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Le DIF est mort, vive le compte personnel de formation !
Au moment où nous rédigeons ces lignes, difficile de dire précisément ce qu’il va advenir du droit individuel de formation. Le compte personnel de formation (CPF) devrait le remplacer mais aucune certitude n’est possible. L’ANI du 11 janvier 2013 est en cours de transposition et le CPF semble poser de sérieux problèmes [1] au gouvernement.
Mais à la lecture de l’ANI et de son article 5, nous pouvons d’ores et déjà nous demander ce que le CPF pourrait concrètement changer pour les salariés. Le texte ouvre de très nombreuses questions et nous avons choisi de traiter celles qui nous ont semblé les plus centrales.
Fin de la monétisation
Contrairement au DIF, le CFP ne devrait plus être monétarisé lorsqu’il sera « transféré », l’intégralité des heures acquises seront potentiellement mobilisables
Il était déjà possible de transférer son DIF mais les conditions sont relativement restrictives. Lorsque le salarié en fait la demande auprès d’un nouvel employeur, la demande doit nécessairement s’opérer au cours des deux années suivant son embauche.
Par ailleurs, les heures de DIF sont « monétarisées ». Les heures de formation acquises au titre du DIF sont alors multipliées par le montant forfaitaire applicable au contrat de professionnalisation (à savoir 9,15 €) et le montant obtenu (9,15 € X 120 heures maximum = 1 098 €) et peuvent être mobilisées pour financer une formation. Autant dire que la décote est plus que substantielle. L’accord vient changer la donne puisque « la transférabilité n’emporte pas la monétisation des heures. Les droits acquis demeurent comptabilisés en heures, quel que soit le coût horaire de la formation ».
Un compte universel, personel et transférable
Le CFP ne se rattache plus au contrat de travail mais le dispositif est directement attaché à la personne.
Comment le CPF a-t-il été qualifié par les négociateurs de l’ANI du 11 janvier ?
- Universel, à savoir que « toute personne dispose d’un compte personnel de formation dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ à la retraite » ;
- individuel : par là, les négociateurs ont souhaité préciser que « chaque personne bénéficie d’un compte, qu’elle soit salariée ou demandeur d’emploi » ;
- et transférable : l’objectif affiché est que « la personne garde le même compte tout au long de sa vie professionnelle et quel que soit son parcours professionnel ».
En résumé, cela signifie que le CPF ne sera pas associé à un contrat de travail mais ce droit à la formation se rattachera davantage à la personne, et cela jusqu’à sa retraite. En réalité, le texte force le trait en mettant en avant l’universalité du dispositif.
- L’accord ne parle pas des personnes qui, après avoir été salariées, font le choix d’exercer une activité sous une autre forme que celle du salariat. Or, quid de leur droit individuel à la formation ? Quid de la portabilité du dispositif s’il sort du statut ? La personne qui déciderait, même temporairement, de travailler sous le statut de libéral ou d’auto-entrepreneur par exemple perdra-t-elle ses droits à la formation ou pourra-t-elle encore les mobiliser ? Cette question n’est pas accessoire puisque 37 % des personnes qui arrivent à l’âge de la retraite ont changé de statut (public, privé, indépendant) au cours de leur carrière [2].
La gestion de l’information du CPF : un chantier à construire
Outre la question de l’étendue de la portabilité des droits, la gestion de l’information se pose. Il n’existe pas, à notre connaissance, de base de données permettant de centraliser l’ensemble des données relatives au DIF, qui pourrait être activée pour le CPF. Or, les enjeux financiers deviennent complexes (traçabilité de l’information sur l’ensemble des carrières) et les sommes en jeu sont très importantes. Aujourd’hui, avec le DIF, le solde d’heures acquises et non utilisées figurent sur le certificat de travail remis au salarié à son départ de l’entreprise. L’information circule donc sur une feuille volante, les contrôles des informations s’avèrent limités, les risques de pertes d’informations sont évidents. Demain, avec le CPF, il nous semble important qu’une attention particulière soit portée à la gestion de ces informations sous peine d’avoir un système désorganisé.
Avec le CFP, les personnes vont-elles davantage maîtriser leur évolution professionnelle via la formation ?Comparé au DIF, le CFP donnera davantage de moyens théoriquement mobilisables. Toutefois, le dispositif continuera de reposer sur un leurre : qu’est-ce qui garantira à un salarié ou à un chômeur de pouvoir contraindre les entreprises ou Pôle Emploi à financer les formations dont ils ont besoin pour agir sur leur évolution professionnelle ? Le DIF et le CFP ne sont et ne seront pas des droits opposables. Ces deux dispositifs sont conditionnés à la bonne volonté de leurs financeurs.
- À la lecture de l’ANI du 11 janvier, rien ne change, et le droit à la formation reste un droit à conquérir.
Chaque année, seulement 6 % des salariés en moyenne utilisent leur DIF. Au regard de la faible utilisation du dispositif, les compteurs explosent et depuis 2007, le taux d’utilisation [3] du dispositif se dégrade régulièrement pour être inférieur à 3 %. Pour reprendre la conclusion du CEREQ concernant le DIF, « le bilan n’est pas très encourageant ». Tant que les entreprises ne seront pas amenées (pour ne pas dire contraintes) à jouer le jeu, il est illusoire de penser que le CPF change la donne [4].
[1] Pour se former.
[2] « Public, privé, indépendant : des changements de statut nombreux au fil de la carrière », Chloé Tavan, in L'emploi, nouveaux enjeux, 2008, pp. 73-84.
[3] Le taux d’utilisation du DIF se calcule en rapportant le nombre d’heures de formation ouvertes aux nombre d’heures effectivement utilisées.
[4] Sur le bilan du DIF réalisé par le CEREQ (mai 2012).
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