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27 / 07 / 2015 | 4 vues
Didier Cozin / Membre
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Après la réforme, la formation n'est plus continue (3ème partie) : les organismes de formation dans la tourmente

Les ravages de la réforme sur les organismes de formation

Si les pouvoirs publics cèdent désormais assez facilement aux diverses pressions de la rue : taxis, routiers ou agriculteurs (qui obtiennent 600 millions d'euros d'aides en 3 jours de conflits), ces mêmes pouvoirs publics n'ont pas les mêmes égards (ou simple respect) pour les 150 000 formateurs qui travaillent (souvent pour le SMIC) à accompagner les travailleurs de notre pays.

Il y a certainement une prime à la « grande gueule » ou pour faire durer les symboles d'une classe laborieuse déclinante (mais médiatique) : une grande usine qui ferme interpelle bien plus les pouvoirs publics (capables de subventionner à hauteur de 1 million d’euros chaque emploi préservé) que la déconfiture de centaines de TPE, des petits commerces, d'artisans ou encore de nombres d'organismes de formation faisant faillite depuis janvier 2015 (entraînant souvent les 3 D : dépôt de bilan, divorce et dépression).

Cette crise qui ébranle tout le système de formation (et donc ses opérateurs privés) a été provoquée de toutes pièces par l'État

Les pouvoirs publics ont entraîné depuis deux ans le marasme social et financier en multipliant les approximations éducatives (des salariés qui auraient besoin de diplômes pour garder leur travail ou en retrouver), les dispositifs inefficaces ou improvisés (on casse le droit à la formation pour lui substituer un nullissime compteur (conteur) d’heures de formation) ou encore les mesures chimériques (un conseil en évolution professionnelle qui ne sera pas utilisable avant de nombreuses années).

La réforme de la formation visait en fait 3 objectifs plus ou moins avouables :

  • réorienter une part significative des fonds de la formation du secteur privé vers le traitement social du chômage (on occupe les chômeurs à défaut de leur offrir un avenir professionnel). Selon la vision behaviouriste en cours dans notre pays, le chômage viendrait de l'inadéquation entre le niveau de formation des chômeurs et les besoins des employeurs et du marché du travail. Plus d’argent pour former les chômeurs permettrait donc mécaniquement de faire régresser massivement le chômage (un stagiaire de la formation n’étant plus par miracle comptabilisé comme chômeur !) ;
  • favoriser les organismes publics de formation via des homologations ou des certifications mélangeant allègrement formations initiales (la formation de vacher-berger d'élevage en 800 heures dans le Bugey !) et formations professionnelles continues (forcément courtes et d'adaptation pour une majorité de salariés en poste) ;
  • limiter drastiquement le nombre d'organismes de formation privés en France sous prétexte que leur nombre nuirait à la qualité ou à l'efficacité des formations (un peu comme si on décrétait que 10 fois moins de médecins ou de cliniques permettraient de mieux soigner les malades !).

Pourquoi le nombre de 58 000 organismes de formation poserait-il problème ?

À cette question, les pouvoirs publics sont bien incapables de répondre ou alors avec ce fallacieux exemple d'une Allemagne comptant certes 2 000 organismes de formation mais oubliant au passage que les jeunes sortant de l'école sont tous formés dans des entreprises privées outre-Rhin.

Si notre pays compte donc plusieurs dizaines de milliers d’organismes de formation (comme il compte plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs, des dizaines de milliers de professionnels de la santé ou des milliers d’établissements scolaires…) c’est aussi parce que cette diversité est une richesse pour les millions de TPE qui peuvent compter sur des formateurs indépendants, proches du travail et capables de s'adapter au tissu professionnel (y compris en termes de prix). 

En fait, on reproche aux organismes de formation d'être trop nombreux alors que la plupart d'entre eux n'a souvent pu grandir d'un écosystème trop complexe et biaisé :

