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19 / 01 / 2017 | 104 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Auchan : il ne fait pas bon être enceinte pour le management

« Auchan, la vie, la vraie… ». Derrière ce slogan commercial, le quotidien de travail des salariés de cette enseigne de la grande distribution appartenant à la famille Mulliez (l'une des plus grosses fortunes de France, estimée à 37 milliards d’euros) n’a rien d’idyllique.

De récentes affaires médiatisées par les syndicats, illustrent la dure réalité de travail des salariés soumis à des méthodes managériales virant à la tyrannie et à la maltraitance...

Valérie Forgeront a fait le point pour FO Hebdo cette semaine.

À Tourcoing près de Lille, une jeune caissière de 23 ans employée chez Auchan en contrat de professionnalisation dans un supermarché a fait une fausse-couche sur son lieu de travail, le 22 novembre.

Enceinte de trois mois, subissant une grossesse difficile, la jeune femme a expliqué qu’en poste à sa caisse, elle avait demandé à plusieurs reprises à sa hiérarchie de lui accorder des pauses afin de se rendre aux toilettes. Elle était victime de fortes douleurs et a fait une hémorragie. Sa hiérarchie lui a toutefois refusé le droit de quitter sa caisse, a expliqué la jeune employée.

Depuis, elle a porté plainte pour non-assistance à personne en péril et mise en danger par non-respect d’une obligation de prudence ou de sécurité. L’inspection du travail a été saisie de l’affaire et une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet de Lille. La direction du magasin affirme de son côté que la jeune femme n’a sollicité aucune pause.

S’appuyant sur les conclusions de l’enquête réalisée par le CHSCT, la direction assure qu’il n’y a aucune faute ou erreur à imputer à la hiérarchie. Elle remarque seulement que la proximité managériale aurait pu être, sur ce cas précis, plus forte.

Sur un autre cas, la proximité n’a pas manqué. Ainsi, en juillet dernier, une cliente a été interpellée à la sortie du magasin pour le vol d’une boite de sauce tomate. Elle a mis en cause une caissière de 41 ans, affectée aux caisses minute (scan des achats par le client). Accusée d’avoir intentionnellement fraudé, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire pour faute grave puis licenciée pour ce préjudice de 85 centimes ! Elle a finalement été réintégrée, la cliente ayant avoué le vol.

Autre magasin Auchan, autre affaire (récente) pour une salariée. En janvier, le syndicat FO du site (majoritaire avec 67 % des voix aux dernières élections professionnelles) a révélé cette sinistre affaire et pris la défense de la jeune femme.

L’histoire se déroulait en décembre dans le département du Vaucluse, dans la ville du Pontet.

L’hypermarché Auchan de 18 000 m2, comptant 600 salariés, est le plus gros employeur du département. Le salaire moyen au Pontet est d’environ 1 550 euros bruts/mois. La participation des salariés a été divisée par 2 en cinq ans. Les hausses de salaires sont faibles, de l’ordre de 0,5 % par an. Les salariés ne reçoivent plus qu’une prime, en mars, hors prime annuelle [sorte de 13ème mois, NDLR].

En parallèle à cette situation, le site Auchan du Pontet bénéficie de 840 000 euros par an au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Au plan national, Auchan bénéficie de 68 millions par an au titre du CICE, indique Pascal Saeyvoet (délégué central FO d’Auchan).

En quoi la récente affaire d’Auchan Le Pontet paraît-elle inhumaine ? L'une des caissières, une jeune femme de 19 ans était sous contrat de qualification professionnelle (CQP) depuis le 24 octobre (jusqu’au 5 mai). Jean-Michel Prud’homme, délégué syndical FO du site, explique ce qu’était son statut et ses conditions de travail. Elle travaillait alors 35 heures par semaine. Titulaire d’un bac, elle était payée 80 % du SMIC (soit 6,60 euros/h). Au plan de ses horaires, on constate qu’elle a parfois travaillé après 21h30, indique le syndicat.

Le 22 décembre, cette salariée a informé sa hiérarchie, son « chef de secteur caisse », qu’elle était enceinte, de sept mois. La jeune femme a ensuite expliqué que la responsable lui a alors tendu une feuille et déclaré : « signe et dégage ». Impressionnée, la salariée a signé et est partie. Elle venait de signer sa démission.

Informé, le délégué syndical a alors rencontré la direction du magasin. Celle-ci l’a informé que la salariée aurait commis des irrégularités sur sa caisse. Il n’y avait toutefois aucune procédure disciplinaire engagée. L’affaire est floue, si floue que la direction a appelé l’employée pour l’informer qu’elle était réintégrée. Mais le 24 décembre, alors que la jeune caissière venait de reprendre son poste, la direction lui a annoncé qu’elle était visée par une procédure pour faute assortie d’un entretien d’où peut découler un licenciement. Joyeux Noël !

