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13 / 07 / 2015 | 2 vues
Didier Cozin / Membre
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Après la réforme, la formation n'est plus continue (2ème partie)

Chapitre 2 : Les conséquences d'une réforme inconséquente

Dans un premier article, nous avons tenté de décrire les mécanismes qui ont mené les pouvoirs publics et certains partenaires sociaux à démanteler notre système de formation (pour le remplacer par des bonnes paroles et des vœux pieux). il est nécessaire d’analyser les conséquences de tant d’improvisations et d’incompétence réunies (un rapport sur le fonctionnement du CPF devait d'ailleurs être déposé devant le Parlement chaque année selon l'article L. 6323-9 ; on l'attend toujours).

L'oubli des bénéficiaires

La première erreur (sans doute la plus grave) de la réforme de la formation a consisté à oublier les utilisateurs, à se concentrer sur la tuyauterie (et ses servants) sans se demander si les usines à gaz que l'on montait (en multipliant par exemple les parties prenantes) avaient la plus petite chance d'être utiles aux salariés.

  • Des salariés dégoûtés par la formation ou même empêchés de se former

À mêler tous les dossiers de formation (sauf l'Éducation nationale, bizarrement épargnée) en prétendant mélanger la formation des chômeurs, celle des jeunes en insertion et celle des salariés en poste, on a réussi à rendre le système de formation impraticable et illisible.

Depuis la loi de 2004, la formation des salariés avait pour ambition de rendre les salariés acteurs de leur parcours professionnel, capables de se former en commandant via leur droit à la formation  les formations dont l'employeur avait aussi besoin (il s'agissait d'une co-responsabilité).

Ce mouvement vers une autonomisation et une responsabilisation des salariés a été arrêté net par la réforme de 2014 quand les pouvoirs publics, tout à leur religion du diplôme et du tout État, ont décidé :

  • de limiter l’accès individuel à la formation à des formations certifiantes, coûteuses et longues (rapport de 2006 de Cahuc et Zylberberg) ;
  • d’abandonner le dialogue social sur la formation entre l’employeur et son salarié (le DIF était de la co-responsabilité des deux ; le CPF rend tout le monde irresponsable) ;
  • de contraindre les salariés à entrer dans une vaine logique de comptage d'heures de formation.

Au XXIème siècle, la formation professionnelle ne peut se résumer à la quête d'un titre ou d'un diplôme, ni évidemment à la gestion d'un compteur.

La formation d’un adulte est à la fois un acte libre (la contrainte scolaire n’existe que pour les enfants), responsable (je me forme si j’en éprouve le besoin) et accessible (je me forme si je n’ai pas à endurer un véritable parcours du combattant).

Rien de tout cela n’a été entrepris avec la réforme et son emblématique CPF car on a tout à la fois :

  • centralisé : le compteur qui était une responsabilité (secondaire) de l’employeur est devenu l'alpha et l'oméga d'un dispositif de formation technocratique et désincarné, une fallacieuse sécurisation professionnelle se résumant en fait à un compteur ;
  • complexifié : le circuit d’une demande de DIF était relativement simple et, surtout, la réponse ne dépendait que de l’employeur (même si celui-ci ne jouait pas toujours le jeu). Avec le CPF, on est entré dans le délire organisationnel de l'usine à gaz où le candidat à une formation doit passer par une dizaine de filtres et de barrières, tout en risquant à chaque étape d'être renvoyé dans les cordes ;
  • insécurisé : dans un univers ultra contrôlé et trop règlementé depuis 45 années (la cotisation était assimilée à un impôt), retirer brutalement le cadre légal, c'était provoquer à coup sûr la déroute financière et éducative actuelle.

Mi-2015, les salariés sont dégoûtés de se former.

  • Ceux qui voulaient utiliser leur DIF comprennent (un peu tard) qu’ils ont perdu leurs heures de formation accumulées depuis 2004 (sauf s’ils parviennent à franchir la dizaine d’obstacles et d'inconnues qui se dressent désormais entre eux et la formation).
  • Les moins qualifiés ne peuvent même plus dialoguer avec leur employeur au sujet de la formation (sauf concernant le socle des compétences) et sont renvoyés vers un conseil imaginaires (le conseil en évolution professionnelle) ou vers des instances incapables de leur répondre (les OPCA, les FONGECIF, la Caisse des Dépôts…).
  • Ceux qui étaient peu concernés par la formation (mais auraient pu basculer dans quelques années) ne peuvent s’approprier le CPF (qui se focalise sur des formations diplômantes inaccessibles et souvent inutiles au monde du travail).

Des entreprises qui doutent ou renoncent à former

La tentation était grande de jeter l'anathème sur les entreprises du secteur privé qui auraient monopolisé des sommes importantes pour former leurs salariés (avec un chiffre bidonné mais répété à l'envie de 32 milliards) alors que le malheureux Pôle Emploi aurait peiné à organiser des formations pour ses chômeurs.

Il n’en était évidemment rien et Pôle Emploi ne fait pas un vrai travail d'accompagnement, comme l'a récemment expliqué la Cour des Comptes.

