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15 / 04 / 2020 | 996 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Comment reprendre l’activité sans ramener la mort à la maison ?

A la suite de l’intervention du Président de la République le lundi 13 avril, chacun espérait une clarification sur les conditions à réunir sur le plan sanitaire et organisationnel afin de reprendre l’activité. Si un horizon de déconfinement a été avancé pour le 11 mai avec une reprise par étapes, les zones grises subsistent.


Aussi faut-il s’inspirer des exemples étrangers en particulier en Corée du Sud, et Taiwan pour définir les modalités qui pourraient s’appliquer à notre pays afin de donner un cadre précis aux acteurs économiques pour organiser sous de nouvelles normes sanitaires l’activité. La reprise devant être hautement sécurisée car un échec pourrait constituer une nouvelle catastrophe tant sur les plans sanitaire qu’économique.


L’équation stratégique s’annonce simple dans son énoncé mais compliquée dans sa résolution. Reprendre le travail ? Oui mais… Oui, certainement car la peur et la paupérisation gagnent peu à peu le pays … mais sans pour autant ramener la mort à la maison !


Précision bienvenue : la France a poursuivi son activité depuis l’instauration du confinement le 17 mars 2020. Certaines professions comme les soignants, les pompiers, les assistantes de vie pour les personnes âgées, les policiers, les caissières, les éboueurs, les livreurs, les chauffeurs routiers et conducteurs sanitaires… ont même été sur sollicitées et dévouées jusqu’à l’abnégation faisant fi des risques, parfois jusqu’à la mort. On ne l’oubliera jamais.


D’autres professions dans des secteurs stratégiques et essentiels ont aussi poursuivi leur activité assumant des urgences plus souterraines en particulier les techniciens de la maintenance chargés d’assurer la sécurité de la Nation, on ne saurait négliger l’entretien des centrales nucléaires ou l’entretien des usines de traitement de l’eau. N’oublions pas non plus les agriculteurs et les acteurs de la chaine de distribution qui ont assuré les approvisionnements de la population pour éviter la pénurie. Les nécessités de la reprise de l’activité ne manquent donc pas…écroulement de la collecte de la TVA, limites de la couverture de l’état providence qui ne pourra plus durer très longtemps, absence de ressources pour une partie des citoyens…  


Comment garantir une reprise d’activité sans exposition de la santé des salariés ?  Voyons à la lumière des expériences étrangères les conditions à réunir et examinons celles qui nous font encore défaut !


Dans cette période chaque salarié, chaque citoyen cherche de l’information scientifique, juridique, professionnelle pour arrêter ses choix et se préserver au mieux. Une réflexion s’est engagée comme il n’y en a jamais eu. Grâce à la diffusion des informations sur les réseaux sociaux chacun peut accéder à un certain niveau de questionnement : Quelle connaissance scientifique avons-nous réellement de ce virus ? Faut-il porter un masque en permanence ? Avons-nous un stock suffisant de masques pour tous ? Faut-il se faire dépister ? Avons-nous les tests suffisants en nombre et en qualité pour le faire ? Comment s’assurer d’un dépistage fiable ?  Toutes ces questions semblent avoir trouvé des réponses en Corée du Sud, à Taiwan et en Allemagne. Pays qui ont traversé jusqu’à présent cette épreuve avec une surmortalité réduite. Dans ces pays la reprise de l’activité a été facilitée en raison des moyens de protection et de dépistage. La carence en France de ces moyens complique forcément la donne et retarde la reprise.

Accord de reprise


Le préalable au retour à l’activité même partielle du travail est l’instauration d’un large débat entre tous les acteurs au sein de l’entreprise qui pourrait donner lieu le cas échéant à la signature d’un accord de reprise et de continuation de l’activité. Cet accord ne devrait pas se limiter au court terme mais d’ores et déjà envisager les relocalisations d’activité et les modifications des chaines de production. Ce large débat associera les partenaires sociaux direction et représentants syndicaux, les médecins du travail et sans doute les établissements hospitaliers de proximité, et les experts en prévention appelés à valider le sérieux des plans de reprise d’activité.


Les fortes fluctuations de la position des pouvoirs publics, au départ sur l’ampleur de la crise, puis sur la gestion des masques ou encore sur la disponibilité des tests ont ébranlé la confiance dans le discours en santé publique. Les citoyens doutent, et à juste titre, ne veulent plus exposer leur santé et celle de leurs proches ou prendre des risques inconsidérés en reprenant trop tôt leur travail alors que les traitements ne sont pas disponibles en cas de contamination et qu’ils ne peuvent pas encore bénéficier de vaccins. Détailler les conditions sanitaires satisfaisantes et les procédures précises à adopter pour garantir la santé et la sécurité des salariés et des employeurs est un remède incontournable pour le retour à la confiance. Ce programme de mesures détaillées doit contribuer à réduire les importantes angoisses et le niveau de stress trop élevé dues à la période.


Pour ce programme détaillé en l’absence de traitements et de vaccins, la première question concerne les personnes qui doivent reprendre le travail ?


Une attention particulière doit être accordée aux salariés les plus fragiles, les plus vulnérables qui demeureront confinés ou en télétravail. Les personnes à risque, les personnes avec une santé touchée par des comorbidités, les salaries atteint d’une maladie chronique ou longue durée ne doivent pas reprendre le travail dans cette première phase. (La liste est longue aussi voir pour cela l’avis du Haut Conseil de la Santé Publique repris et commenté dans le détail sur l’Appli Nos Droits qui se télécharge gracieusement sur Google et sur Appel Store et qui donne accès libre à une veille juridique précieuse ).


