Organisations
“Si je découche du Château, un rapport est envoyé à l’Inspecteur”
Lisa (1), 30 ans, n’est pas Star Académicienne, mais conseillère en épargne, patrimoine et prévoyance.
J’étais déjà commerciale dans les services aux particuliers, quand une compagnie d’assurance est venu me débaucher. Elle me promettait un avenir florissant : un vrai fixe, une organisation du tonnerre, des outils nouveaux. J’ai accepté. On m’a envoyée suivre la formation pour les débutants, qui dure sept semaines, entre le terrain et les cours, dans un immense château, en banlieue parisienne.
Les premières semaines sont rudes. De 9h à 17h, il faut intégrer la méthode, unique, et quasi militaire : quel que soit le client, je dois débiter le discours appris par cœur et l’orienter vers nos cœurs de cible. En gros, on dessine deux schémas : l’un avec des soleils, pour le cas où tout se passe bien, et l’autre avec des nuages, qui représentent l’arrêt maladie, l’arrêt de travail, l’invalidité, et le décès. À nous de faire flipper le client, de lui faire imaginer les pires situations. Je dois lui demander par exemple s’il a vraiment envisagé les travaux nécessaires s’il devient invalide, ou à la manière dont sa femme vivra s’il décède. Pour l’amener à penser qu’il lui faut un accompagnement financier et à signer l’un de nos contrats.
Ensuite, nous passons aux mises en situation. Toute la journée à répéter le discours, qui finit par entrer. Le soir, nous dormons sur place. C’est ambiance hôpital, avec de longs couloirs blancs dans lesquels nous évoluons avec nos sacoches, et nos pins estampillés au logo de l’entreprise. Il y a 350 chambres, mais les promos sont d’une cinquantaine de débutants. Et les soirées sont studieuses. Nous dînons vers 19h, en longues tablées. Chacun parle de ses résultats, les compare aux autres, et se met à angoisser. Du coup, après le repas, tout le monde révise.
Car les simulations sont stressantes. Les Référents formateurs se font cassants. Ils nous ont prévenus : la moitié d’entre nous craquera avant six mois. Le stress devient contagieux. Les gens sont de plus en plus pâles. Certaines jeunes femmes ne se maquillent plus, ne changent plus de vêtement. Une collègue a déclenché une allergie cutanée. Pour elle, cette formation, c’est un truc de Titan. Mais après deux ans au RMI, elle considère l’entreprise comme son sauveur, même si elle a les compétences pour faire mieux.
Moi-même, j’ai des migraines, des faiblesses physiques. Et je fais des rêves de collège. C’est un peu le même degré d’encadrement : si je sors du château, je dois pointer, et si je découche, un rapport est envoyé à l’Inspecteur qui supervise les conseillers. L’ambiance est au secret, et à la suspicion. La présence du Responsable pédagogique plane d’ailleurs en permanence, il vit ici, mais il apparaît rarement, et seulement pour nous humilier. C’est un cauchemar, dont on se sent prisonnier. D’ailleurs, en entrant, il faut signer un engagement : si je quitte l’entreprise dans les deux ans, je dois rembourser la formation. Et le remboursement est dégressif en fonction du temps resté dans la boîte.
(1) Le prénom a été modifié, à la demande de l’intéressée.
J’étais déjà commerciale dans les services aux particuliers, quand une compagnie d’assurance est venu me débaucher. Elle me promettait un avenir florissant : un vrai fixe, une organisation du tonnerre, des outils nouveaux. J’ai accepté. On m’a envoyée suivre la formation pour les débutants, qui dure sept semaines, entre le terrain et les cours, dans un immense château, en banlieue parisienne.
Méthode militaire
Les premières semaines sont rudes. De 9h à 17h, il faut intégrer la méthode, unique, et quasi militaire : quel que soit le client, je dois débiter le discours appris par cœur et l’orienter vers nos cœurs de cible. En gros, on dessine deux schémas : l’un avec des soleils, pour le cas où tout se passe bien, et l’autre avec des nuages, qui représentent l’arrêt maladie, l’arrêt de travail, l’invalidité, et le décès. À nous de faire flipper le client, de lui faire imaginer les pires situations. Je dois lui demander par exemple s’il a vraiment envisagé les travaux nécessaires s’il devient invalide, ou à la manière dont sa femme vivra s’il décède. Pour l’amener à penser qu’il lui faut un accompagnement financier et à signer l’un de nos contrats.
Ambiance hôpital
Ensuite, nous passons aux mises en situation. Toute la journée à répéter le discours, qui finit par entrer. Le soir, nous dormons sur place. C’est ambiance hôpital, avec de longs couloirs blancs dans lesquels nous évoluons avec nos sacoches, et nos pins estampillés au logo de l’entreprise. Il y a 350 chambres, mais les promos sont d’une cinquantaine de débutants. Et les soirées sont studieuses. Nous dînons vers 19h, en longues tablées. Chacun parle de ses résultats, les compare aux autres, et se met à angoisser. Du coup, après le repas, tout le monde révise.
Pression classe prépa
Car les simulations sont stressantes. Les Référents formateurs se font cassants. Ils nous ont prévenus : la moitié d’entre nous craquera avant six mois. Le stress devient contagieux. Les gens sont de plus en plus pâles. Certaines jeunes femmes ne se maquillent plus, ne changent plus de vêtement. Une collègue a déclenché une allergie cutanée. Pour elle, cette formation, c’est un truc de Titan. Mais après deux ans au RMI, elle considère l’entreprise comme son sauveur, même si elle a les compétences pour faire mieux.
Surveillance prison
Moi-même, j’ai des migraines, des faiblesses physiques. Et je fais des rêves de collège. C’est un peu le même degré d’encadrement : si je sors du château, je dois pointer, et si je découche, un rapport est envoyé à l’Inspecteur qui supervise les conseillers. L’ambiance est au secret, et à la suspicion. La présence du Responsable pédagogique plane d’ailleurs en permanence, il vit ici, mais il apparaît rarement, et seulement pour nous humilier. C’est un cauchemar, dont on se sent prisonnier. D’ailleurs, en entrant, il faut signer un engagement : si je quitte l’entreprise dans les deux ans, je dois rembourser la formation. Et le remboursement est dégressif en fonction du temps resté dans la boîte.
(1) Le prénom a été modifié, à la demande de l’intéressée.
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