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23 / 09 / 2025 | 11 vues
Pierre Bauby / Membre
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Service(s) public(s) en tensions

Dans les débats sur le service public, l’expression« service public à la française » revient régulièrement. De quoi s’agit-il ?

 

En fait, existent en France deux« modèles de référence » différents de service public, qui ont co-existé en rivalité, celui des « Grandes entreprises publiques nationales (GEN) »qu’ont représenté EDF, France Télécom, la Poste, la SNCF, … et celui, plus ancien historiquement puisqu’il date de l’Ancien Régime, de la « Délégation de service public (DSP) » consistant pour une autorité publique à déléguer l’accomplissement d’une mission de service public à un acteur, pouvant être de statut privé, d’économie mixte ou associatif, ….

 

En matière de « service(s) public(s) », il n’existe pas de « modèle » préétabli, atemporel, universel.


Chaque Etat dans sa construction nationale de longue période a inventé son propre référentiel ;et chacun dans sa langue – il en existe 24 officielles dans l’Union européenne[1] -, sa culture, ses institutions, ses traditions : certains Etats sont unitaires et centralisés, d’autres décentralisés et fédéraux : certains disposent de juridictions administratives spécialisées, d’autre pas ; …

 

Le « service public » a fait l’objet de conceptualisations, de doctrines, en particulier par des juristes, des économistes, des philosophes politiques, qui toutes relèvent d’oppositions ou de convergences, de tensions, de relations dialectiques.

 

Doctrine juridique:

 

Les juristes ont recensé deux doctrines se rapportant au « service public » :

 

  • la première est organique ; elle assimile le service public à l’entité publique qui définit et rend le service. On assimile ainsi souvent « service public » et entreprise publique, l’adjectif « public » laissant en effet entendre que l’on parle d’opérateurs à statut public, voire directement d’activités de l’Etat ou des collectivités territoriales ;

 

  • la seconde est fonctionnelle et met l’accent sur les objectifs, les missions et les finalités des services publics, qui peuvent également être confiées ou attribuées à des entreprises de statut privé (délégations, concessions, associations sans but lucratif, etc.)

 

Les deux conceptions co-existent en France, comme dans les autres pays européens ; la conception fonctionnelle permet de mettre le focus sur les objectifs et finalités, sur les missions des services publics, quelles que soient les diversités des modes de gestion et des compétences des autorités publiques ; c’est cette conception qui a été retenue dans le processus d’européanisation, chaque autorités publique ayant le libre choix du mode de gestion de chaque service.

 

Doctrine économique:

 

Là aussi, les économistes font référence à 2 paradigmes fondamentaux, en tension, celui du monopole et celui de la concurrence.

 

C’est ainsi que certaines activités peuvent relever de l’existence d’un « monopole naturel », c’est-à-dire de situations dans lesquelles il serait absurde et fort dispendieux de dupliquer certaines activités ou infrastructures – tels les réseaux techniques de transport ou des équipements médicaux.

 

L’enjeu est alors de déterminer les limites du champ  du monopole.

 

Car tout monopole – qu’il soit de statut public comme privé - tend spontanément à abuser de sa situation de monopole pour défendre ses propres intérêts.

 

A l’inverse, la concurrence amène tout aussi spontanément à des polarisations, des concentrations des inégalités ou des prédations.

 

L’objet consiste alors à définir les relations évolutives entre monopole et concurrence, de manière pragmatique, en fonction des situations et d’enjeux concrets, comportant des ajustements à la marge davantage que des ruptures.

 

Philosophie politique:

 

De manière plus générale, les doctrines ou philosophies politiques renvoient à des tensions ou oppositions, de nature idéologique ou politique.

 

On connaît ainsi les débats séculaires et universels, car inhérents à la nature humaine, entre Liberté et Egalité, la première source d’innovations et de progrès mais générant des concentrations de pouvoirs et de richesses, que la seconde a pour fonction de limiter ou réguler, afin de permettre la vie de chacun et de tous… Il faut donc traiter, dans le même mouvement, Liberté ET Egalité, leurs rapports évolutifs pour répondre aux besoins de chacun et de tous.

 

Besoins, évaluations et retours d’expériences

 

S’il n’existe pas de « modèle » préétabli, atemporel et universel de service(s) public(s), il convient de mettre en œuvre des démarches pragmatiques, au cas par cas, prenant en compte les différentes tensions qui caractérisent chaque enjeu, pour conjuguer leurs caractéristiques.

