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11 / 02 / 2025 | 32 vues
Christian Babusiaux / Membre
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Handicap : le besoin prioritaire n’est ni d’une nouvelle loi, ni de règlements supplémentaires, mais bien de clarifier, simplifier, décloisonner, décomplexifier

La loi du 11 février 2005 fut une « grande loi » suscitant beaucoup d’attentes et d’espoirs pour les personnes concernées puisqu’elle actait enfin l’accès à tout pour tous ainsi que le principe de compensation individualisé. Cependant, en ce début de 2025, 20 ans après la promulgation de la loi, les personnes concernées et leurs familles constatent à leurs dépens de nombreux manquements. L’ONU continue à dénoncer régulièrement le retard français.


Certes, avec le succès des jeux paralympiques, les Français ont découvert des parcours de sportifs de haut niveau aux performances élevées. Ils ont pu constater dans le même temps la diversité des situations de handicap entre handicap moteur, visuel, auditif, psychique ou mental, même si ce dernier était encore trop peu représenté ainsi que le polyhandicap. Ils ont pu aussi mieux cerner les difficultés quotidiennes auxquelles nos concitoyens en situation de handicap sont confrontés.


Pour autant, nous ne vivons pas encore aujourd’hui dans une société où chacun peut disposer de sa pleine autonomie malgré son handicap. Or, la société, quand elle est mal organisée impose des contraintes supplémentaires, pose des obstacles sur les parcours de vie des personnes handicapées, que ce soit pour l’école, l’emploi, l’exercice de la citoyenneté ou l’accès aux droits, y compris à la vie affective et sexuelle.


Le respect de ces droits est l’affaire de tous dans une société qui doit s’adapter. Cependant, l’Etat doit être le chef d’orchestre de cette transformation d’ampleur pour répondre au projet de société inclusive. Or le dispositif public n’est pas organisé pour cet objectif.


En France, 12 millions de personnes seraient concernées. 4,3 millions d’entre elles ayant de 20 à 59 ans et vivant à domicile connaitraient des limitations fonctionnelles, et auraient une reconnaissance administrative de handicap et/ou un handicap ressenti. 510 000 personnes vivraient en établissement spécialisé. 501 700 enfants en situation de handicap auraient été scolarisés à la rentrée 2022.


L’utilisation du conditionnel pour citer ces chiffres illustre en soi le premier retard de la France, lourd de conséquences : le manque persistant et criant de données et de statistiques robustes sur la population en situation de handicap rend difficile et en bonne part inopérant la connaissance, le pilotage et le suivi de l’action publique dans ce domaine.


Dans le concret des situations, le retard dans l’accessibilité des transports, des espaces publics, culturels, sportifs, continue de restreindre l’autonomie des personnes en situation de handicap. Près de la moitié des établissements recevant du public (ERP) restent inaccessibles, et, sur le marché du travail, le taux de chômage des personnes en situation de handicap demeure deux fois plus élevé que celui de la population générale.


Pour les adultes, des dispositifs ont été créés pour éviter que des personnes restent sans solution. Il y a 10 ans cette année, l’emploi accompagné a été inscrit dans le code du travail et il continue à se déployer. Dans cette démarche, l’entreprise comme la personne concernée apprend à changer sa représentation de l’autre pour réussir l’insertion professionnelle. Mais cette réussite est liée à un projet de territoire (département, bassin de vie) porté par les acteurs de l’emploi et de la solidarité. Tous les territoires ne sont pas encore couverts par des Plateformes d’emploi accompagné.


En outre, l’imbrication des responsabilités entre l’Etat et les collectivités territoriales ne facilite ni le pilotage ni la prise de décision.


Chacun suit son sillon. Il y a eu, à la fin des années 2010, une tentative de construire ce changement au travers des appels à projets « territoires 100% inclusifs ». L’idée était
intéressante, certains territoires ont avancé mais sans suivi et évaluation permettant de capitaliser et de déployer largement. Là comme ailleurs, on butte sur cette absence d’évaluation de l’impact des politiques publiques comme si l’on se refusait à faire apparaître des résultats, des « bonnes pratiques », certainement perfectibles mais qui permettraient de partager et capitaliser l’ampleur du chemin déjà parcouru et les progrès à réaliser.