Le second travers de la réforme de la formation (après celui de dessaisir les salariés de leur droit à la formation) a donc consisté à déshabiller Pierre (les entreprises du secteur privé) pour rhabiller Paul (Emploi).

Pour les entreprises qui formaient peu leurs salariés, la réforme a envoyé un signal délétère : ne faites plus rien, on s'occupe de tout pour une quarantaine d'euros par an et par personne (0,2 % de la masse salariale pour un smicard).

  • La réforme a été présentée comme une baisse des cotisations sociales obligatoires (de ce fait, l’effort de formation est en train de passer de 1,6 % de la masse salariale à 1 % désormais, soit une baisse très fréquente de 60 % des budgets de formation des entreprises de main d’œuvre).
  • La réforme a fait disparaître le droit à la formation, le compteur DIF et la demande de formation du salarié à son employeur. L'État Griboulle a prétendu tout savoir et pouvoir faire.
  • La réforme a instillé le doute sur la qualité et l'honnêteté des formations. En fragilisant les entreprises, on les a poussées à l'attentisme et la procrastination (ce qui était une tendance déjà assez prononcée en formation).
  • La réforme a certes organisé des entretiens professionnels et une formation obligatoire de tous les salariés mais à l’horizon 2020.

La réforme a donc cueilli à froid des entreprises, des services de formation et de RH, soumis depuis 2008 à des baisses drastiques de leurs budgets et dont l’existence même est remise en cause aujourd'hui (l’imputabilité des dépenses du service de formation ayant disparu avec la réforme).

Face une réforme très largement impensée et improvisée (le CPF pour 30 millions de personnes mais sans cahier des charges ni appel d'offre public), les entreprises formant peu jettent désormais l'éponge. Elles ne feront aucun effort supplémentaire. On leur avait vendu la réforme comme une baisse des cotisations, elles se rendent compte que le jeu de dupes de la réforme les dessert.

Des organismes financeurs désorientés

Les bras financiers des branches professionnelles qu’étaient les OPCA (organismes collecteurs) sont eux aussi très fortement bouleversés par la réforme. Celle-ci fait reposer une grande partie du conseil aux salariés et aux entreprises mais aussi tout le contrôle sur ces mêmes organismes collecteurs.

Ce que la nouvelle règlementation exige des OPCA (qui collecteront moins de fonds donc disposeront de moins de ressources) est intenable et impossible à réaliser sur quelques mois (ou années) :

  • la mutualisation des fonds de la formation (0,4 % contre 0,5 % auparavant) ;
  • les échanges avec la Caisse des Dépôts alors que la Caisse elle-même n'avait rien prévu et a vu ses prérogatives dévier et enfler après le vote de la réforme ;
  • l’organisation en direct des formations si le salarié décide de ne pas passer par son employeur (formation hors temps de travail sans que l'on sache exactement quel est le statut du stagiaire dans ce cas) ;
  • des reversements multiples et complexes au FPSPP, à l’OPCACIF, aux OCTA, aux entreprises (salaires des stagiaires, remboursement des frais annexes, de garde d'enfants...) ;
  • le contrôle du règlement des contributions formation ;
  • la sélection d’OF susceptibles de mettre en œuvre toutes les formations CPF (plus de 20 000 selon les listes publiées) : font-elles partie des listes, sont-elles éligibles, sont-elles modularisées ?
  • le contrôle de la capacité des OF à mettre en œuvre des formations de qualité ;
  • le règlement financier en direct d’action de formation (y compris à distance, sans fiches de présences) ;
  • le contrôle de l’utilisation du 0,2 % sur trois années en cas d’accord d’entreprise ;
  • la gestion des abondements et le recouvrement auprès des salariés du complément à payer en cas de dépassement de la prise en charge ;
  • la vérification, pour l’intégralité des effectifs des sociétés de plus de 50 salariés, de chaque parcours professionnel de chaque salarié employé en CDI depuis plus de 6 ans  ;
  • l'encaissement d'une somme 3 000 ou 3 900 euros par personne non formée, la transmission des contentieux au service des impôts pour le recouvrement des sommes dues.

Les OPCA (comme les entreprises, les salariés et les organismes de formation) sont donc perdus par la réforme. Ils tentent de survivre dans un univers instable et insatisfaisant fait d’improvisations règlementaires, d’ambiguïtés et d’insuffisance flagrante de moyens financiers.

Des organismes de formation sans stagiaire.

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Comme vous le signalez dans votre article, la réforme de la formation a actuellement des conséquences dramatiques, notamment pour les petits organismes et les indépendants. Les témoignages se multiplient mais malheureusement restent invisibles dans un système qui cherche à rationaliser le marché de la formation avec une réduction du nombre d'acteurs. Le CPF en lui-même aurait pu être un bon dispositif, si les formations accessibles n'étaient pas autant réglementées. Nous avons relayé via notre article "Réforme de la formation : ce qu’en pensent les centres de formation" une pétition du mouvement "Les Hiboux", qui a recueillie de nombreuses signatures et témoignages. Pour lire l'article : http://www.formaltis.fr/reforme-de-la-formation-ce-quen-pensent-les-centres-de-formation/