AT-MP : gare à la facture en 2012 pour les employeurs
Ce n’était pas une tendance naturelle des caisses primaires d’assurance maladie mais elles doivent depuis le 1er janvier informer les entreprises de toutes les étapes de traitement des dossiers de déclaration des accidents du travail. À partir du moment où la caisse décide de prendre en charge l’accident du travail ou la maladie professionnelle, l’employeur dispose d’un délai de deux mois pour contester sans savoir exactement combien cela va lui coûter. Avant le décret de juillet 2009, c’est au moment où il recevait « la note » que l’employeur décidait en effet d’engager des recours sur telles ou telles déclarations en passant par des cabinets spécialisés fédérés par Syncost, le syndicat des conseils opérationnels en optimisation des coûts, ou par des cabinets d’avocats moins enclins à conseiller du recours massif sur des vices de forme.
Remise en cause des uns et des autres
Voilà une réforme des procédures qui conduit à une profonde remise en cause de l’activité des cabinets membres du Syncost qui ne digèrent pas le décret de juillet dernier. Ces cabinets devront être en mesure de bien cibler très en amont les dossiers sur lesquels ils conseillent à leur client d’engager des recours. « Il sera trop tard quand les employeurs vont recevoir leur taux de cotisations AT-MP. Ils devront se montrer très réactifs pour contester les accidents du travail dès la réception de l’avis favorable rendu par une caisse. Pour garantir leur taux de cotisation, les employeurs pourraient même être tentés d’engager des contestations systématiques », avance Alexandra Rousselle, responsable du pôle AT-MP de Lowendal Masaï qui emploie 40 des 450 salariés du groupe. Le risque d’une systématisation du contentieux est-il réel ? « Sur 1,4 millions d’arrêts maladie, 6 % génèrent 75 % des dépenses. Il appartient à l’entreprise d’être bien organisée pour savoir si elle doit ou non engager un recours en fonction de la gravité de l’accident, sur laquelle elle a en général des informations de première main », estime pour sa part Stéphane Seiller, directeur des risques professionnels à la CNAMTS. Le recours systématique devient en outre plus délicat car désormais, il faudra le motiver. « Le décret ne précise pas ce qu’est une réserve motivée et renvoie sur ce point à la jurisprudence », nuance Benoît Tassart, en charge des conditions de travail à la CFTC. Ce décret qui vise à réduire le contentieux, qui a représenté un coût de 400 millions d’euros en 2009, va dans le sens de la responsabilisation des employeurs puisque ces derniers vont devoir se montrer plus attentif dès le départ. « La réforme des AT-MP pourrait faire glisser une partie du contentieux de forme vers une discussion de fond, le recours portant désormais plus sur la justification même de la prise en charge des AT-MP », avance Caroline Legal, avocate spécialisée dans le droit de la Sécurité sociale et qui intervient pour le compte des employeurs dans les contestations.
Tarif globalement à la hausse
«Ce nouveau mode de tarification va encore renforcer la tendance à la réduction du nombre de jours d’arrêt de travail accordés par les médecins » - Bernard Salengro, CFE-CGC
Le changement ne concerne pas uniquement les procédures. En 2012, les employeurs vont découvrir des taux de cotisations calculés à partir de 2010 sur un système de tranches forfaitaires et plus à « prix coûtant » en fonction de chaque cas. Les tarifs seront regroupés en six tranches, en fonction de la durée de l’arrêt de travail (de moins de 4 jours à plus de 150 jours), pour un coût moyen compris entre 200 € et 27 000 €. La logique est la même pour les taux d’incapacité permanente (IPP) des maladies professionnelles. Globalement, les spécialistes s’accordent à penser que les tarifs seront à la hausse. Certains employeurs vont avoir la mauvaise surprise de passer à une tranche supérieure sans l’avoir anticipé... Une augmentation de la tarification qui n’est pas suffisante pour Bernard Salengro, médecin du travail et secrétaire national de la CFE-CGC. « Il faudrait passer à une tarification a priori strictement assurantielle en fonction d’une série d’indicateurs renseignés sur l’entreprise, son secteur d’activité, ses actions de prévention. Là, cela coûterait beaucoup plus cher et cela inciterait clairement à la prévention. En attendant, ce nouveau mode de tarification va encore renforcer la tendance à la réduction du nombre de jours d’arrêt de travail accordés par les médecins », estime le spécialiste des questions de santé au travail de la CFE-CGC.
Les avis sont partagés au sujet de l’impact de la nouvelle tarification sur la prévention. Les « entreprises vertueuses », celles qui feraient de la prévention, seraient les grandes perdantes de l’histoire, estime le Syncost puisque le tarif sera le même qu’un arrêt soit de 151 jours ou de 5 ans. Pour Stéphane Seiller : « c’est en prévenant les petits risques que l’on évite les gros accidents qui vont se traduire par des arrêts de longue durée ». « Cela va plutôt dans le sens de la prévention », estime pour sa part Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH, l’association des accidentés de la vie.
Un cadre inadaptée aux trouples psys
« Nous intervenons de plus en plus sur des cas de reconnaissance de syndromes psychosociaux. Il faut en finir avec ce seuil de 25 % qui ne veut strictement rien dire en matière de liaisons psychiques » - Arnaud de Broca, FNATHÇa bouge sur les procédures et les tarifications mais le cadre AT-MP reste en revanche totalement inadapté à la prise en compte des troubles psychiques. Statu quo sur le sujet. Il n’y a chaque année que 200 demandes de reconnaissance de dépressions nerveuses en maladies professionnelles. La dépression ne figurant pas dans le tableau des maladies professionnelles, il appartient donc au salarié de prouver le lien avec le travail, et surtout de justifier d’un taux d’incapacité de plus de 25 %. « Nous intervenons de plus en plus sur des cas de reconnaissance de syndromes psychosociaux. Il faut en finir avec ce seuil de 25 % qui ne veut strictement rien dire en matière de liaisons psychiques », lance Arnaud de Broca. La levée de ce seuil de 25 % d’incapacité figure au programme des 15 propositions formulées par la FNATH dans son livre blanc pour une amélioration de l’indemnisation des victimes du travail. Le sujet est à tiroir. « Il ne faut pas non plus perdre de vue qu’un accident du travail physique peut entraîner quelques temps après une dépression », souligne Caroline Legal. Le constat s’impose : les employeurs ne payent qu’une très faible partie du coût des troubles psychosociaux liés au travail... Et cela va continuer. Une exception avec les hold-ups dans le secteur bancaire, dont les conséquences psychologiques sont reconnues comme accidents du travail. En 2008, chez BNP Paribas, 23,69 % des accidents du travail étaient consécutifs à des hold-ups. À quand le constat de « braquage managérial » ?
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia