Lutte contre la fraude aux aides publiques : l’administration manque de moyens
La loi du 30 juin (publiée au Journal officiel le 1er juillet dernier) visant à lutter contre toutes les fraudes aux aides publiques renforce les pouvoirs de l’administration mais pas ses moyens humains.
Après avoir mis en pause MaPrimeRénov’ pendant l’été, l’État a rouvert le dispositif le 30 septembre. Dans l’intervalle, il a œuvré à renforcer ses moyens de lutte contre les fraudes aux aides publiques. Telle est en tout cas la promesse affichée par la loi dédiée à cette lutte promulguée le 30 juin 2025 et publiée au Journal officiel le 1er juillet dernier.
Cette loi, qui concerne toutes les fraudes est toutefois axée sur celles aux aides à la rénovation énergétique (MaPrimeRénov’, label RGE, MaPrimeAdapt...) mais aussi sur celles liées à la formation professionnelle. Elle comprend également un volet sur le démarchage téléphonique. « Le législateur a constaté l’insuffisance des dispositifs de suivi des aides publiques à la rénovation énergétique des logements ; des filières organisées détournaient ces aides », explique Olivier Brunelle, secrétaire général du syndicat FO de la direction générale des finances publiques (DGFIP).
Rénovation énergétique : la chasse aux entreprises fraudeuses
Il faut dire qu’en matière d’aide à la rénovation énergétique les montants en jeu sont importants : ainsi jusqu’à 70 000 euros (selon l’ancien système MaPrimeRenov’ stoppé cet été) pour la rénovation globale d’un logement. En théorie, l’aide va aux particuliers, mais pour éviter d’avancer l’argent, ces derniers peuvent signer un mandat à l’entrepreneur, qui perçoit alors directement la subvention. « Le risque est qu’une société fictive empoche l’argent ou que la société gonfle le montant des travaux, explique Olivier Brunelle. La difficulté, c’est qu’une fois que le robinet [à subventions] est ouvert, il est difficile de le refermer, et quand l’argent est sorti, il est irrécupérable ».
Les fraudes à MaPrimeRénov’ se seraient élevées à 229 millions d’euros en 2024 pour 3,29 milliards d’euros d’aides versées. Celles liées aux certificats d’économie d’énergie s’élevaient à 280 millions d’euros en 2023. Des montants impressionnants mais qui représentent « peu par rapport à ce que le gouvernement recherche pour réduire le déficit et par rapport aux 211 milliards d’aides annuelles profitant aux entreprises », souligne toutefois Olivier Brunelle.
Moins d’effectifs mais davantage de missions pour la DGCCRF
Ministre du Logement au sein du gouvernement Bayrou, Valérie Létard expliquait que « la refondation de MaPrimeRénov’ passe par des paramètres ajustés et une augmentation des moyens de lutte contre la fraude ».
Quels moyens ?
La loi du 30 juin s’appuie principalement sur la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais le législateur ne parle pas d’augmenter les moyens humains de cette administration, qui en réalité sont en baisse. « Avec actuellement 2 500 agents en équivalent temps plein, nous avons perdu un quart des effectifs au cours des 15 dernières années », déclare Émilie Patteyn, secrétaire générale du syndicat FO de la DGCCRF. Dans un tiers des départements français, cette administration n’emploie que cinq agents. Or, elle se voit confier de plus en plus de missions. Dernièrement, le contrôle de l’utilisation de l’intelligence artificielle, auquel cinq agents sont dédiés, signale Émilie Patteyn.
« D’accord pour lutter contre les fraudes à la rénovation énergétique, mais qui va faire appliquer la loi », déclare Rachèle Barrion, secrétaire confédérale au secteur de l’Economie et du Service public. Elle rappelle que le projet budgétaire de l’ex-Premier ministre, François Bayrou prévoyait de ne pas remplacer, à partir de 2027, un fonctionnaire sur trois partant à la retraite. « Les entreprises râlent parce qu’elles estiment que les contrôles sont trop lents et qu’elles n’ont pas accès aux subventions, mais les administrations ne peuvent pas faire mieux compte tenu leurs effectifs », pointe de son côté Olivier Brunelle.
Renforcement des sanctions... A prouver !
Et les effectifs ne sont pour l’instant pas prévus à la hausse. Un paradoxe, tandis que la loi sur la fraude aux aides publiques renforce donc les pouvoirs de l’administration. Les sanctions contre les fraudeurs sont ainsi durcies et les agents ont désormais la possibilité de suspendre le versement de l’aide en cas de suspicion de fraude. Côté sanctions : la majoration des sommes à restituer est augmentée ; la sanction peut faire l’objet d’une publicité ; elle peut être assortie d’une astreinte journalière ; l’administration peut refuser une nouvelle demande d’aide pendant un certain temps et prononcer des sanctions pécuniaires.
« La loi fixe des plafonds de sanctions ; il faudra voir comment ces sanctions sont réellement appliquées », nuance Émilie Patteyn. Elle signale en outre que l’interdiction du démarchage téléphonique n’est assortie d’aucune sanction (sauf en cas d’abus de faiblesse) et qu’il n’est pas possible d’intervenir lorsque les sociétés de démarchage sont installées à l’étranger.
Attention aux plus fragiles
Désormais, par cette loi, administrations et établissements publics peuvent décider de suspendre le versement d’une aide publique pendant trois mois, renouvelables une fois, lorsqu’ils sont en présence d’indices sérieux de manquements ou de manœuvres frauduleuses. Un décret doit préciser l’application de l’article.
Cette possibilité, qui était déjà prévue par des dispositions spécifiques, acquiert avec la loi du 30 juin une portée générale. « Ce n’est pas idiot sur le principe, mais cela signifie que la suspension peut aussi porter, par exemple, sur le versement du revenu de solidarité active (RSA). Dans ce cas, comment fait celui qui en est privé pour manger ? », s’inquiète Olivier Brunelle. Il pointe un climat de « recherche de durcissement contre les fraudes sociales ».
Une façon de pointer du doigts les plus fragiles alors qu’il faut rappeler que la fraude sociale (estimée à 13 milliards d’euros, contre entre 60 et 100 milliards pour la fraude fiscale) est en majorité (56% selon le rapport 2024 du Haut conseil du financement de la protection sociale) du fait des entreprises et professionnels indépendants.
Leur fraude représente plus des trois-quarts du montant total estimé de la fraude sociale qui est une fraude aux finances publiques.
Par ailleurs, indiquait la Drees en 2022, il est à noter que 34% des personnes éligibles au RSA ne le demande pas. Ce non-recours représente un montant total non mobilisé de trois milliards d’euros tandis que la fraude propre au RSA est estimée à 1,5 milliard. Soit deux fois moins.
A noter qu’un article de la loi du 30 juin qui supprimait l’effacement des dettes provenant du versement indu du RSA en cas de procédure de surendettement a été retoqué par le Conseil constitutionnel pour cause de cavalier législatif. Mais le sujet est bien dans l’air du temps.