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Accords de mise en place des CSE et de « dialogue social » : mise en perspective de 12 accords publiés au premier semestre 2018
Sur base d’une douzaine d’accords publiés entre le 5 décembre 2017 et le 17 juillet 2018, il était intéressant de pratiquer une lecture comparative et critique afin de servir de base de réflexions aux futurs négociateurs (syndicats et directions) qui vont devoir désormais mettre le CSE en place (avec ou sans négociation).
Cette analyse (disponible sur demande en nous écrivant à pascal.delmas@socialsolu.com) permet de faire ressortir quelques éléments de réflexion pouvant être utiles quelle que soit la taille de l’organisation concernée.
Bien entendu, les accords examinés sont le plus souvent le fait de très grands groupes ou entreprises multi-sites complexes et ressortent plutôt de branches industrielles ou de services mais ils donnent aussi à lire comment directions et organisations syndicales commencent à s’approprier (ou pas) les modifications réglementaires et légales intervenues depuis un an.
Dans notre étude, nous avons donc pris en considération les accords de :
- Axa France (plus de 10 000 salariés),
- Canon France (entre 1 000 et 1 500 salariés),
- Girard Agediss (moins de 600),
- Total (groupe),
- Naval Group (plus de 10 000 salariés),
- Renault SAS,
- MAIF et filiales,
- Bouygues Télécom,
- Oracle (1 500 salariés),
- PSA Retail,
- Solvay,
- SNIE (450 personnes) qui a publié le premier accord relatif à la mise en place d’un « conseil d’entreprise ».
Il faut noter (ce qui n’est guère surprenant) que les syndicats signataires que l’on retrouve dans la plupart des cas sont la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC.
1. Les intitulés des accords donnent une première indication sur leur contenu « relatif à l’organisation du dialogue social », « dialogue social et économique », « relatif aux IRP et au droit syndical », « à la transformation des IRP et à l’exercice du droit syndical » et « à la mise en place du CSE ». Il est donc visible que les accords qui ne visent que le CSE ne sont pas majoritaires et que les directions essaient de mettre à jour des accords antérieurs en les mettant en conformité légale et en veillant à traiter les problématiques de représentation syndicale en même temps qu'ils traitent la mise en place du CSE. En revanche, à une exception près, des dispositions de protocoles pré-électoraux « classiques » ne figurent pas (ce qui est normal) dans ce type d’accords souvent négociés bien en amont des échéances électorales.
2. Des objectifs très divers (à lire les préambules dont on connaît l’importance politique voire juridique) dans lesquels il faut traduire ce que n’était (peut-être) pas le dialogue social d’avant les ordonnances :
a. « un dialogue social plus axé sur les questions stratégiques avec une architecture sociale permettant de donner aux élus une vision d’ensemble et une plus grande pédagogie des dossiers » ;
b. une volonté (que l’on retrouve souvent) d’un « dialogue social plus efficace » (sans que l’on détermine en quoi…) ;
c. la simple mise en conformité légale ;
d. seul l’accord Maif, atypique par rapport aux autres car construit sur la base d’un « système », veut rendre « la représentation du personnel plus efficace, pour une représentation proche des préoccupations et des priorités des salariés et partageant les objectifs stratégiques de l’entreprise ».
3. Concernant leur durée, ces accords sont, curieusement (car la matière est mouvante), des accords à durée indéterminée pour les deux tiers (même s’il y a des clauses de revoyure ou si un « observatoire du dialogue social » est parfois créé. Quand ils sont à durée déterminée (ce qui serait plus sage), ils le sont pour la durée du mandat du CSE (4 ans dans la quasi-totalité des cas).
4. Des « scories » liées à la sortie de ces accords peu de temps après la sortie des derniers textes sont encore visibles notamment concernant :
a. les formations légales en matière de santé, sécurité et conditions de travail (SSCT) qui sont réservées dans certains accords aux seuls membres de la commission SSCT, en contradiction avec les dispositions des articles L2315-18 L2315-40, R 2315-9 du code du travail qui disposent que c’est bien l’ensemble de la délégation du personnel au CSE qui a accès à la formation en matière de SSCT (5 jours pour les établissements de 300 salariés) ;
b. des modalités de fonctionnement de la CSSCT (commission SSCT) qui sont parfois fixées par le règlement intérieur du CSE. Or, sauf accord de l’employeur, un règlement intérieur ne peut comporter des clauses lui imposant des obligations ne résultant pas de dispositions légales (C. trav. art. L. 2315-24).
