Bolloré, ce n’est pas qu’une affaire industrielle, c’est aussi un formidable enjeu culturel
La reprise des 2 chaînes du groupe Bolloré par Canal+ ne sera pas sans influence sur le renforcement de la filière audiovisuelle française à l’heure des grands bouleversements attendus et provoqués par la future télévision connectée.
Ce formidable coup, orchestré par Bertrand Meheut, signe avant tout le retour d’un Canal+ offensif et déterminé. Tant mieux. Pour faire face aux mastodontes américains, il faut une industrie puissante, bien arrimée, créative et financièrement solide.
Sur le plan industriel, la reprise des 2 chaînes Direct8 et Direct Star, complète judicieusement un dispositif dont Canal+ était encore absent, le clair, avec un rentabilisation accrue de ses créations grâce la publicité. Pourquoi laisser à d’autres ce que nous pourrions bien mieux faire nous-mêmes ?
Les investissements colossaux consentis par le groupe Canal+ dans ses contenus, 2 milliards d’euros par an entre Canal+ et Canalsat, imposent d’étendre la chaîne de rentabilité actuelle. Les programmes originaux de très grande qualité développés par les équipes de R. Bellmer coûtent cher, très cher. Les investissements consentis dans les fictions financées par Canal+ atteignent les meilleurs investissements de grands studios américains.
Preuve de ces choix judicieux, les studios américains sont aujourd’hui à l’affût des créations de Canal+. Les Borgia en constituent l’exemple flagrant avec la sortie d’un film aux États-Unis coïncidant avec la diffusion de la production initiée par Canal+.
Canal+ est aujourd’hui arrimée au groupe Vivendi, leader mondial du divertissement, aux finances saines et capable de mobiliser ses capitaux et ses équipes pour le développement raisonné de ses entreprises. C’est une sécurité contre l’aventurisme, c’est aussi l’assurance d’une potentielle capacité d’investissement. D'ailleurs, Bolloré échange ses entreprises contre du capital de Vivendi, et pas de Canal+ !
Doit-on attendre l’arrivée, la déferlante, « télé connectée » pour réagir ? Préfère-t-on que YouTube, Netflix, Google, Apple et les autres investissent nos écrans et finalement nos productions et la dernière industrie européenne encore capable de rivaliser avec ces concurrents ?
N’oublions pas que le cinéma français, voire européen, existe encore grâce au financement de Canal+. Cette idée géniale développée par André Rousselet a permis à l’industrie cinématographique française de survivre, elle a disparu dans tous les autres pays. Cette industrie qui rayonne encore à l’étranger et aussi aux États-Unis. Or, ce secteur est fragile. Son économie peut rapidement basculer si l’un de ses acteurs essentiels vient à défaillir. Personne n’y a intérêt.
Complémentarité, diversité, innovation, renforcement des fondamentaux, on peut se féliciter de voir à nouveau Canal+ redevenir un acteur incontournable et majeur sur la scène française mais aussi européenne, capable de renforcer l’assise et le développement de ces activités audiovisuelles. C’est indispensable.
Cet événement représente aussi un danger pour les petites chaînes, et il faudra bien trouver les moyens d’assurer une sécurité pour un pluralisme de création aux fondamentaux bien faibles. Car si de puissants opérateurs sont indispensables pour résister à la révolution qui pointe, les autres doivent impérativement trouver leur place par des mécanismes de redistribution qui assurent leur indépendance et leur pérennité. Sinon, le modèle sera déstabilisé, il finira par se gripper.
Pendant ce temps, le régulateur règlemente en nous sortant une nouvelle norme technique. Il est vrai que les 9 millions de Français qui ont changé de téléviseurs en 2010 vont se précipiter pour changer à nouveau de matériel dans quelques mois… Ces réglementations pèsent sur la rentabilité des industries techniques et culturelles. Les opérateurs téléphoniques le savent mieux que tous, taxés de tous côtés, ils voient leurs marges se réduire et leurs capacités d’investissement contraintes.
- Dès lors, cette opération stratégique est bien comprise par une majorité de salariés du groupe Canal+ et notamment de l’encadrement. Les nombreux messages que nous avons reçus après cette annonce en attestent. Un premier comité d'entreprise devrait être consulté sur cette stratégie, puis un second sur le volet social. Notre syndicat se prononcera favorablement sur le volet stratégique de cette opération, quant au social....
Intransigeant sur le social…
Ne gâchons pas ces succès et cette nouvelle stratégie par de drôles de calculs sociaux de courts termes.
Lorsque B. Meheut opère le social dans ce nouveau schéma industriel, il crée les conditions de crispations et d’inquiétudes légitimes notamment chez les salariés de Bolloré.
C’est une belle opération industrielle pour Canal+. Bolloré de son côté réalise une bonne opération financière. Dès lors, les deux groupes peuvent s’engager à traiter du social avec autant d’intérêt que des montages capitalistiques ou financiers.
Ces dirigeants peuvent s’appuyer sur une autre expertise, sociale celle là. Nous qui avons eu à gérer tant de plans de restructurations depuis 10 ans, nous en avons l’habitude. Nous sommes en mesure de créer les conditions d’un accompagnement dans la sécurité et le respect pour les centaines de salariés du groupe qui devront intégrer le cœur de l'activité de Canal+.
Notre avis sur le volet social sera dépendant de la philosophie adoptée pour encadrer ce projet, du périmètre considéré et des mesures d'accompagnement des salariés concernés.
Penser et agir autrement, ce serait prendre un nouveau risque alors que les tensions sociales en interne affleurent en permanence depuis 6 ans. Profitons de cet événement positif pour le groupe pour revisiter notre politique sociale. Il est grand temps de faire place à l’intelligence et à la créativité aussi de ce côté-là et de sortir d’une politique contraignante et rétrograde. Canal+ mérite mieux de ce point de vue !