S’agissant des enfants et jeunes reconnus en situation de handicap, ce sont aujourd’hui près de 470 000 d’entre eux qui sont scolarisés en milieu ordinaire, accompagnés pour certains par des services spécialisés, grâce à une coopération croissante entre l’école et le médico-social et dans le cadre de moyens d’accompagnement qui se sont renforcés depuis la loi pour l’école de la confiance de 2019, ce qui leur évite une orientation trop précoce ou mal adaptée vers des établissements spécialisés, avec les difficultés d’une telle orientation.

 

Pour autant, l’accessibilité dans l’enseignement reste l’affaire de quelques spécialistes et ni la pédagogie ni la didactique ne s’en sont encore complètement emparées. De nombreuses questions restent à résoudre : sur le rythme de scolarisation et d’acquisition des compétences scolaires ; sur les modalités de la scolarisation inclusive ; sur les mesures de compensation et leurs évolutions selon le développement et l’âge des jeunes ; sur l’organisation de la collaboration des différents adultes intervenant auprès d’eux ; sur l’accès au matériel pédagogique adapté ; sur la formation initiale et continue des personnels concernés (relevant de l’Etat, des établissements spécialisés, des collectivités territoriales…) et de l’encadrement ; sur la place des parents ; sur les modes de déplacement des enfants selon le cadre de scolarisation alors que les trajets peuvent être longs.


A chaque rentrée scolaire, malgré les progrès de « l’école inclusive », malgré nombre d’initiatives innovantes ou expérimentales, les mouvements parentaux alertent et dénoncent les manques et affichent le nombre d’enfants non ou mal scolarisés.


L’action publique doit impérativement être repensée pour être mieux pilotée et menée dans une approche globale, transversale et participative. Trop souvent les questions de scolarisation, d’emploi, de logement… sont renvoyées au ministère spécifiquement en charge de la politique du handicap et à son administration dédiée au sein du ministère de la santé et des affaires sociales, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), évitant ainsi aux autres ministères de prendre en compte cette dimension dans leurs actions. Or, la réponse à apporter pour une société inclusive est loin de relever seulement du champ sanitaire ni même du champ social. Elle implique l’ensemble des dimensions ministérielles.


Le handicap résulte de l’interaction entre les facteurs personnels (incapacités de la personne) et les facteurs environnementaux (inaccessibilité du cadre bâti, des transports, des services, des technologies, barrières comportementales). Cette interaction peut venir entraver le plein accès de la personne concernée. De ce fait, l’ensemble des politiques publiques doit systématiquement intégrer l’impact d’une décision sur l’objectif d’une société inclusive. Le principe devrait être d’évaluer par une mesure d’impact systématique les projets de textes législatifs ou réglementaires en pensant d’abord les dispositions universelles adaptées à tous avant de regarder les spécificités par type de handicap.



Pour tenter de résoudre les difficultés récurrentes dans le pilotage et le déploiement de la politique publique, le « mal » français s’est exprimé en multipliant les agences et dispositifs de coordination chronophages et souvent incompréhensibles.


Ainsi, plus de 1840 dispositifs de coordination coexistent dans le champ de l’accompagnement à l’autonomie, soit plus de 18 structures par département. Ils mobilisent près de 7 300 ETP pour un montant estimé à 870 millions € que l’on pourrait aisément réinjecter au bénéfice des personnes concernées.


La valse-hésitation sur le portage politique au gré des remaniements ne satisfait pas le besoin de stabilité pour un effort soutenu dans la durée, indispensable pour ce type de sujets. Une solution pourrait être de s’appuyer sur la direction générale de la cohésion sociale en la transformant en délégation interministérielle tout en mettant fin à l’éparpillement des structures administratives, en regroupant en son sein le secrétariat général du comité interministériel du handicap, les délégations interministérielles relevant de ce champ, etc... Cela favoriserait à la fois une logique transversale et la continuité de l’action.


