Organisations
Agilité pour les « hauts potentiels » de Canal+ ou casting hasardeux ?
Si SFR se cherche un nouveau patron, Canal+ continue de perdre ses « hauts potentiels » qu’elle vient pourtant de recruter...
Mais pourquoi les grands patrons ne résistent pas plus de quelques mois à la tête d'affaires pour lesquelles ils ont été embauchés ? Mystère ou erreur de casting ?
Reprenons, il y a quelques semaines, Samantha Etienne, débauchée de L’Oréal alors qu’elle était directrice en charge du marketing international depuis 2007, est repérée par Maxime Saada. Elle est engagée en 2011 comme directrice du marketing distribution du groupe Canal+. Las, 18 mois plus tard, voilà Samantha repartie vers le luxe cette fois côté LVMH. Elle aura quand même eu le temps de faire venir à Canal quelques proches dont Claire Basini, directrice marketing CanalSat, qui a commencé sa carrière en 2003 elle aussi, chez L’Oréal.
Autre haut potentiel débusqué à grands frais, Pierre Harand. Ce directeur de la publicité chez Microsoft devient en octobre 2011 le directeur de la stratégie pour le groupe Canal+. Il remplace à ce poste Julien Verley, qui occupait la fonction par intérim après le départ de Maxime Saada parti vers la direction du pôle distribution. Un passage éclair de quelques mois alors qu’il aurait dû personnaliser le renouveau de notre approche technologique, plus de jeunesse geek dans un monde vieillissant. Ce sera ailleurs.
Nouvelle annonce révélée hier par Satellifax puis confirmée par Le Figaro, la dernière grosse prise de Canal+, Raphaël De Andréïs, s’en va pour rejoindre l’agence Havas comme numéro 2 de cette entreprise. Il rejoint ainsi une entreprise de Bolloré, lui-même premier actionnaire de Vivendi. Un incroyable passage éclair alors que Raphaël nous a été présenté comme le meilleur des meilleurs pour reprendre la suite de Rodolphe Belmer à la tête du pôle crypté. Conséquence d'un choc culturel ? Possible, surtout lorsque l'on intègre un groupe aux multiples chausses-trappes.! Lisez notre blog avant de postuler...
- Trois noms, trois parcours bien différents, trois personnalités qui auraient dû accompagner la mutation en cours de Canal+, et finalement trois échecs.
On n’intègre pas aussi facilement Canal+...
Canal+, entreprise complexe, ne s’apprivoise pas avec le seul bagage aussi prestigieux soit-il. Malgré les bouleversements que cette entreprise subit depuis quelques années, Canal+ sait depuis toujours se faire mériter.
Mais les raisons de ces départs ont certainement des causes multiples et diverses selon que l’on se tourne vers l’édition, de la distribution ou de la direction générale.
En distribution, on ne vend pas Canal+ comme on commercialise du produit de beauté. Au-delà de la compétence technique, c’est toute la finesse de l’organisation qui doit être comprise, intégrée et acceptée pour que la greffe ait une chance de prendre. Dans le cas présent, les bouleversements permanents des organisations de la distribution de ces dernières années ont générés plus d’incompréhensions qu'adhésions.
Côté édition, la nouvelle distinction « gratuit », « crypté » ne se vit pas de la même façon selon que l’on arrive d’une entreprise de marketing, aussi prestigieuse soit-elle, ou que l’on prend la suite d’affaires maîtrisées depuis des années dans le sillon tracé par Rodolphe Belmer. Ara reste, Raphaël s'en va. Arcanes et rouages des pouvoirs encore et toujours…
Quant à la stratégie, on ne remplace pas le « brillant » Maxime Saada aussi facilement, et la carte de visite Microsoft ne saurait être un sésame suffisant pour affronter les plus hautes autorités de Canal+ en la matière.
Mais un autre élément pourrait être facteur déstabilisant, c’est évidemment le flou total sur la stratégie de notre actionnaire. Médias ou télécom, médias et jeux, médias & musique, médias tout court, tous les scénarios sont aujourd’hui sur la table et la seule nouvelle du jour est le départ de Jean Yves Charlier du board de Vivendi pour celui de SFR. Pendant ce temps, les patrons rongent leur frein, les dauphins n’en finissent plus de se languir, les salariés de se questionner. Et le jeu de chaises musicales de se gripper un peu plus, obérant la carrière de nombre d’ambitieux. Patience messieurs-dames, c’est sûr, ça va bouger, mais quand ?
Pendant ce temps, la période probatoire des nouveaux arrivants se réduit à peau de chagrin.
Canal+ serait-elle devenue en quelques mois un tube à essai pour « hauts potentiels », une direction tournesol en recherche d’un renouveau hypothétique ?
Pourquoi cette frénésie à aller chercher ailleurs ce que nous avons sûrement en interne ?
C’est une énigme qui a peut-être pour fondement « l’agilité » revendiquée par notre DRH comme un objectif structurant pour l’année 2013.
Oui, l’agilité elle est bien là : aussitôt recruté, aussitôt remercié.
Dans l’histoire de Canal+, seule la période de crise des années 2000 avait vu une valse de dirigeants aussi rapide. Depuis, c’était plutôt la stabilité. Aujourd’hui, agilité pourrait se traduire par instabilité. Ce grand mouvement brownien a débuté voilà quelques mois par la nomination à contre-courant de responsables très éloignés de leurs compétences de base. Peut-on être compétent partout tout le temps ? On s’aperçoit que ce modèle présente des limites car pour qu’il soit opérant, il faudrait le poursuivre à plus grande échelle à tous les niveaux de l’entreprise. Chiche, puisque nous expérimentons…
Plus simplement, les potentiels pour le Canal+ de demain se trouvent en son sein, il suffit d’ouvrir les yeux et de ne pas les remercier trop tôt. Inutile de dépenser des dizaines de milliers d’euros en cabinets « de chasse », inutile de fragiliser pendant des mois des organisations qui parfois n’en peuvent plus avec des salariés épuisés ou inquiets.
Valorisons la richesse managériale disponible plutôt que rechercher à tout prix l’innovation par la greffe de nouvelles pousses qui n’arrivent finalement pas à s’intégrer. Du temps de perdu alors que nous devons avancer à grand pas pour faire face aux défis du moment. De l’argent gaspillé alors que partout, on racle les fonds de tiroirs pour maintenir des objectifs financiers inconsidérés. Il n’y a pas de recette miracle pour le changement. Cela vaut autant en politique quen économie. Mais nous savons que tout faire bouger en même temps tout le temps ne favorise ni les affaires, ni l’organisation ; nous en avons la preuve chaque jour un peu plus.
Erreur de casting, erreur de positionnement, exigences démesurées... Un peu de stabilité et de clarté s'il vous plaît et tout ira déjà mieux !