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France Télécom Orange fiche ses salariés et robotise ses managers
L'utilisation de fichiers agrégeant des informations personnelles sur les salariés est une pratique que beaucoup de grandes entreprises utilisent pour discriminer la gestion du personnel et ce sur des critères qui n'ont plus rien à voir avec le travail et l'expérience professionnelle des salariés : par exemple l'âge ou la fragilité sociale des gens (le coefficient familial, la situation matrimoniale etc).
- Mais le fichage des salariés est aussi un moyen de « robotiser » la gestion et le management du personnel, en remplaçant la prise en compte du travail réel des équipes par des données comptables adaptées aux ratios et aux directives financières venues d'en haut.
Pourquoi donc France Télécom Orange vient de (re-)constituer un fichier de données personnelles sur tous ses salariés ?
En informant ses salariés de la constitution du fichier, France Télécom Orange écrit « aucune donnée confidentielle vous concernant n'est visible de votre management ».
France Télécom Orange considère donc que ne sont pas confidentiels et sont du domaine public, car consultable de fait par les 13 000 managers de l'entreprise sans l'avis et le contrôle du salarié concerné (1), les données personnelles telles que :
- la date et le lieu de naissance,
- l'adresse personnelle,
- les téléphones personnels,
- les personnes à prévenir ou les ayant-droits,
- les coordonnées bancaires,
- le numéro de Sécurité sociale,
- la situation matrimoniale,
- le nom du conjoint (qui n'est pas salarié d'Orange),
- l'identité et date de naissance des enfants etc.
On peut se demander pourquoi l'entreprise constitue un tel fichier de données personnelles sur ses salariés et pour le compte de ses managers : chacun appréciera le lien entre ces renseignements et le travail quotidien des agents ou leur métier...
Mise en concurrence « assistée par ordinateur »
Pour la CFE-CGC, « c'est la porte ouverte à une mise en concurrence des salariés les uns avec les autres, et à leur mise en concurrence « assistée par ordinateur ».
La direction appelle cela un « outil de pilotage » accessible aux 13 000 managers de l'entreprise.
La direction n'a pas fait d'évaluation sérieuse des risques (détournement ou vol des données, usurpation d'identité, intelligence économique...) ».
Mais le fichage du personnel touche aussi le travail des salariés
Orange considère aussi que ne sont pas confidentiels, puisque consultables par les managers sans l'avis et le contrôle du salarié (1), les éléments de sa situation professionnelle tel que :
- le statut (fonctionnaire, contractuel, stagiaire...),
- la date d'effet,
- le grade ou groupe d'emploi,
- le régime de travail,
- la rémunération avec des éléments très détaillés reprenant grosso modo tous ceux du bilan social individuel, mais aussi l'abondement lié au choix de placement de l'intéressement, l'évolution de la rémunération etc.
Comme l'explique le syndicat SUD, « en mettant en route cet outil, nul doute qu’il s’agit pour la direction du groupe d’exiger plus fortement encore des managers qu’ils assument des choix et des principes imposés (en national) » :
- En imposant ce fichier « RH » aux 13 000 managers du groupe, l'entreprise robotise un peu plus la fonction de ces responsables qui, pour évaluer et rémunérer leur personnel, n'auront d'autre choix que d'appliquer les critères et directives nationales élaborées avec ce fichier.
Nul besoin de fichier pour organiser la coopération et évaluer le travail réel des équipes, mais il faut bien un fichier ad hoc pour discriminer les salariés et les mettre en concurrence les uns contre les autres au gré des objectifs du jour.
Quels sont les moyens dont dispose le personnel pour faire respecter la loi et ses intérêts ?
France Télécom Orange a constitué ces fichiers et les a mis en place sans négociation avec les représentants du personnel, sans présentation en CE ou CHSCT, et sans que les personnes fichées puissent en contrôler réellement le contenu et l'usage.
Dans une période où Orange se lance à nouveau dans la suppression d'emplois à grande échelle, (voir l'article « Orange, le retour des mobilités forcées ? ») on est en droit de s'inquiéter de voir l'entreprise reprendre à son compte de telles pratiques. On se rappellera l'usage déjà fait par Orange de tels fichiers, comme la mise au rebut des salariés triés par age et dépassant la cinquantaine : voir à ce sujet le reportage de France 5 sur « la mécanique Orange ».
La CNIL (prescripteur de la transparence des fichiers) et la justice (garante du droit des personnes) n'interviendront que sur plainte argumentée des personnes lésées. Il reste dans les prérogatives des élus du personnel, CE et CHSCT de demander une expertise du contenu, du contrôle et de la gestion de ces fichiers, mais aussi d'évaluer leur usage et leur capacité de discrimination du personnel dans un contexte mettant en cause l'avenir professionnel et la santé de ceux qui seraient discriminés.
- Pour aller plus loin > Voir le dossier « Gouverner par les fichiers » de la revue Mouvements (n°62, avril 2010).
(1) Les déclarations de ces fichiers à La CNIL ne font que préciser leur usage par l'entreprise : déclaration n° 46 autorisant la mise à disposition et l'affichage pour chaque salarié des données « constituant leur dossier RH ». Autrement dit, Orange s'attribue au préalable l'autorisation de ficher le personnel et de constituer un « dossier RH » de données personnelles sur ses salariés, dont le contenu montre qu'il est sans lien avec leur travail. Déclaration n° 45 autorisant la mise à disposition et affichage aux managers hiérarchiques des données RH des collaborateurs de leur équipe, c'est-à-dire du dossier RH évoqué dans la déclaration 46.
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