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27 / 03 / 2014 | 133 vues
Social Nec Mergitur / Membre
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Amiante à la Ville de Paris : un médecin témoigne...

L’historique d’un scandale sanitaire connu depuis maintenant trois ans

À la Mairie de Paris, l’entre-deux tours n’est pas seulement compliqué sur le plan politique, il l’est également, semble-t-il, sur le front social et sanitaire puisque les employés d’Eau de Paris entament leur deuxième semaine de grève, un mouvement suivi à 80 %. Les salariés mènent ce mouvement pour défendre leur santé et les risques qu'ils encourent à être exposés à l'amiante lorsque ceux-ci interviennent sur les canalisations d’eau potable installées dans les égouts parisiens (lire ici).

Bien que restant sourde à leurs revendications, la municipalité semble surtout énervée par ce mouvement. Au point de faire entourer les manifestants qui viennent défiler sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville par des forces de police, lesquelles pour intervenir sont obligées de bloquer la rue de Rivoli provoquant un embouteillage monstre. Une situation des plus « mergitur ».

« Amiante, la Mairie savait » clame l’intersyndicale CGT, CFDT et CFTC. Elle sait même depuis au moins trois ans, explique Claude Danglot, médecin et chargé de recherche au laboratoire du contrôle des eaux de le Ville de Paris entre 1973 et 2005. C'est aussi en tant qu'expert amiante qu'il est intervenu avec le cabinet Aliavox, chargé d’une étude sur le sujet, pour le compte du CHSCT des égouts de la capitale. Voici l’historique d’un scandale sanitaire connu depuis trois ans désormais par la Mairie de Paris. Parole d'expert.

De l’amiante dans les égouts de Paris ? L’historique d’une « découverte »

Par le docteur Claude Danglot.

D’après Didier Dely, ancien directeur de la Direction de la propreté et de l’eau (DPE), de l’amiante a été découverte en mai 2011 dans le glutinage protégeant de la corrosion les conduites d’eau potables installées dans les égouts de Paris. Le glutinage est un revêtement bitumineux en brai de houille contenant de l’amiante dans environ 60 % des cas (mesurés). Cette technique a été utilisée entre les années 1949 et 1997, avant d’être abandonnée par la suite, à cause des difficultés de mise en œuvre et de l’interdiction de l’utilisation de l’amiante (décret n° 96-1132 du 24 décembre 1996). D’après l’ASTM (American Society for Testing and Material), son utilisation limiterait la corrosion dans l’atmosphère très humide des égouts et serait le meilleur moyen de protéger la fonte.

Le 19 septembre 2012, le LEPI (laboratoire d’étude des particules inhalées) a réalisé des analyses sur une conduite de 500 mm recouverte de glutinage.

Le meulage du glutinage par deux opérateurs en deux endroits différents, au droit du 201, rue d’Alésia a provoqué l’émission d’une quantité importante de fibres d’amiante (2 200 f/L et 6 000 f/L) très largement supérieure à la VLEP (100 f/L).

Les opérations de tronçonnage de la conduite glutinée, menées par deux opérateurs en deux endroits différents, au droit du 225, rue d’Alésia, a provoqué l’émission d’une quantité équivalente de fibres d’amiante (2 797 f/L et 2 965 f/L), là encore très largement supérieure à la VLEP. Les prélèvements d’ambiance sur le trottoir au n° 201 et au n° 225 de la rue d’Alésia n’ont pas montré de contamination significative par les fibres d’amiante libérées en égout (6f/L)

Le 15 octobre 2012, Sylvie Catala de la MIHS (mission d’inspection hygiène et sécurité) adressait un rapport à Véronique Bédague-Hamilius, secrétaire générale de la Ville de Paris, concernant la « présence d'amiante et de brai de houille (produits cancérogènes) dans la protection anti corrosion recouvrant les canalisations d'eau » et détaillant le « cadre réglementaire applicable en matière de prévention des risques d'exposition à l'amiante des travailleurs ».

Dans sa conclusion elle rappelait : « S'agissant du cas particulier d'Eau de Paris, il convient de souligner que certains travaux, comme le remplacement de canalisations, doivent faire l'objet d'un plan de retrait d'amiante Ces travaux de retrait doivent être réalisés par des entreprises certifiés.

