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Les aides aux entreprises: qu'en est-il exactement?
Une commission d’enquête sur « l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants » a été créée par le Sénat en janvier 2025. Elle m’a auditionné le 1er avril . Cette note présente les principaux éléments que j'ai eu l'occasion d'exposer...
... d’abord la définition des aides aux entreprises et des prélèvements obligatoires qu’elles supportent ... ensuite les estimations réalisées du montant de ces aides et prélèvements en France et dans l’Union européenne et ... enfin, la question de l’évaluation des aides.
La définition et le périmètre des aides reçues et des prélèvements supportés par les entreprises
Sur le premier point, la distinction souvent faite dans les débats publics entre les prélèvements sur les entreprises et les prélèvements sur les ménages ou entre les aides aux entreprises et les aides aux ménages n’est pas toujours très pertinente d’un point de vue économique. En effet, les impôts ne sont pas toujours supportés par les agents qui en sont juridiquement redevables et les aides ne bénéficient pas toujours à ceux qui les reçoivent.
Cette distinction est particulièrement difficile dans le cas des taxes sur la consommation comme la TVA. Une hausse (ou une baisse) du taux de la TVA, par exemple, peut être plus ou moins répercutée par les producteurs dans les prix payés par les consommateurs et le coût de cette hausse (ou le bénéfice de cette baisse) est ainsi partagé entre les producteurs et les consommateurs dans des proportions qui varient selon les produits.
S’agissant des cotisations sociales, certains économistes considèrent que le partage de leur coût entre les employeurs et les salariés est indépendant, à long terme, de leur répartition juridique entre cotisations patronales et salariales.
J’en conclus qu’il faudrait retirer de notre champ d’études les impôts sur la consommation et les dépenses fiscales relatives à ces impôts (elles prennent la forme de taux réduits ou d’exonérations). En me référant à la nomenclature des prélèvements obligatoires de la comptabilité nationale, je retiens, de manière conventionnelle, comme prélèvements sur les entreprises : l’impôt sur les sociétés ; l’impôt sur les bénéfices industriels, agricoles, commerciaux et non commerciaux ; les cotisations sociales des employeurs ; les impôts sur la production des entreprises (sachant qu’une partie des impôts sur la production est prélevée sur les ménages ou sur des administrations publiques). Pour ce qui est des aides, je retiens les dépenses fiscales relatives à ces impôts, les allègements de cotisations sociales patronales et les subventions versées aux entreprises figurant dans les comptes nationaux, lesquels distinguent les subventions à la production et les aides à l’investissement. Les crédits d’impôt sont inclus dans ces subventions.
La définition des dépenses fiscales, ou niches fiscales, pose elle-même d’importantes difficultés. Il s’agit de dispositions législatives ou réglementaires dérogatoires par rapport à une norme fiscale de référence et qui entraînent des pertes de recettes budgétaires. Or la définition de cette norme de référence est très difficile car elle renvoie à des conceptions non consensuelles de la fiscalité. Elle a d’ailleurs évolué en France dans le temps : certains dispositifs ont été retirés de la liste des dépenses fiscales alors qu’ils existaient encore et d’autres y ont été ajoutés alors qu’ils existaient depuis longtemps. Il n’y a aucune harmonisation internationale de cette norme de référence et il est donc quasiment impossible de comparer le nombre et le coût total des dépenses fiscales entre les pays.
S’agissant des cotisations sociales patronales, inclure les allégements sur les bas salaires dans les aides aux entreprises n’est pas non plus totalement évident. On pourrait en effet considérer que ces cotisations ont un barème progressif, comme l’impôt sur le revenu, et que cette progressivité est la norme. On ne dit d’ailleurs pas que les ménages exonérés d’impôt sur le revenu sont aidés et la décote ne figure pas sur la liste des dépenses fiscales. Je retiens néanmoins les allègements de cotisations patronales sur les bas salaires dans les aides aux entreprises, mais c’est assez conventionnel.
Les montant des aides reçues et des prélèvements supportés
Avec ces définitions, les prélèvements obligatoires sur les sociétés non financières se sont élevés à 364 Md€, soit 12,9 % du PIB, en 2023 dans les comptes nationaux. Les allègements de cotisations patronales et les dépenses fiscales autres que les crédits d’impôts sont déduits de ce montant qui correspond à ce que payent les entreprises et à ce que perçoivent les administrations publiques. Depuis la fin des années 1970, ce ratio évolue entre 12,5 et 14,0 % du PIB sans tendance nette.
Les subventions versées aux sociétés non financières était de 69 Md€, soit 2,4 % du PIB, en 2023 dans les comptes nationaux, crédits d’impôt inclus. En pourcentage du PIB, elles ont diminué du milieu des années 1980 à la fin des années 1990 pour atteindre un minimum de 1,0 % du PIB puis se sont inscrite sur une tendance croissante jusqu’à 2,4 % en 2023.
