Peut-on doper la formation sans réinterroger la réforme ratée de 2014 ? 1ère partie
Le 11 février dernier, la formation a retrouvé un secrétariat d'État en la personne de Clothilde Valter. Après trois années passées en improvisations réformatrices, il faudra beaucoup de clairvoyance et de courage pour « doper le compte personnel de formation (CPF) et former un million de personnes à la recherche d'un emploi dans les 12 mois » (déclaration de Myriam El Khomry le 12 février 2016).
Le compte personnel de formation : un indéniable échec
Le compte personnel de formation a été présenté comme le pilier de la réforme de la formation (réforme qui en comptait trois : le CPF donc, les entretiens professionnels et l'abandon de la cotisation obligatoire de 0,9 %).
Au-delà des fausses évidences, des facilités de communication et de la méthode Coué, le CPF est devenu en quelques mois un monstrueux système d'informations incontrôlé, un ersatz de droit à la formation dont le défaut premier est de dissuader les salariés d'apprendre ou de se former.
Le CPF promettait la simplicité et des financements, il a débouché sur une énième usine à gaz.
Dans les textes successifs des accords interprofessionnels (de 2013) puis dans la loi de 2014 le CPF (un réceptacle de formation) avait deux objectifs très cadrés :
- comptabiliser les heures de formation cumulées par les salariés au cours de leur vie professionnelle (en omettant au passage les indépendants et les fonctionnaires) ;
- énumérer des formations utiles et accessibles aux salariés et aux chômeurs.
Mais au fil du temps et des improvisations politiques et sociales, le CPF est devenu un ubuesque système d'informations.
Pour se former, un salarié (même sur des formations courtes de 20 heures en anglais, par exemple) doit désormais passer par un parcours semé de pièges et d'obstacles :
1) créer manuellement son compte formation sur le site de la Caisse des Dépôts (alors que la loi prétendait qu'il serait créé automatiquement pour chaque actif) ;
2) disposer d'une adresse électronique et d'une capacité de se connecter à cette adresse pour valider son inscription ;
3) renseigner manuellement des informations (inutiles) comme le code NAF de son employeur (code NAF qui n'a rien à voir ni avec la qualification de la personne ni avec son emploi) ou sa région de résidence (alors que le site recense des formations sans rapport avec elle mais simplement parce que son pseudo-cahier des charges le prévoyait).
Ensuite, trois mois au moins avant la date de démarrage de la formation, l'intrépide candidat au stage de formation doit encore :
4) trouver son propre organisme de formation (certifié qualité de préférence) proche de chez lui, avec des prix compatibles avec la prise en charge de l'OPCA de son employeur ;
5) compter soit sur la patience, la disponibilité et la bienveillance de son employeur pour remplir les dossiers de formation (une trentaine d'informations sur le site puis autant d'informations sur une demande papier de prise en charge pour l'OPCA) ;
6) ou bien solliciter un improbable conseiller en évolution professionnelle (CEP), pauvre hère (formé lui-même en 3 jours) qui doit tout à la fois conseiller le salarié (sans connaître son entreprise), tout connaître du marché mouvant de la formation, l'étendue de 17 000 certifications accessibles et piloter la demande sur le site (instable et mal conçu) de la Caisse des Dépôts ;
7) contacter ensuite l'OPCA de l'employeur (si entre-temps le salarié n'a pas changé d'employeur ou de statut) afin de :
- vérifier que la formation est éligible au CPF (et il y a une liste de 17 000 formations éligibles, véritable catalogue à la Prévert, l'entraîneur de boxe savate en 320 heures ou la formation de berger-vacher d'alpages en 800 heures) ;
- contrôler que l'organisme de formation est habilité à former sur ce domaine (habilitation sur la qualité, l'existence de l'organisme de formation, la possibilité d'intégrer individuellement un stage programmé mais qui aura sans doute 50 % de chance de ne pas se dérouler faute de stagiaires) ;
- prendre connaissance des financements (à géométrie variable) pour son projet de formation ;
8) s'engager avec ses propres fonds à :
- payer la différence entre la prise en charge par l'OPCA et le vrai prix final de sa formation ;
- avancer les frais annexes (restauration, hébergement, transports, garde d'enfants...) ;
- payer les pénalités pour d'éventuelles absences durant le stage (ni l'employeur ni l'OPCA paieront évidemment) ;
9) contractualiser avec l'organisme de formation pressenti en signant afin de :
- suivre l'intégralité de la formation (parfois sur plusieurs années) ;
- et payer des pénalités en cas d'abandon ou d'absences (en y ajoutant 20 % de TVA) ;
10) attendre la réponse de l'OPCA entre 60 et 90 jours après avoir envoyé une demande complète;
11) contacter l'organisme de formation une fois la prise en charge acceptée (si elle l'est jamais et si les dossiers sont complets et traités à temps) ;
12) démarrer et réaliser sa formation sur son temps libre (sauf si le généreux employeur prend en charge le CPF comme nous l'avons vu) les week-ends, durant les congés ou le soir (si jamais un organisme, survivant après la réforme, parvient à l'organiser sur ces horaires atypiques en formation) ;
13) aller au bout de cette formation de 150 heures (en moyenne, soit 15 à 20 journées) en espérant que l'organisme en question l'accompagnera individuellement et modularisera la formation si besoin était (en fac, une formation pourra s'étaler sur plusieurs années avant l'obtention du diplôme visé) ;
14) se présenter à la certification finale (un mini-diplôme dont beaucoup d'employeurs n'auront que faire) sous peine de voir la formation non payée par l'OPCA (et dans ce cas, devoir régler personnellement une note de plusieurs milliers d'euros).
Le chemin prescrit sera donc long, périlleux et on peut penser que beaucoup de travailleurs non-qualifiés n'iront pas au-delà de la simple consultation de leur nombre d'heures.
Le CPF déresponsabilise le monde du travail tout en stoppant net l'effort formation de la plupart des entreprises.
En dessaisissant l'employeur, en multipliant les obstacles, en singeant l'école, le CPF a transformé les actions de formation en un processus à l'issue aléatoire, bien trop complexe et mal financé pour qu'un réel déploiement soit envisageable à terme.
Mais la réforme est allée encore bien au-delà de la liquidation du DIF en démantelant les services de formation de nombreuses entreprises.
Pour se former en dehors de ce maudit CPF, l'épreuve n'en est pas moins risquée et difficile du fait de la dislocation des plans de formation de bien des entreprises (les plus fragiles évidemment, celles qui emploient majoritairement des travailleurs non ou peu qualifiés).
Si Myriam El Khomeri et Clothilde Valter souhaitent donc « doper » le CPF et multiplier les formations en France, nous aurions quelques suggestions à leur soumettre.