Organisations
Développement de la formation : comment sortir des imprécations ?
La formation est en France un sujet consensuel, tout le monde est pour et chaque grande négociation sociale (comme lors de l'accord du 11 janvier 2013) la met en avant, sans parvenir à la rendre efficace et praticable par le plus grand nombre.
En septembre 2003 déjà, quand les partenaires sociaux sont parvenus à un accord pour développer la formation tout au long de la vie, ils ont imaginé un révolutionnaire droit individuel à la formation (DIF) censé refonder une formation professionnelle dont tout le monde disait (déjà) le plus grand bien (personne n’est contre la formation) mais dont chacun reconnaissait les défauts : trop complexe, trop chère, trop mal répartie entre les salariés.
Malheureusement, les partenaires sociaux n'ont fait que la moitié du chemin : ils ont donc inventé le droit individuel à la formation mais sans le doter d’aucun régime financier certain (le DIF pouvait être financé sur le plan de formation des entreprises, sur des fonds mutualisés par un organisme collecteur ou bien par les FONGECIF en cas de désaccord avec le salarié).
La situation était la suivante : vous avez certes un droit à la formation (comme un droit au travail ou à la qualification) mais sans d’argent pour le réaliser.
En 2004, plusieurs commentateurs ont comparé le droit à la formation (DIF) au droit aux congés payés de 1936. Il y a pourtant une différence essentielle : depuis 1936, les congés sont payés par les employeurs qui provisionnent des sommes à cette fin. En 2004, les formations dans le cadre du DIF ne sont pas provisionnées et sont rarement payées par des employeurs qui renâclent ou renvoient dans les cordes pour des motifs extra-légaux les intrépides travailleurs qui demandent leur DIF.
Depuis les années 1970, notre pays a contracté une formidable dette formation. Depuis 2004, près d’un milliard d’heures de DIF ont par exemple été cumulées dans les entreprises sans que personne ne sache désormais comment les financer.
Il faut bien comprendre la situation de la formation des travailleurs peu ou pas qualifiés en France. Depuis les premières lois sur la formation (loi Delors de 1971), les entreprises cotisent un faible montant pour la formation (de 0,5 à 1,6 % de la masse salariale). Toutefois ces sommes sont :
- consacrées en premier lieu aux salariés les plus qualifiés (6 % des salariés bénéficient de 50 % des financements) ;
- utilisées pour les formations obligatoires ou règlementaires (qui ne concernent jamais le développement des compétences) ;
- ou plus simplement destinées à payer les salaires et frais annexes à la formation (le déplacement et la rémunération des cadres venant à Paris se former ou le fonctionnement d’une coûteuse formation interne à l’entreprise).
Bref, les chiffres sont trompeurs et même si le secteur privé (celui où les travailleurs sont soumis à la concurrence internationale et dont l’emploi n’est pas garanti) dépense environ 12 milliards d’euros tous les ans en formation, une faible part de ces sommes est consacrée à la formation tout au long de la vie des travailleurs les moins qualifiés.
Une étude conjointe DARES-CEREQ-INSEE nous apprenait en 2010 que 10,5 % des entreprises en France avaient une réelle politique de développement des compétences et de l’employabilité. Sur l’agenda communautaire 2020, tous les pays européens sont censés envoyer au cours d’un mois 15 % de leurs salariés en formation. La France envoie aujourd’hui 5 % de ses salariés en formation tous les mois, elle occupe la 24ème place de ce classement européen qui en compte 27).
- Si on peut apprécier l’accord signé le 11 janvier 2013 pour la sécurisation des emplois (avec un article 5 créant désormais un compte personnel formation), il faut savoir lire entre les lignes et comprendre toutes les chausses-trappes que ce compte personnel de formation pourrait bien connaître avant d’être utilisable pour partir effectivement en formation (la formation ne doit pas seulement être une promesse).
En effet, décider que les salariés licenciés partiront avec l’intégralité de leur compteur DIF (soit 120 heures maximum) sans que celui-ci soit monétisé à hauteur de 9,15 euros par heure de DIF (une réminiscence des contrats pro des années 1990, qui étaient payés 60 francs) est certes positif mais il serait bien plus pertinent de porter sur ce compteur une somme fixe et annuelle, payée par l’employeur et destinée à la formation de son salarié.
