Organisations
Conduite du changement : rester statique pour mieux avancer
La nouvelle année a commencé il y a peu et déjà les projets se multiplient pour les entreprises : changements d’organisations, d’ERP, mutation culturelle, fusions d’équipes pour faire des économies… Et la même question partagée par tous : comment faire en sorte que nos salariés soient positifs et acteurs du changement tout en préservant la qualité de vie au travail ?
À force de changer trop régulièrement, on crée un chaos, une confusion généralisée qui fait s’orienter vers l’immobilisme et non vers l’audace
Cette question résulte d’un constat rarement évoqué : certains salariés résistent au changement de manière active (grève par exemple) ou passive (faire semblant d’utiliser les nouveaux outils et dissimuler que l’on fait comme avant) car ils ne cessent de changer depuis des années et ils sont éreintés par la fréquence des changements. La capacité de s’adapter à nouveau semble être en panne. Telle entreprise a mis en place trois hangements d’organisations en deux ans, telle autre a fusionné deux fois des équipes en un an, et la troisième change à nouveau son ERP à la suite de l’échec du dernier, récemment installé. Ce phénomène appelé « change fatigue » s’explique par le fait que la multiplicité de changements finit par créer une perte de repères telle que les équipes ne savent plus ce qu’on leur demande, ni comment le faire et que même les porteurs du projet s’épuisent.
À force de changer trop régulièrement, on crée un chaos, une confusion généralisée qui fait s’orienter vers l’immobilisme et non vers l’audace, pas par confort mais par réflexe de protection contre l’adversité. Chacun finit par se crisper sur les quelques repères qu'il lui restent et qui lui permettent de produire l’activité pour laquelle il est rémunéré. En parallèle la confiance envers l’organisation s’effrite et les équipes développent une motivation purement extrinsèque, c’est-à-dire soutenue par la nécessité d’avoir un salaire ainsi qu’un engagement dit de « continuité », c’est-à-dire que les conséquences d’un départ seraient pour lui trop importantes à gérer. Bien sûr, il est tentant d’imaginer qu’avec un accompagnement du changement adéquat tout se passera bien mais cette croyance finit par davantage ressembler à une « pensée magique » qu’au fruit d’une réflexion basée sur des éléments rationnels : au-delà d’un certain seuil, l’accompagnement du changement ne suffit plus. De même que pour un sportif de haut niveau, un coaching ne soignera jamais une fracture de fatigue, pour une organisation un accompagnement du changement optimal ne pourra pas amoindrir les conséquences d’une trop grande fréquence des changements. En cas de sur-stimulation, seul le repos est préconisé.
Il ne s’agit pas d’arrêter de changer ; qui prônerait l’arrêt de l’adaptation à un monde en perpétuelle évolution ? Celui qui arrêterait de s’adapter pendant un temps aurait une marche d’autant plus haute à franchir lorsqu’il aurait de nouveau à faire face à l’environnement extérieur après sa pause. Non, il s’agit de considérer le changement autrement.
- « Changer », « organiser » et « adapter » sont trois verbes dont la réalité devient plus tangible lorsqu’ils deviennent pronominaux : se changer, s’organiser et s’adapter.
Passé un certain seuil dans la fréquence des changements, changer les organisations, organiser l’activité et adapter les gens devient un exercice aussi périlleux qu’impossible. Il demeure toutefois toujours possible de laisser les gens s’adapter, l’activité s’organiser et les organisations se changer.
Là réside toute la différence : en conservant un cadre stable qui permet de garder les repères sécurisants tout en fixant un cap et en donnant les moyens mais sans prescrire la méthode, on laisse à chacun l’initiative mais surtout l’autonomie et la liberté pour s’adapter comme bon lui semble. L’artisan est toujours plus enclin à utiliser l’outil pour lequel il a opté lui-même que celui qu’on lui a imposé.
Pour être plus clair, laisser les organisations ou les outils qui nécessitent d’être changés tels quels et inviter les salariés à les faire évoluer est plus efficace que d’imposer régulièrement de nouveaux outils ou de nouvelles organisations : le cadre demeure au début le même pour conserver les repères qui favorisent l’émergence de l’audace et des ressources pour s’adapter. On change à l’intérieur du cadre et c’est petit à petit le contour qui se modifie sans brutalité et avec une efficacité renforcée. Par exemple, si l'on souhaite modifier le contenu d’une activité de maintenance pour l’orienter davantage vers les méthodes, on peut partager l’objectif avec l’équipe lors de plusieurs réunions d’échanges et non d’information. Ensuite, on invite l’équipe à s’organiser elle même, c’est-à-dire à penser aux conséquences que cela pourrait avoir pour elle, à identifier ses besoins de connaissances, de compétences ou de structuration de l’activité. Lorsqu’elle aura suffisamment mûri le sujet, elle pourra d’elle-même présenter sa feuille de route à la direction. Elle aura ainsi pu décider sur la base d’un consensus entre ses membres d’un mode fonctionnement adapté à ses besoins et à la réalité de son activité quotidienne.
- Lorsque les changements deviennent très fréquents, il est certes capital d’associer les salariés en amont de la nouvelle organisation pour qu’ils contribuent à la dessiner mais il semble encore plus efficace de les laisser s’organiser eux mêmes pour parvenir aux objectifs. Cela nécessite de faire confiance aux équipes mais ce pari n’est pas si osé qu’il peut le paraître car lorsque la direction choisit de changer l’organisation, elle fait aussi le pari implicite que les salariés en sont capables : le pari de la confiance en la capacité à réussir existe implicitement dans tout changement.
Cette manière de mener des changements fréquents positionne la direction comme un soutien qui facilite l’accès aux ressources sans commander ni chercher à convaincre du bien fondé d’une organisation prescrite par la hiérarchie : inutile de chercher à convaincre de la légitimité d’une organisation lorsque l’on s’adresse à ceux qui l’ont bâtie, ils sont déjà porteurs de la conviction. Il ne s’agit pas d’abandonner les équipes mais de leur permettre de s’adapter sans chercher à faire à leur place. Dans l’exemple du service de maintenance, le responsable s’est positionné en soutien en accordant les ressources nécessaires : l’information, le temps, le cadre propice aux échanges et les arbitrages en termes de formation et de structuration.
Diriger une équipe qui vit des changements réguliers revient à soutenir plus qu’à commander, à faire confiance plus qu’à contrôler, à laisser faire plutôt qu’à faire, à ne pas chercher à installer les changements pour mieux laisser les changements s’installer.
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