Les prélèvements sur les sociétés non financières nettes des subventions reçues représentaient donc 10,5 % du PIB en 2023, ce qui situait la France à la 3ème place de l’Union européenne, à égalité avec les Pays-Bas, derrière la Suède et Chypre, l’Allemagne étant loin derrière avec un ratio de 7,0 % du PIB. La France était à la 2ème place pour les prélèvements sur les sociétés non financières avant déduction des subventions, malgré les baisses d’impôt de ces dernières années, et à la 5ème place pour les subventions versées à ces sociétés.
La moyenne de l’Union européenne était à 8,1 % du PIB pour les prélèvements nets des subventions, soit un écart de 2,4 points avec la France. Cet écart était de 4,2 points en 1995, première année pour laquelle ces statistiques sont disponibles, de 3,3 points en 2013 et de 2,9 points en 2016, année précédant celle de la première élection d’Emanuel Macron à la présidence de la république.
L’efficience des aides et son évaluation
J’en viens à l’efficience des aides. Si elles n’existaient pas, les prélèvements obligatoires sur les entreprises seraient bien plus élevés en France que dans les autres pays, ce qui dégraderait fortement la compétitivité de nos entreprises. Or leur compétitivité est déjà insuffisante, malgré la baisse de l’écart relatif aux prélèvements nets des aides avec les autres pays, ce qui est une cause importante du déficit structurel de nos échanges de biens et services. Je pense donc qu’il faudrait éviter d’augmenter significativement le montant des prélèvements net des subventions sur les entreprises, même pour réduire le déficit public.
On pourrait en revanche maintenir le même niveau de compétitivité en supprimant une bonne partie des subventions, dépenses fiscales et allègements de cotisations et en réduisant les taux normaux des impôts et cotisations concernés pour un rendement total inchangé. Il en résulterait au moins une simplification et une baisse des coûts de gestion de ces dispositifs, pour les entreprises comme pour les administrations.
Il faudrait seulement garder les aides économiquement justifiées, en particulier les aides à la recherche et la décarbonation car elles permettent de tenir comptes d’externalités, positives ou négatives, comme disent les économistes. Les allègements de cotisations patronales sur les bas salaires sont, quant à eux, justifiés par le niveau du SMIC rapporté au salaire moyen ou médian, pour lequel nous sommes à la troisième place en Europe, et par le taux de chômage des personnes les moins qualifiées.
Une réduction des aides combinée à une baisse des taux d’imposition ou de cotisation pour un même rendement budgétaire total ferait certainement beaucoup de gagnants et de perdants pour des montants potentiellement importants, ce qui pose un délicat problème d’économie politique, mais je n’ai pas les moyens d’estimer le montant de ces transferts.
Certaines aides, comme les aides à la recherche, peuvent être justifiées sur la base de principes économiques généraux, comme les externalités positives de la recherche, mais ne pas être pour autant efficientes parce qu’elles sont mal conçues. Il faut donc évaluer tous les dispositifs. C’est très important car les subventions entraînent toujours beaucoup d’effets d’aubaine. Par exemple, on aide à la création d’emplois qui auraient de toutes façons été créés.
Pour évaluer l’impact d’une aide à l’emploi, par exemple, il faut pouvoir mesurer la différence entre les emplois effectivement créés et ceux qui auraient été créés sans cette aide. Mais cette situation contrefactuelle, comme disent les économistes, n’est par définition jamais observable.
L’impact d’une aide à l’emploi ne peut être mesuré qu’avec des instruments statistiques en comparant les évolutions de l’emploi dans un échantillon d’entreprises ayant bénéficié de l’aide et dans un échantillon d’entreprises qui n’en ont pas bénéficié, les deux échantillons ayant par ailleurs les mêmes caractéristiques. Ces évaluations sont difficiles et leurs résultats fragiles.
L’évaluation d’une aide ne peut reposer que sur l’application de méthodes statistiques et il est donc impossible d’estimer l’impact d’une aide pour une entreprise particulière. S’agissant des aides à l’emploi, pour reprendre cet exemple, on ne sait jamais si l’évolution des effectifs d’une entreprise aurait été significativement différente en l’absence de l’aide. Il ne me semble donc pas pertinent de conditionner les aides à des résultats comme la création d’emplois et d’exiger leur remboursement si ces résultats ne sont pas atteints.
Indépendamment de leur impact, les aides sont liquidées sur la base d’effectifs, de salaires, de dépenses de recherche, d’investissements etc. qui sont déclarés par les entreprises et ces déclarations doivent être contrôlées. Mon expérience, ancienne, à la Cour des comptes et la lecture plus récente de ses rapports et de ceux des inspections me laissent penser que ces contrôles sont insuffisants, surtout en raison du nombre et de la complexité des dispositifs.