Alors qu’une véritable urgence sociale est révélée quotidiennement par la crise de 2008, on a l’impression que le pays tout entier, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux courent sans cesse après la conjoncture, tentent d’éteindre les incendies qui se déclenchent partout (déficits des régimes sociaux, plans sociaux, désorganisation de nombreux services publics), tout en agissant toujours trop peu, trop tard ou trop lentement.
Pourquoi sommes-nous endettés (et pas seulement auprès du monde financier) ?
Depuis 20 ou 30 ans, la France a contracté une véritable dette de formation auprès de ses travailleurs non qualifiés. Voulant aider les travailleurs peu qualifiés (avec des dégrèvements et aides pour les employeurs), elle les a en fait maintenus dans la non-formation, la faible qualification et l’absence de promotion professionnelle et sociale. En gros, peu importait la qualité du travail (et ses conditions d’exercice) seuls comptaient le présent, la dernière ligne sur la fiche de paie, le net à payer.
Ce modèle industriel, où l’on formait seulement les plus qualifiés en laissant l’immense majorité des travailleurs seuls à la manœuvre, ne peut plus tenir. La société du savoir et de la connaissance impose une réévaluation permanente des connaissances et des compétences de chacun.
Le modèle ancien du travail physique (et en miettes) se décompose sous nous yeux sans que les pouvoirs publics, les partenaires sociaux ou même les employeurs ne parviennent à changer la donne.
L’argent manque peut-être mais c’est surtout l’anticipation, la projection dans l’avenir et la confiance dans le système de formation qui font aujourd’hui défaut en France.
Disposer d’équipements, de machines ou d’infrastructures de qualité était certes important après la seconde guerre mondiale. C’était l’enjeu majeur durant les 30 glorieuses : rattraper notre retard industriel en modernisant nos infrastructures et notre outil de travail.
Aujourd’hui, en France, point n’est besoin de nouveaux aéroports (Notre-Dame-des-Landes), de nouvelles lignes de TGV (Lyon-Turin), d’un métro coûteux tout autour de Paris (ce ne sont plus les travailleurs qui circuleront à l’avenir mais avant tout le travail sur les réseaux de télécoms) ou d’établissements scolaires supplémentaires. Non, la France est désormais suffisamment équipée matériellement. Il lui manque désormais un autre type d’équipements : celui de la pensée.
L’école et la formation professionnelle sont restées élitistes alors que ce n’est plus d’une main d’œuvre nombreuse et peu qualifiée que le pays a besoin (elle existe en Chine et ailleurs et nous ne battrons jamais les 2 milliards de travailleurs pauvres dans le monde), notre pays a besoin de travailleurs compétents, confiants en leur avenir social et professionnel et soucieux de développer leurs connaissances avec le soutien de leur employeur.
Notre pays ne pourra éternellement compenser par la dette et le social les centaines de milliers d’emplois qu’il perd tous les ans (le rythme depuis l’été dernier est désormais de 500 000 par an).
Ces emplois perdus sont pour un grand nombre des emplois peu qualifiés que le pays a favorisés depuis les années 1980 et qui désormais sont encore trop coûteux pour rester en Europe de l’Ouest.
Notre pays doit de toute urgence (et ceci bien avant que les travailleurs pauvres ne perdent leur emploi) faire monter en compétences ses 3 millions de travailleurs illettrés, le personnel ne parlant pas anglais (comment peut-on exporter dans le monde si personne en France ne parle anglais ?), ces travailleurs qui n’ont pas accès à l’ordinateur sur leur poste de travail et ne connaissent de l’informatique que Facebook ou le jeu de la réussite sous Windows.
Les grands sommets sociaux anneuls ou les lois tentant de réformer la formation tous les 3 ans n’y changeront rien, il faut que notre pays décide de financer réellement et sans ambiguïté la formation de ses travailleurs les moins qualifiés. Ceux qui ont la chance d’avoir un emploi doivent non seulement le conserver mais en profiter pour se former car c’est lorsqu’on peut mêler travail et formation que cette dernière est la plus efficace et la plus valorisante.
Les fonds existent, il faut avoir le courage politique et social de les orienter en priorité vers ceux qui en ont le plus besoin dans les entreprises.