S'agissant des travaux de percement des parois réalisés par les concessionnaires qui ont besoin de supports pour installer leurs réseaux, le premier des principes de prévention, éviter le risque, impose que la réflexion porte sur des tracés de réseau évitant les zones ou des projections d'enduit ont été réalisées. L'inspection commune devra permettre de déterminer ce tracé ».

Le même jour, un additif au risque amiante était émis par la section de l’assainissement de Paris (Messieurs Laeuffer et Desavisse) rappelait le contexte d’utilisation du glutinage et précisait : « consigne de non-intervention en égout sur tous matériaux suspects de type produit de revêtement noir ».

« En conséquence et jusqu’à nouvel ordre à titre conservatoire, il est interdit d’intervenir sur tous les matériaux suspects de type produits noirs de revêtement de surface, tant sur les éléments d’équipements fixés dans les ouvrages (conduites, consoles des conduites etc.), que sur les zones des parements des maçonneries recouverts du même produit ».

Le 18 octobre 2012, s’est tenue une réunion sous la présidence de Didier Dely, invitant tous les membres du CHS du STEA faisant le point sur l’amiante détectée en égout. Cette réunion a débouché sur des instructions de précaution qui ont été données au personnel, vendredi dernier 12 octobre 2012, à titre conservatoire et en lien étroit avec Eau de Paris et la MIHS de la DRH. Les agents de la SAP peuvent circuler en égout, peuvent travailler comme d’habitude sur les parois dépourvues de « glutinage », mais ne doivent pas intervenir sur les zones murales « glutinées » tant que des investigations complémentaires n’ont pas été effectuées. Eau de Paris, de son côté, doit donner des consignes comparables. Enfin, le STEA alerte les autres intervenants dans le réseau. 

Le 23 octobre 2012, Monsieur Desavisse, chef de la SAP, a diffusé une note de service concernant des mesures de sécurité exceptionnelles liées à la présence d’amiante en égout et précisant notamment :

« Le produit de glutinage est un revêtement de couleur noire, de type bitumineux, qui a été utilisé de manière éparse dans Le réseau, entre les années 1949 et 1997 environ, pour protéger Les canalisations de la corrosion. Ce revêtement contient par endroits, de l'amiante dit « inerte », c'est-à-dire qui ne disperse pas de fibres en l'absence d'interventions agressives… »

« Outre l'interdiction d'intervenir sur ces revêtements noirs, il vous est demandé, par précaution, de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les agents du service, les opérateurs et prestataires extérieurs n'interviennent pas dans les zones où il y a eu des travaux sur des canalisations Eau de Paris pendant une durée d'un mois. Cette mesure vise à prendre en compte l'éventuel maintien dans l'air d'une concentration de fibres pendant un certain temps, en l'absence de données fiables sur le temps d'abattement des fibres. »

« Les tronçons d'égouts de la liste jointe seront donc consignés pour une durée d'un mois à compter de la fin des travaux. Cette consignation inclura la zone de la liste jointe, ainsi que les tronçons d'égout donnant accès à cette zone en amont et en aval de la zone. Ces mesures restent applicables tant que les analyses complémentaires demandées par la SAP et Eau de Paris n'auront pas permis de quantifier plus précisément le risque.

Les 11 et 12 décembre 2012, le LEPI, à la demande d’Eau de Paris, a effectué une étude dans les égouts de la rue d’Alésia, entre les numéros 191 et 225, pour quantifier la présence résiduelle de fibres d’amiante suite à des travaux sur des conduites d’eau enduites de peinture bitumineuse comportant de l’amiante chrysotile. Le résultat a montré l’absence de fibres d’amiante dans l’air de l’égout (< 0,91 f/L).

Le 19 novembre 2012 le comité d’hygiène et de sécurité spécial du service de l’eau de la Direction de la propreté et de l’eau, s'est réuni sous la présidence de Christine Le Strat. En fin de séance, la présidente a acté la demande des organisations syndicales d'une expertise extérieure concernant le risque glutinage. Cette proposition soumise au vote a été adoptée à l’unanimité. Le cabinet Aliavox, agréé par le ministère du Travail, a été proposé par les organisations syndicales pour effectuer cette expertise.

Le risque « glutinage »

Le glutinage est un mélange de brai de houille (un cancérigène reconnu par l’INRS) et d’amiante (un autre cancérigène reconnu par l’INRS), c’est une véritable « association de malfaiteurs ».   