5. Les accords loin de dessiner un dialogue social disposent de vrais moyens (à part l’adaptation d’heures de délégation, de nombre d’élus plus favorables que les dispositions légales) notamment :
a. en l’absence de dispositions novatrices en matière de formations pour les IRP (qu’elles soient économiques en dehors du rappel des dispositions relatives au congé de formation économique et syndical alors que les missions élargies du CSE (contre celles du CE) mériteraient un accompagnement à la professionnalisation des élus ;
b. en l’absence de toute proposition de formation en matière de négociation, communication et gestion de projets ou de formations communes organisations syndicales-directions en matière de dialogue social ;
c. dans la plupart des cas, les accords n’abordent pas les thèmes relatifs à la bonne architecture et la bonne utilisation de la BDES (il faudrait espérer que, depuis 2015 voire 2016, l’exploitation de la BDES est conçue comme un instrument efficace de dialogue social) ;
d. aucun accord ne modifie les dispositions légales en matière d’expertises des CSE ;
e. il n’y a pas (ou peu) de réflexions à la « communication des IRP » sur la manière de communiquer entre personnel de base et les « élus du CSE » qui, du fait de l’augmentation de leurs heures de délégation (sans compter le cumul de tâches pour certains, la prééminence des tâches dévolues aux secrétaires et trésoriers), les coupent de plus en plus des réalités du terrain, avec le risque d’établir une « caste » de « sachants » et de professionnels de la représentation du personnel.
6. Des accords qui prévoient (dans leur quasi-totalité) des mandats de CSE de 4 ans et qui (généralement) ne remettent pas en cause l’information-consultation récurrente (annuelle) du CSE en matière économique et financière ou celle relative à la politique sociale, aux conditions de travail et à l'emploi (seule la consultation sur la stratégie est parfois établie sur 3 ans en fonction de la réalité de la durée des plans stratégiques et, dans ce cas-là, une information annuelle voire la possibilité d’information–consultation en cas de modification importante de celle-ci sont même prévues). De manière générale, les réunions (sauf demande de réunions exceptionnelles) des CSE sont de 8 à 12 par an (11 dans la majorité des cas).
7. L’apparition (pas systématique) d’un nouveau type de représentants du personnel : la notion de « représentants de proximité ». Les accords examinés nous confortent dans l’opinion que nous avons déjà exprimée dans un article paru en mai dernier (disponible sur notre site–rubrique « actualités » http://www.socialsolu.com/les-representants-de-proximite/ ) : « La notion de RP est donc lourde d’enjeux politiques et sociaux par-delà un cadre juridique élastique qui montre bien que « c’est en impulsant un dialogue social de proximité que les entreprises contribueront à « relativiser » le poids des changements politiques en montrant qu’ils ne sont pas seuls porteurs de transformations.
Il faut d’abord s’interroger sur le réel besoin stratégique de reconnaître une fonction « de proximité » et donc sur l’état réel de son fonctionnement réel avant de s’emparer d’une mission de « représentation de proximité ».
Cette nouvelle fonction (alors que l’ordonnance voulait mettre fin aux missions des délégués du personnel) montre bien que les entreprises complexes ne peuvent se passer de « capteurs locaux ». Certaines vont jusqu’à dessiner une véritable « fiche de fonction » pour ces nouveaux représentants (accord MAIF précité).
Parfois même sans cette fonction, des « rendez-vous supplémentaires » ou des « commissions de proximité » sont créés (en sus des réunions classiques du CSE) pour traiter les réclamations individuelles et collectives. Certains accords vont jusqu’à donner aux représentants de proximité des missions similaires à celles des anciens DP. D’autres leur confient les visites, inspections et enquêtes antérieurement dévolues au CHSCT alors que des CSSCT sont présents…
Généralement (mais il y a parfois des exceptions), ces représentants sont issus des rangs des membres du CSE.
8. La création des commissions SSCT (CSSCT) officialise par une commission centrale (CCSSCT) auprès du CSEC (CSE central) l’existence de ce qui aurait pu être la généralisation des IC CHSCT (instances de coordination) dans les entreprises multi-établissements. Les accords sont généralement sur les « rails » des textes en la matière : au moins 4 réunions par an (parfois 6) avec des heures de délégation « complémentaires » (parce que leurs membres sont des élus titulaires disposant déjà d’heures de délégation, sauf les suppléants au CSE) pour 4 à 15 heures par mois. Seul un accord prévoit qu’une partie des membres de la CSSCT peut être désignée en dehors des membres du CSE. Il faut noter une certaine « porosité » (comme déjà noté) entre CSSCT et représentants de proximité (une mutualisation des heures de délégation de RP et de membres de la commission sur certains sites est parfois prévue). Notons également dans certains cas que les CSSCT (ou la CCSSCT) présentent des bilans annuels de leur activité au CSE (ou à la CSEC).
En conclusion, à peu d’exceptions près de dispositions vraiment innovantes, la priorité (l’urgence) à retrouver (de part et d’autre de la table de négociation) semble clairement de retrouver un schéma assez classique (connu donc rassurant) de relations sociales, bousculé par les ordonnances sans que un « système » de dialogue social ne soit réellement reconfiguré.