiques.
Entre temps, la direction de la SNCF avait tenté de manipuler une organisation syndicale, la CFDT, en sollicitant celle-ci pour qu’elle effectue un recours au Conseil d’État contre la première partie de la CCN du fret ferroviaire. La CFDT avait bien analysé la situation en refusant cette manœuvre qui aurait provoqué la remise en cause d’une partie de la règlementation du travail et de la Loi de 1940 qui porte des dispositions essentielles pour le personnel, notamment de conduite (prétexte de l’impossibilité de maintenir deux règlementations différentes pour le fret ferroviaire).
Dès lors, on peut s’interroger sur la stratégie du président de la SNCF. La lettre de mission de l’ex-président Nicolas Sarkozy à Guillaume Pépy avait déjà beaucoup troublé les syndicats ainsi qu’une partie de l’encadrement, alors que la communication officielle interne se félicitait de cette missive tout en second degré sur la véritable évolution du statut actuel des cheminots. Sans omettre que l’entourage du président de la SNCF s’était empressé d’indiquer que le président de la SNCF avait largement inspiré le signataire final.
Il ne faut pas omettre que le président de la SNCF avait largement minoré au conseil d’administration de l’entreprise en novembre 2010 l’importance du projet de révision du premier paquet ferroviaire.
- En utilisant cette fois-ci le prétexte du « dumping social » pour remettre en cause une négociation de cinq années, il n’apparait pas crédible devant la chronologie de la négociation de la CCN du fret ferroviaire. Si le « cadre social harmonisé » cher à la Commission européenne et au président Pépy est identique, et se définit comme à l’habitude par une normalisation vers les règles les plus minimales (principe classique libéral du plus petit dénominateur social commun), le dialogue social risque fort d’être impossible.
Au niveau du dialogue social de l’EPIC SNCF comme du groupe, la question est posée de la sincérité préalable indispensable pour une réflexion que la direction de la SNCF voudrait maintenant voir engagée sur le transport régional de voyageurs.
Sur ce point précis, l’Allemagne semble prendre de l’avance avec une convention collective nationale sur le transport régional de voyageurs, conclue en septembre dernier par les entreprises ferroviaires et le syndicat EVG.
Mais le modèle semble se limiter à cette question. Car depuis l’automne dernier, le groupe DB semble avoir pris un peu de recul sur son attachement à l’« undbundling » (maintien du gestionnaire de l’infrastructure au sein de la holding DB). Anecdotiquement, en octobre 2011, le président de la DB etait intervenu dans un second temps lors de la première réunion de la « plateforme de stratégie du rail » (rail strategy platform) après l’intervention d’un représentant salarié qui, lui, avait insisté sur ce lien entreprise publique historique/gestionnaire de l’infrastructure.
Ensuite, une communication médiatique nationale de la DB avait retenu l’attention de plusieurs experts du ferroviaire. Cela a été une expression précisant qu’au cas où la DB serait placée dans l’obligation de répondre à une séparation complète entre exploitation et infrastructure, cela lui causerait un préjudice de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Ce qui s’explique aussi par l’évolution de la situation économique européenne où l’Allemagne, partisane d’une austérité pleine et entière, ne peut plus se permettre de s’extraire des injonctions de la Commission sur la séparation complète de l’infrastructure et donc de la remise en cause à terme de la holding DB pour favoriser une concurrence majoritairement contrôlée réellement par le groupe DB.
- Sur la promotion d’une holding SNCF, il n’est pas certain que le président de la SNCF soit déjà dans une bataille perdue d’avance par les propositions contenues dans le futur 4ème paquet ferroviaire dont le brouillon devrait être connu dans les prochaines semaines.
Sur les prochaines évolutions du transport ferroviaire, il semble utile de quitter la table de poker pour parvenir à celle de la négociation permettant de construire un cadre social de haut niveau.
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