Le 26 décembre, la direction lui a annoncé qu’elle pouvait partir en congé pour maternité. Logique. L’accouchement était prévu pour le 5 ou 6 février. Le 27 décembre, autre annonce. La direction l’a informé que la procédure contre elle était caduque et qu’en conséquence il n’y aurait pas d’entretien. Le 28 décembre, la jeune femme a accouché en urgence.

La situation de stress et d’angoisse peut être l'une des causes de cet accouchement prématuré, estiment des médecins avec lesquels nous nous sommes entretenus, indique Jean-Michel Prud’homme. Par ailleurs, la réputation de cette jeune femme a été salie par la direction dont l’attitude a été totalement incohérente, si'rrite le militant. C'est intolérable.

Au cours de cette affaire, le syndicat FO a fait une lettre à la direction en pointant les problèmes de management dans l’entreprise. Le syndicat, qui a alerté le ministère du Travail, a aussi saisi l’Inspection du travail mais n’a toujours pas de réponse. Cela inquiète le syndicat. Cela fait des années que nous alertons l’Inspection du travail pour des problèmes de management. En quatre ans, trente saisines sont toutefois restées sans réponse.

Alors que le père de la jeune caissière, reçu ce 17 janvier par la direction d’Auchan Le Pontet, envisageait ces derniers jours d’engager une procédure en justice contre le magasin, le syndicat  cherche toujours de son côté à démêler cette affaire, notamment au plan de prétendues irrégularités commises par cette caissière.

Nous avons demandé à la direction d’avoir accès aux données des caméras de vidéosurveillance… Or nous attendons toujours, ironise Jean-Michel Prud’homme. La direction disposait d’un délai de quinze jours pour conserver les données de vidéosurveillance et au besoin saisir le procureur de la République pour une procédure, explique-t-il. Ce qu’elle n’a pas fait.

Pour le militant, les accusations menées par Auchan visent surtout à détourner l’attention du vrai problème : le management. Un management souvent défaillant, explique en substance le délégué central FO d’Auchan Pascal Saeyvoet. Chez Auchan, l’activité de ressources humaines ne constitue pas un vrai métier ; cela relève d’une promotion interne, regrette-t-il.

Cette situation a des conséquences. Les employés de ces services ont des problèmes de compétences. Ils méconnaissent le droit, tentent de faire pression, de s’immiscer parfois dans le fonctionnement des instances des salariés….

Ces services n’accompagnent pas les managers, lesquels ont peur de contredire les directeurs de magasins… Lesquels ont eux-mêmes des objectifs commerciaux à atteindre. Quant aux employés, ils n’ont aujourd’hui que le droit de dire « oui » et surtout pas d’être des contestataires. Illustration des difficultés vis-à-vis du dialogue social dans le groupe, une élue FO d’un magasin Auchan du Rhône est ainsi en arrêt maladie pour dépression, indique Pascal Saeyvoet.

Ces ambiances pour le moins délétères sont exacerbées par un contexte de restructuration. Depuis 2002, il y a eu au moins quatre plans dits « de transformation ». En clair, ces plans des PSE ont mené à la suppression de 10 000 postes équivalent temps plein. Le dernier en date (pacte 2014-2016) a induit le départ d’un millier de cadres.

Auchan va-t-il donc si mal ? Pas vraiment. Auchan France, qui détient 140 sites (hypermarchés, logistique, SAV), connaît des difficultés depuis trois ans, explique Pascal Saeyvoet. En revanche, à l’étage au-dessus, le groupe Auchan se porte bien. Il a ainsi dégagé 600 millions de bénéfices en 2015, relève le militant précisant par ailleurs que les bénéfices des diverses entreprises (y compris hors Auchan) détenues par la famille Mulliez ont rapporté à cette dernière 1 665 millions en 2015.

Malgré cette situation confortable du groupe, les projets de restructuration se poursuivent chez Auchan France. Actuellement, le syndicat s’inquiète d’un projet, annoncé dès l’an dernier, visant à supprimer 20 % des postes d’hôtesses de caisse (actuellement 12 000). À ces postes supprimés se substitueraient des caisses automatiques.

Le syndicat conteste aussi actuellement l’ouverture des magasins le dimanche. À ce jour, trente magasins ouvrent le dimanche, indique Pascal Saeyvoet. Dimanche 22 janvier, on en un de plus : l’hyper Auchan V2 de Villeneuve d’Ascq, près de Lille. Il appelle à un rassemblement de protestation dès 10h00 devant le magasin, clients inclus.

Au Pontet, hors l’affaire de la jeune caissière, les militants FO attendent  une décision de la Cour de cassation. Protestant contre l’ouverture du magasin tard le soir, le syndicat avait contesté devant la justice la mise en œuvre du travail de nuit (légalement de 21h00 à 6h00) et ses modalités devant la justice. La vie chez Auchan n’est pas un long fleuve tranquille pour les salariés.

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