A) Brai-de-Houille


C’est un résidu provenant de la distillation du pétrole ou de la houille, qui se présente sous forme d'un solide noir se ramollissant sous l'effet de la température entre 200°C et 400°C. Il est constitué principalement de carbone (80 % en poids) et d'hydrogène. Le brai peut présenter, suivant son origine, une structure aliphatique (chaine carbonée linéaires) et/ou une structure aromatique (chaines carbonées circulaires). Il est utilisé comme agent d'isolation, comme agent scellant. Dans le domaine des composites il est utilisé comme résine d’imprégnation ou comme précurseur des fibres de carbone. 

Les pathologies induites par le brai de houille sont différentes selon la température à laquelle il est exposé : 

  • au dessus de 80-100°C, il émet des vapeurs (HAP pour hydrocarbures aromatiques polycycliques) qui sont toxiques par inhalation et au contact de la peau et des yeux,
  • à température ambiante, il est essentiellement toxique par contact direct ou direct indirect (gants souillés avec la peau.
Le brai de houille entraîne des pathologies bénignes aiguës et chroniques :
  • effets aigus avec irritation de la peau (sensations de brulure et démangeaisons) et des yeux (blépharite et conjonctivite souvent associées à une kératite) ;
  • effets chroniques avec dépigmentation de la peau par plages (rare) ou hyperpigmentation touchant les avant-bras, les poignets, les mains et le scrotum (fréquent), dermites folliculaires (comédons, acné, kystes sébacés), photophobie ;
  • effets cancérigènes, à long terme, après 15 et 25 ans, il entraîne des pathologies malignes qui sont :
  • « verrues du brai » avec, à terme, une dégénérescence des lésions en carcinome épidermoïde ;
  • cancers de la peau (cancer épidermoïde).

B) Amiante


L'amiante est un minéral naturel. Elle se présente sous forme de filaments peu adhérents entre eux. Ces fibres sont extraites d'un minéral formé de silicates hydratés de magnésium et de calcium.  

Deux groupes minéralogiques d'amiante, les serpentines et les amphiboles, ont été exploités industriellement et commercialement :

  • les serpentines ne comportent qu'une seule variété d'amiante, le chrysotile ;
  • les amphiboles comportent quatre variétés d'amiante, l'anthophyllite, l'amosite, la crocidolite et la trémolite. Seules deux d'entre elles ont été très utilisées : l'amosite et la crocidolite.

L’amiante chrysotile présente de fibres qui peuvent atteindre un diamètre de 0,02 à 0,03 µm alors que les amphiboles ont des diamètres supérieurs : crocidolite 0,06 µm à 1,2 µm, amosite 0,15 µm à 1,5 µm et anthophyllites de 0,25 à 2,5 µm. Les rapports longueur sur diamètre des fibres peuvent atteindre l'ordre de 100 :1. Ces fibres, sous forme libres, sont très légères et sont emportées par le moindre courant d’air. Après libération dans l’atmosphère elles peuvent y demeurer en suspension plusieurs semaines.

Les pathologies de l'amiante peuvent être pleurales ou pulmonaires, bénignes ou malignes, mais elles ont en commun plusieurs caractéristiques : 

  • un temps de latence important ; 
  • une persistance du risque toute la vie durant ;
  • un risque d'apparition corrélé à la dose cumulée d'amiante inhalé (relation dose-effet).                                   

1. Les pathologies bénignes de l'amiante :

  • les plaques pleurales de la plèvre pariétale,
  • la pleurésie asbestosique bénigne pour la plèvre pulmonaire, avec une fibrose de la plèvre, comme séquelle.  

2. Le cancer broncho-pulmonaire (CBP) 

  • C’est une tumeur maligne qui se développe au niveau des petites bronches.
  • II n'existe pas de signes cliniques, radiologiques ou histopathologiques permettant de rattacher avec certitude un CBP à une exposition professionnelle à l'amiante.
  • La mortalité par CBP est plus élevée parmi les travailleurs exposés à l'amiante que parmi la population générale.
  • Le risque de CBP croît de façon linéaire avec l'augmentation de l'exposition cumulée à l'amiante.
  • En France le nombre de décès par CBP attribuables à l'amiante a été estimé à 1 200 cas pour l'année 1996.  

