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Une résidence parisienne s’insurge contre le licenciement de ses gardiens
La Résidence Ile de Flandre est un immense ensemble immobilier des années 1970 comprenant une dizaine de bâtiments de grande hauteur située dans le 19ème arrondissement de Paris, proche du canal de l’Ourcq. Ses occupants sont copropriétaires ou locataires avec une grande diversité d’origine et de milieu social, à l’image du quartier. Elle peut se vanter d’être un ilot de tranquillité au milieu du 19ème. Elle est gérée, comme toute copropriété de cette taille, par un conseil syndical désigné par une assemblée générale qui mandate un syndic, en l’espèce le cabinet SAFAR.
A la suite du départ en retraite du couple de gardiens (appelés « Régisseurs » dans ce type de bâtiment) en 2018, un nouveau couple, Marc P. et Djamila B., ont été recrutés Ils ont assez vite fait l’unanimité au sein des résidents, multipliant les initiatives heureuses, trouvant des solutions pratiques à de petits désagréments du quotidien (mettre un second antivol sur les vélos accrochés à la sauvage dans les parties communes), traitant les réclamations et les problèmes avec célérité et compétence, restant disponibles et bienveillants avec toutes et tous, ce que les nombreuses personnes résidentes, âgées, isolées ou en présence d’un aléa, ont particulièrement apprécié. Comme le disent de nombreux résidents, « ils ont changé notre vie » et tout le monde s’en félicitait. Tout le monde… pas tout à fait sans doute. Quelques membres influents du conseil syndical, qui tiennent celui-ci d’une main de fer depuis de nombreuses années, semblent avoir décidé que tout allait trop bien.
Le 10 septembre 2021, Marc P. 59 ans, est victime d’un souci de santé, le contraignant à un arrêt de travail pour maladie pendant 4 mois. Pendant cette période, Djamila B, continue son mi-temps, comme à l’accoutumée malgré les pressions de certains membres du conseil syndical pour qu’elle se mette elle aussi en arrêt de travail, comme si sa présence devenait subitement gênante…
- Le remplacement du régisseur est assuré par son prédécesseur, retraité qui reprend du service à cette occasion, et qui semble avoir profité de cet éloignement pour faire l’inventaire de tout ce qui ne fonctionnait pas dans la résidence (quelquefois depuis 15 ans) : un cadenas manquant, une porte cassée etc.
Pas de chance pour l’employeur, à sa reprise, le 3 janvier 2022, Marc P. est déclaré apte sans réserve par le médecin du travail à l’issue d’une visite en distanciel, avis confirmé par ce même médecin après une visite en présentiel réclamée par le cabinet SAFAR. Passant outre ces avis médicaux, l’employeur, s’instituant médecin du travail, le dispense de la partie technique de ses activités au motif qu’il aurait fait un malaise en reprenant son travail et conserve son remplaçant.
Entre les deux visites médicales, stupéfaction ! Il reçoit ainsi que Mme B. une convocation à un entretien préalable de licenciement. Au cours de ces entretiens leur sont exposés des griefs, tous plus fantaisistes les uns que les autres. A titre d’exemple, il est reproché à Mme B. d’avoir donné à une copropriétaire la clé d’une petite vitrine d’affichage dans le hall d’un bâtiment, clé que cette copropriétaire avait en main depuis 15 ans.
Dès que les résidents ont eu connaissance de cette convocation à entretien préalable, l’indignation a été particulièrement vive. Nous nous sommes alors organisés pour faire savoir au Syndic que nous entendions conserver nos gardiens, qui donnaient parfaite satisfaction à une large majorité de bénéficiaires que sont les résidents.
Une pétition a été rédigée recueillant 373 signatures de résidents en trois jours, des tracts ont été distribués avec invitation à écrire au syndic, des affiches ont été apposées, des ballons accrochés aux balcons, une coordination s’est mise en place au niveau de l’ensemble de la résidence, avec des référents dans chaque immeuble, d’autres initiatives sont en cours de réflexion et mises en œuvre.
Devant le silence assourdissant du syndic et du conseil syndical qui prétendait n’être au courant de rien, les résidents ont voulu se faire entendre en organisant un concert de casseroles tous les soirs à 20 heures au balcon ou en défilant dans les jardins de la résidence. Ambiance festive et bon-enfant avec participations de nombreuses personnes âgées ou de familles avec enfants. Les slogans les plus violents étaient « SAFAR y en a marre », ou « le conseil syndical montrez-vous ».
Le tout se terminait après 15 minutes et s’en suivaient des conversations devant la loge avec ou sans vin chaud avec l’enthousiasme de ceux qui se sentent plus forts parce qu’ensemble et qui découvrent qu’ils vivaient entourés de gens sympathiques qu’ils croisaient tous les jours sans les connaître.
Le conseil syndical et le syndic restaient muets. Et le 4 février 2022, coup de massue : Marc P. reçoit une lettre de licenciement pour faute grave. Les reproches professionnels sont repris et, pour certains, sont différents de ceux évoqués lors de l’entretien préalable. Tous sont aisément démontables.
Mais surtout la faute grave est retenue parce qu’il a organisé ou fait organiser des mouvements de foule en soutien à sa cause y compris des tintamarres en pleine nuit totalement fictifs. Certains résidents se seraient déclarés inquiets et SAFAR aurait envisagé l’intervention de la police s’étant finalement contenté d’envoyer trois maîtres-chiens pour mater la rébellion.
Bien évidemment les résidents avaient pris soin de maintenir les régisseurs en dehors de leurs initiatives et de les organiser en dehors de son temps de travail ce que le syndic savait pertinemment. Et dans la foulée Mme B. était licencié par acte d’huissier car son contrat était lié à celui de son conjoint. Leur travail a pris fin sur le champ et ils disposent d’un préavis de trois mois pour quitter leur logement.
Une communication du syndic s’est alors faite par voie d’affichage dans chaque immeuble, avec la mention que le syndic ne pouvait « tolérer que le gardien, quelqu’un soit la raison (NDLR : oui, il y a bien une faute d’orthographe dans l’affiche), organise ou laisse organiser en son nom et pour son compte de tels désordres (NDLR : les regroupements de casseroles de 15 mn le soir à 20h). En conséquence, le licenciement de M.P. est effectif … ».
Plus de travail, plus de logement, une fille qui passe des examens en fin d’année, une résidence orpheline de gardiens efficaces et bienveillants, des motifs de licenciement mensongers, une copropriété qui devra payer des condamnations prud’homales pour des salariés qu’elle voulait garder et qui devra financer ses propres avocats ! Bref un travail d’orfèvre du cabinet SAFAR !
L’histoire continue, le soutien aux gardiens se concrétise diversement, la mobilisation s’amplifie et s’adapte aux évènements, les échanges entre résidents se multiplient, des réflexions sur la place d’un conseil syndical fusent de partout. Les sentiments d’injustice et de mépris sont au centre de ce qui nous rassemble et notre volonté reste intacte : réintégrer les gardiens.
- Que penser d’un conseil syndical aussi éloigné de ses mandants ?
- Que penser d’un employeur au service d’un collectif qui licencie à l’encontre de celui-ci ?
A l’heure de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), du « Pacte du pouvoir de vivre », nous tâtonnons à trouver la meilleure articulation possible entre vie citoyenne, démocratie sociale, et droit des salariés.
Quelques membres appartenant au COllectif des Résidents d’Ile de Flandre