  • un marché protégé au sein duquel la concurrence ne peut s’exercer librement (le meilleur exemple étant la formation des fonctionnaires territoriaux, obligés de passer par un organisme parapublic (le CNFPT) qui tout à la fois encaisse les cotisations des mairies et réalise 90 % des formations des fonctionnaires ;
  • un marché au sein duquel les distorsions de concurrence sont pléthore, via notamment une TVA qui varie de 0 % pour certains opérateurs (à commencer par les organismes publics) à 20 % pour la plupart des organismes privés ;
  • Un marché dans lequel le mélange des genres est pratiqué par des facs (ou des CCI) percevant la taxe professionnelle des entreprises tout en leur vendant des formations ;
  • un marché au sein duquel les distorsions de concurrence proviennent de l’existence d’opérateurs publics subventionnés sur fonds publics (associations loi 1901, CNFPT, CCI, Gretas, universités, AFPA…) face à des opérateurs privés qui ont toutes les difficultés à être rentables du fait d'une règlementation toujours plus complexe et coûteuse (la nouvelle loi rendant les dispositifs encore plus incompréhensibles) ;
  • enfin, un marché biaisé du fait d’un système public d’appels d’offres contreproductif (dès le montant, trop faible, de 15 000 euros) qui favorise les grandes structures mais surtout entraîne lourdeurs et choix anti-économiques (le concours de beauté pour emporter le marché puis le musée des horreurs lors de la réalisation du même marché).

Notre économie chute parce qu’elle a oublié ou nié depuis belle lurette 3 mots commençant par la lettre C : compétitivité, concurrence et enfin (et surtout) compétence.

En 2013, l’OCDE a démontré que parmi 26 « grands » pays développés, la France occupait la place peu enviée d’avant-dernier de la classe pour les compétences des adultes au travail.

Selon cette étude internationale (PIAAC, octobre 2013), près de 22 % des adultes en France présentent un niveau très faible de littératie et de numératie.

Ces chiffres rapportés aux 30 millions d’actifs impliquent donc qu’environ 6 millions d’adultes sont aujourd'hui en très grande difficulté dans notre pays (3 millions de travailleurs en poste et 3 millions de jeunes ou de chômeurs).

Pour tenter de remettre en selle ces millions de personnes vulnérables et sans véritable avenir social et professionnel, il aurait fallu sonner le tocsin, rassembler (et non diviser) les forces du public et du privé plutôt que d’abaisser la formation du secteur privé en espérant que des institutions publiques dépassées se refassent une santé.

Ce n’est donc pas le chemin pris par notre pays avec la loi Sapin de mars 2014 alors que l’une des seules dispositions intéressantes de cette loi, le socle des connaissances et des compétences est elle aussi enlisée depuis plus d’un an dans de vaines manœuvres paritaires, syndicales et administratives.

Réduire le nombre d’organismes de formation pour retrouver la qualité ?


En quoi 2 000 organismes de formation seraient-ils plus de qualité que les 58 000 « officines » actuelles (la dénomination dédaigneuse d'officines émanant de l’actuelle ministre de l’Éducation) ?

En fait, les vraies raisons sont ailleurs, elles tiennent à l’idéologie du tout État dans un pays qui n’a pas encore admis que la formation, l’éducation ou la santé pouvaient être des marchés ouverts et libres à la concurrence (et que la concurrence ainsi créée devait contribuer à améliorer la qualité du service rendu au citoyen).

La tentation qui prévaut actuellement est d'étouffer discrètement les secteurs privés de l’éducation, de la santé, de la formation ou de la culture, tout en subventionnant ce qui est public sans s’interroger sur la qualité ou l’adaptation de ce même secteur public à notre économie postmoderne.

En 2015, la France pourrait s’être tirée un balle dans la tête en euthanasiant sa formation.

Si l’on peut difficilement nier notre entrée dans la société de la connaissance et de l’information, il était parfaitement contre-productif d'arrêter la formation pendant deux ans (pour soi-disant mieux la reconstruire en 2016 ou pour les prochaines générations, comme le déclare, non sans humour sans doute, l'ancien rapporteur de la loi).

Cette crise de la formation ne sera nullement rédemptrice. Bien au contraire, elle pourrait précipiter notre pays dans la misère éducative (une école qui n’enseigne plus, un apprentissage en panne et une formation durablement malade de la réforme).

La formation n’est pas la forme suprême de la procrastination et les centaines de milliers de gens qui ne se seront pas formés cette année ne se formeront pas plus l'an prochain.

Admettre qu’on a pu se tromper, rétablir le droit à la formation (DIF qui subsiste malgré tout dans le secteur public pour des raisons inconnues) et restaurer une Éducation nationale de qualité (la réforme actuelle du collège ne prend pas le mal par la racine) devraient être les seules priorités des pouvoirs publics.

Si notre pays ne veut pas s’enfoncer dans le déclin économique et le marasme social, il a besoin de toutes ses forces éducatives : les organismes de formation privés ne sont pas des prédateurs ou des profiteurs, ils font partie de la vie professionnelle des Français.

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