Au plan territorial, Il faut clarifier et simplifier le partage des responsabilités entre l’Etat et les collectivités territoriales afin de limiter les coûts de coordination ; ajuster les rôles entre l’Éducation nationale et les Agences régionales de santé (ARS) dont relève le médico-social ; renforcer les coopérations au plan départemental (les ARS disposent de délégations départementales et l’Education nationale de services départementaux de l’école inclusive) ; renforcer aussi les coopérations pour ce qui relève des politiques d’insertion et de loisirs de la jeunesse ; clarifier et simplifier les lieux de concertation avec les parties prenantes, y compris les associations représentants les personnes handicapées et leurs familles, en évaluant le recours par territoire et leur efficacité pour supprimer les instances redondantes.


En 2021, la loi a créé une « branche » autonomie, gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Cette disposition reconnait un cinquième risque de la sécurité sociale et la place majeure du financement de l’autonomie, que ce soit pour les personnes en situation de handicap ou pour les personnes âgées dans une société qui vieillit et où le nombre de personnes en situation de vulnérabilité, quelle qu’en soit la cause, augmente considérablement. La prise en compte des différences ne doit plus être considérée comme un supplément d’âme mais comme une composante essentielle de l’ensemble des politiques publiques et des actions sociales sur un territoire.


Créée par la loi du 11 février 2005, la CNSA pourrait être utilisée afin de dépasser la logique de financeurs multiples aux financements cloisonnés et constituer un opérateur national unique. Elle a vocation à gérer les quelques 42 milliards d’euros destinés à la politique en faveur de l’autonomie des personnes âgées et des enfants et adultes en situation de handicap. Son conseil de 92 membres comprend l’ensemble des parties prenantes -l’Etat, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les fédérations gestionnaires et les représentants des personnes- et est un lieu d’échanges mais il peine à construire du consensus pour des mesures efficaces et lisibles.


Cette participation souffre d’insuffisance de méthodes, de moyens et de temps,

 

Si l’ambition est bien de de convoquer la participation effective des personnes concernées à la définition des politiques publiques, il convient que le dialogue puisse avoir des débouchés opératoires.


La CNSA est aujourd’hui au milieu du gué. Il faut aller plus loin et, pour mettre fin aux financements cloisonnés qui freinent la transformation de l’offre, permettre à la CNSA d’agir
plus réellement, dans le cadre des orientations nationales fixées par le Gouvernement, et donner la responsabilité à la branche autonomie de verser les dotations aux établissements et services.


Une idée pourrait être qu’elle s’appuie aussi sur la branche « famille », qui dispose, avec les CAF, d’un réseau territorial de proximité, a une mission d’accompagnement des familles et verse déjà l’allocation pour adulte handicapé (AAH) et des aides au logement.


Les Conseils départementaux doivent avoir, eux, la responsabilité de la mise en œuvre de la société inclusive sur leur territoire. Cette déclinaison départementale devrait permettre de prendre en compte les réalités de chaque territoire, entre besoins remontés et ressources identifiées.

 

Le comité de suivi de l’Ecole inclusive, d’impact limité actuellement au temps scolaire et à un simple suivi, pourrait à cet effet être transformé en un comité de pilotage
départemental plus transversal portant notamment sur l’inclusion sociale, scolaire, professionnelle et la vie quotidienne des personnes concernées. Il aurait vocation à mobiliser et fédérer les acteurs essentiels que sont le Conseil départemental, les associations de maires, la MDPH, la DSDEN, l’ARS, la DDETS, les associations d’usagers, les acteurs du médico-social.


Le cadre à mettre en place pour aller plus fortement vers une société inclusive, comporte ainsi trois éléments : un portage politique national pour la conception et le pilotage transversal au niveau national ; un opérateur acquérant une plus réelle capacité d’action et une plus grande proximité du terrain tout en apportant une simplification des financements ; un portage politique départemental transversal.


Le besoin prioritaire n’est ni d’une nouvelle loi ni de règlements supplémentaires, mais bien de clarifier, simplifier, décloisonner, décomplexifier. Avec une volonté d’agir pour mettre en œuvre les ambitions fixées par la loi du 11 février 2005, dont l’objectif central sera de redonner dans toute la mesure du possible aux personnes concernées de l’accessibilité, de l’autonomie, de l’universalité ; c’est-à-dire du pouvoir sur leur vie.

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