 

S’il y a service public, c’est pour répondre à des besoins individuels ou collectifs, humains, économiques, sociaux, environnementaux, territoriaux, de sécurité, qui ne seraient pas satisfaits en son absence. Le prérequis est donc d’organiser l’expression des besoins et de leurs évolutions de toutes les parties prenantes, d’évaluer de manière pluraliste les démarches antérieures et les retours d’expériences, afin de pouvoir mobiliser les atouts et les acteurs disponibles. Sur ces bases, tout service public doit être clairement défini par ses objectifs, missions ou obligations.

 

Construction européenne : un projet non-impérial fondé sur la subsidiarité

 

C’est sur cette toile de fond que se mène depuis 80 ans la construction européenne.

 

On mesure encore mal la révolution inouïe qu’elle représente à l’échelle de l’histoire humaine. Pour la première fois, des Etats indépendants et souverains acceptent volontairement de tirer un trait sur leurs ambitions séculaires de domination dont les deux guerres mondiales ont marqué en Europe le crépuscule.

 

Après avoir été pendant cinq siècles au centre du monde, les Etats européens intègrent, non sans difficultés et soubresauts, la fin de leurs ambitions impériales et limitent leurs objectifs à défendre et promouvoir un modèle social fondé sur des valeurs communes : « respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit, respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes » (article 2 Traité de l’Union européenne).

 

L’autre particularité est qu’ils ne cherchent pas à instituer un nouvel « Etat » au sens traditionnel, avec toutes les compétences que cela impliquerait, mais à mettre en œuvre le principe de subsidiarité : on fait ensemble ce qu’il est plus avantageux – pour chacun et pour tous - de faire ensemble que séparément

Cela a amené la mise en place d’institutions hybrides et innovantes, mais complexes et souvent insuffisamment compréhensibles, mais qui sont le gage de la devise « unis dans la diversité ».

 

Unité dans ces tensions

 

Au sein même de ces diversités, l’analyse montre une profonde unité en matière de « service public » ou de « service d’intérêt général » : dans tous les pays européens, les autorités publiques locales, régionales ou nationales ont été amenées à considérer que certaines activités ne pouvaient pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, mais de formes spécifiques d’organisation et de régulation, dans trois objectifs qui fondent le trépied de légitimité des services publics ou services d’intérêt général :
 

  • reconnaître le droit de chaque habitant d'accéder à des biens ou services fondamentaux (droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, aux transports, aux communications, etc.) ;
  • mettre en œuvre des solidarités, assurer la cohésion économique, sociale et territoriale, développer le lien social, promouvoir l'intérêt général de la collectivité concernée ;
  • prendre en compte le long terme et les intérêts des générations futures, créer les conditions d’un développement durable à la fois économique, social et environnemental,.

 

Ainsi donc, les services publics sont-ils caractérisés tout à la fois par leur forte spécificité nationale, porteuse de réelles diversités, et par une unité de finalité – l’intérêt général -, résultante de toute une histoire. L’Union européenne est unie dans la diversité.

 

Unité et diversité

 

Le Protocole 26 annexé aux traités européens avec même valeur juridique que ceux-ci rend compte d’un processus d’européanisation progressive, par étapes, fait, sur la base du principe de subsidiarité, de pragmatisme, de dialogues, de conjugaisons, de compromis, d’étapes :

 

PROTOCOLE (n° 26) SUR LES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL
 

LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES, SOUHAITANT souligner l'importance des services d'intérêt général, SONT CONVENUES des dispositions interprétatives ci‑après, qui sont annexées au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne:

Article premier

Les valeurs communes de l'Union concernant les services d'intérêt économique général au sens de l'article 14du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne comprennent notamment :

-        le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d'intérêt économique général d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs,

-        la diversité des services d'intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes,

-        un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs.

Article 2

Les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser des services non économiques d'intérêt général.

 

[1]Dès le traité de Rome de 1957, est inventée l’expression « service d’intérêt économique général (SIEG) », comme concept compréhensible par tous ; elle sera complétée dans le traité de Lisbonne par « service d’intérêt général (SIG) » et « service non économique d’intérêt général (SNEIG) ».

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