3. Le mésothéliome

  • C’est une tumeur maligne qui se développe au niveau de la plèvre.
  • Il s'agit d'une tumeur très rare dans les populations non exposées à l'amiante. Son incidence « spontanée » est évaluée à 1 ou 2 cas annuels par million d'habitants.
  • Une exposition à l'amiante est retrouvée chez 60 à 80 % des patients atteints de mésothéliome.
  • Le temps de latence de cette tumeur est très long, 35 à 40 ans en moyenne.
  • Les fibres d'amphiboles, en particulier de crocidolite, sont beaucoup plus mésothéliogènes que les fibres de chrysotile.
  • Les manifestations cliniques du mésothéliome les plus fréquentes sont les douleurs thoraciques, la dyspnée (essoufflement) et l'altération de l'état général.
  • Un épanchement pleural est présent dans 80 à 90 % des cas, révélé par la radiographie thoracique.
  • Dans les formes évoluées, la tomodensitométrie montre un épaississement circonférentiel irrégulier, mamelonné, de la plèvre pariétale, associé à une rétraction de l’hémithorax.
  • La thoracoscopie représente la technique diagnostique de choix et permet la biopsie.

Le risque en égout. Deux situations forts différentes se rencontrent lors du travail.

1. Le travail direct (meulage, disquage, sciage etc.) sur des conduites d’eau recouvertes de glutinage. Ces opérations libèrent beaucoup de fibres (jusqu’à 6 000 fibres par litre d’air) bien au dessus de la VLE (valeur limite d’exposition) qui est située à 100 fibres par litres en 2014 et qui sera abaissée à 10 fibres par litre en 2015. Ces fibres mettent des semaines, voire des mois, à se déposer et la simple circulation en égout après la fin des travaux est dangereuse.

2. La simple circulation en égout peut être dangereuse selon les secteurs visités. Lorsque le glutinage recouvrant les conduites (ou les parois de l’égout) est en bon état le risque est très faible et les fibres d’amiante lorsqu’elles sont présentes le sont à une concentration « réglementairement sans risque » (mais pas médicalement) inférieure à la VLE. Ce risque est bien connu et bien identifié par les directions de la SAP et d’Eau de Paris qui ont procédé à l’évaluation de ce risque par des mesurages.

Lorsque le glutinage recouvrant les conduites est en mauvais état, à cause de la corrosion des conduites, la situation est différente. Au bout d’un grand nombre d’années, de la rouille se forme entre la conduite en acier et son revêtement de glutinage. La rouille en « gonflant » décolle le glutinage qui tombe en plaque et en poussière au moindre choc de la tête (traces noires sur le casque) ou au frottements lorsque les agents passent le long d’une grosse conduite dans une galerie étroite. Localement, les débris libérés contiennent de la poudre de rouille, des particules de brai-de-houille et des fibres d’amiante.

Ces situations en égout et correspondent à une libération locale de fibres d’amiantes vraisemblablement inhalées par les agents lors de leur circulation. Ce risque constaté sur le terrain n’est pas clairement identifié par les directions de la SAP et d’Eau de Paris qui n’ont pas encore procédé à son évaluation.

3. La prévention minimale

Le risque amiante n’est pas le seul risque encouru par le personnel circulant en égout : la présence de gaz toxiques (méthane, oxyde de carbone, hydrogène aux concentrations supérieures à 10 ppm) et d’un gaz perturbateur endocrinien (hydrogène sulfuré aux concentrations inférieures à 1 ppm) peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la santé à court terme (intoxication aigüe) et long terme (intoxication chronique).   

Une étude récente effectuée par l’INRS et le service de médecine préventive de la Mairie de Paris à montré que les égoutiers avaient une espérance de vie réduite de 7 ans par rapport aux ouvriers de la Seine-Saint-Denis (93).

Un simple masque ventilé (circulation forcée d’air filtré à l’aide d’une mini-pompe portée à la taille) permettrait d’éliminer totalement le risque amiante et le risque hydrogène sulfuré. Son coût est faible (environ 300 euros par personne) et son intérêt majeur. D’après les égoutiers ayant testé cet équipement, ce matériel est très confortable à utiliser. Selon les engagements de la direction de la SAP, il sera en service à la SAP dès la fin 2014.

La direction d’Eau de Paris n’a pas encore accepté cette idée et dénie encore qu’il soit dangereux de circuler dans les égouts « sans travailler ». Espérons que la longue grève des fontainiers d’Eau de Paris de la fin mars 2014, ouvrira les yeux des responsables d’Eau de Paris.

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