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Loi grand âge ou pas : comment réussir le virage domiciliaire ?
Le vieillissement de la population constitue un enjeu majeur pour nos sociétés, à la croisée des questions de santé publique, de solidarité et de financement. Depuis plusieurs années, l’idée d’une grande loi dédiée au "grand âge" est souvent évoquée, mais constamment repoussée. De nombreux rapports – Libault, Vachey, El Khomri – ont tenté d’éclairer les décideurs sur les réformes nécessaires, sans toutefois aboutir à une transformation ambitieuse et structurante. La crise de la Covid-19 a brutalement mis en lumière les failles du système, révélant les difficultés dans la prise en charge des personnes âgées et le rôle crucial des établissements de soins et d’accompagnement. Ce contexte a suscité des attentes fortes envers une réforme de grande ampleur. Pourtant, la loi adoptée en 2023 reste en-deçà des espérances. Si elle comporte des éléments utiles, elle ne propose pas de vision véritablement ambitieuse pour répondre aux défis du vieillissement, notamment la question du bien vieillir à domicile.
Les constats sur le bien vieillir à domicile
Il existe deux modes d’accompagnement de la dépendance en France : à domicile et en institution où 21 % des 85 ans et plus sont hébergés (taux d’institutionnalisation les plus élevés d’Europe). Et la DREES a récemment rappelé qu’il faudrait pouvoir accueillir 108 000 personnes âgées supplémentaires en établissement d’ici à 2030, si la proportion de personnes résidant en institution restait inchangée à chaque âge et à chaque degré de perte d’autonomie. Or la politique actuelle ne s’oriente pas vers le développement massif de nouvelles places en établissement, mais plutôt vers un « virage domiciliaire » motivé par le souhait de rester à domicile exprimé par une majorité de personnes âgées.
Cela va impliquer de renforcer l’offre à domicile car les besoins vont inévitablement augmenter. On ne pourra plus se contenter d’apporter du soutien aux gestes de la vie quotidienne et des soins d’hygiène. Il va falloir adapter les logements par rénovation du logement historique ou envisager l’installation dans un logement adapté (que l’on appelle aussi inclusif, intermédiaire, résidence services), il va falloir apporter plus de sécurité en mettant en place des dispositifs de surveillance (par téléassistance, télésurveillance), faciliter l’accès aux soins des personnes à domicile sans forcément passer par la case urgence, qui est trop souvent le cas dans un contexte d’insuffisance de ressources médicales.
Une dynamique positive est en marche : les EHPAD sont invitées à sortir de leurs murs en devenant des centres de ressources territoriaux (CRT), les coopération HAD /Ssiad ou HAD/EHPAD se développent de plus en plus, la téléconsultation s’invite également à domicile. L’innovation avec de nouvelles technologies et l’aide du numérique n’a jamais été aussi foisonnante. De manière certaine, ces évolutions technologiques permettront d’aller encore plus loin.
Les défis et solutions
Ces constats sont globalement connus par les opérateurs de la filière du grand âge, mais aussi par les pouvoirs publics, au national comme en local . Si ces derniers ne s’emploient pas à les dépasser, ou peu, par la loi, les opérateurs seront confrontés directement à de nombreux défis.
3 principaux enjeux sont identifiés afin de permettre aux personnes de bien vieillir chez elles, dans un environnement qu’elles connaissent et apprécient.
Le premier concerne la personnalisation des services. Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses et surtout, leurs besoins sont extrêmement variés. Le défi consiste à sortir du modèle unique pour offrir un accompagnement modulé, adapté à chacun, en prenant en compte les capacités et le rythme de vie des usagers. Cela signifie, par exemple, des interventions plus longues pour certains, ou des horaires plus flexibles pour d’autres. Cela passe par la formation des équipes pour développer des compétences en écoute et en observation, mais aussi par l’usage des technologies d’aide, comme les objets connectés, qui permettent de mieux comprendre et anticiper les besoins au quotidien.
Deuxième point, celui de la coordination des acteurs. Bien vieillir chez soi repose sur une chaîne de soins et de services, où chaque intervenant a un rôle à jouer, qu’il s’agisse d’AS-kinésithérapeutes-médecins ou d’aides à domicile. Aujourd’hui, cette chaîne est parfois morcelée. Les familles le disent : elles se sentent perdues face aux différents interlocuteurs, et le manque de continuité dans les soins peut provoquer des ruptures de prise en charge. Pour pallier cela, nous devons renforcer la communication et la coopération entre les professionnels. Cela signifie créer des partenariats solides avec les établissements hospitaliers pour anticiper les sorties d’hospitalisation, travailler main dans la main avec les médecins généralistes, et utiliser des outils numériques pour mieux coordonner les interventions.
Enfin, il faut renforcer l’attractivité des métiers du domicile, en offrant des contrats à temps plein et en proposant de réelles perspectives de carrière. Une aide à domicile peut évoluer vers des postes d’assistante technique ou de responsable de secteur, grâce à des formations diplômantes et qualifiantes. Il faut aussi miser sur la qualité des conditions de travail avec par exemple des outils numériques facilitant la communication et le suivi des interventions, réduisant l’isolement professionnel.
S’il ne devait pas y avoir de grande loi, il y a quand même eu quelques évolutions du droit ces dernières années pour enclencher le virage domiciliaire et anticiper le défi du vieillissement. On ne peut pas dire que rien ne se passe même si nous appelons de nos vœux la réalisation de la promesse faite, et maintes fois repoussée, d’une loi Grand Âge qui permettrait d’aborder le sujet dans sa globalité.
Valérie Levacher, Directrice Pôle Accompagnement VYV 3