Pour les grandes entreprises qui comptent des centaines, des milliers de salaries en présentiel sur site, la reprise doit être progressive avec une grande prudence pour gérer les flux en préservant la possibilité de boucles rétroactives si besoin. Gérer le nombre en proximité rapprochée en limitant les interactions humaines sera à cette condition.  Ainsi en fonction de la nature des métiers, la reprise partielle pourrait ne concerner au départ que 10 % du personnel avec un séquençage et des vacations adaptées.



Autre exigence. Mettre en œuvre de véritables procédures adaptées au travail réel. Il n’est pas question de simplement se couvrir en matière de responsabilité pour les employeurs. Par exemple dans le BTP Impossible de travailler seul : un tuyauteur qui pose des tuyaux est obligatoirement associé à un soudeur et à monteur levageur, tout le gros œuvre se fait par équipe. Les processus devront se caler sur ces contraintes. Cf les fiches métiers par secteur du gouvernement https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/coronavirus-covid-19-fiches-conseils-metiers-pour-les-salaries-et-les
Autre conseil pour assurer le respect des procédures, mettre en place des responsables contrôleurs des règles au plus près du terrain un peu comme les coordinateurs sécurité sur les chantiers du bâtiment car dans cette affaire il y a ceux qui vont respecter les règles et il y a les autres.


Quels sont les éléments à retrouver dans le programme de reprise ?


A l’exemple de l’étranger appliquer les dispositifs connus à l’heure actuelle permettrait de limiter les risques tout en sachant que la sécurité totale n’existe pas. Dans ce cas, il conviendra de bien distinguer les mesures à respecter avant l’entrée dans le lieu de travail d’une part et à l’intérieur du lieu d’autre part. En bref, il s’agit de l’adaptation renforcée du modèle sécurisé qui prévaut dans les entreprises de hautes technologies comme celles qui œuvrent dans le secteur des nano particules.


Un dispositif incontournable avant l’entrée : la mise en place d’un portail, véritable sas filtrant les flux des entreprises ou des bâtiments où s’exerce le travail permet d’assurer un dépistage systématique pour vérifier l’état de santé de toutes les personnes (salariés, dirigeants, fournisseur, transporteur,) préalablement à leur entrée dans les lieux.


Un document élaboré dans ce but sera envoyé aux fournisseurs, et clients qui informés au préalable pourront ainsi connaître le protocole avant d’entrer sur les lieux.


Le document précisera le management sanitaire :
 

 

  • Obligation de ports de masque de protection et vérification de l’ajustement sur le visage
  • Fin des embrassades, des poignées de mains et rappel de l’obligation du respect d’une distanciation de 1,5 mètre minimale  
  • Prise de la température systématique  
  • Délivrance d’un passeport santé de libre circulation à partir d’une généralisation des tests sérologiques, des radios et des scanners thoraciques (pas forcément à l’entrée mais dans des centres adaptés).
  • Mise en place d’un suivi à l’aide d’une application numérique qui permet le traçage dans le respect du RGPD c’est-à-dire sur une base volontaire et à partir du bluetooth qui ne collecte pas les données de géolocalisation.


Cette approche récurrente doit permettre de qualifier l’état de santé et de mettre en quarantaine les salaries qui seraient diagnostiqués à risque ou infectés.


Cette approche pose de sérieuses questions du respect des droits de l’homme et des libertés publiques qui devront être abordées avec les représentants du personnel afin d’éviter les dérives et de favoriser leur encadrement. Ces mesures arrêtées au niveau de l’entreprise pourront toujours faire l’objet d’une contestation devant les juridictions. Un fort contentieux pourrait émerger car comme souvent en urgence le curseur se déplace entre la sauvegarde des libertés publiques et la préservation de la sécurité et de la santé. Ces mesures devront dans tous les cas pouvoir être justifiées car proportionnées aux risques encourus.


Une fois à l’intérieur de l’entreprise : mise en place de procédures adaptées au travail réel et modification en profondeur des chaines de production.


Instauration de mesures d’hygiène drastiques en mobilisant les services de santé au travail qui peuvent aussi assurer des contrôles :
 

  • Nettoyage régulier des mains pour les cohortes de salariés gardant les distances recommandées et évitant les contacts avec des produits comme le gel hydroalcoolique.
  • Désinfections programmées des outils de production et des équipements.
  • Entretien de la propreté des locaux sanitaires et de restauration, des instruments de travail, des produits fabriqués et achetés.
  • Généralisation des protections adaptées pour limiter les interactions humaines.
  • Mise en place d’investissement dans les infrastructures et l’organisation du travail : signalétique et traçage au sol visuel pour aider à respecter les bonnes distances, montage de cloisons de séparation des salariés, suppression des portes avec poignées et mise en place d’ouverture automatique, battante ou coulissante.
  • Distanciation par une dispersion dans l’espace quand les salariés avaient l’habitude de travailler en groupe. On sacrifie alors l’efficacité et la rapidité d’exécution au profit de la sécurité
  • Suppression des échanges papiers au profit des échanges numériques.

     

Limitation du nombre et de la longueur des déplacements des biens et des hommes


Les nouvelles méthodes de travail sous contraintes ont démontré que bon nombre de déplacements étaient finalement peu utiles et ont favorisé en cela le travail à distance. A moyen terme, ce processus de ralentissement des mobilités des hommes et des biens déjà initié pour des raisons de pollution de la planète, se prolongera avec la relocalisation d’activités et la remise en question des chaines de production. La division du travail à l’échelle internationale a permis aux employeurs de capitaliser sur les écarts de salaires en privilégiant les pays à bas coûts ce qui a généré une forte dépendance en particulier vis-à-vis de la Chine. Cette dépendance a façonné les chaines de production de valeur qui vont devoir évoluer dans tous les domaines en rapatriant de l’activité. La France par exemple ne pourra plus continuer à dépendre à 90 % de la Chine pour la production de sa pénicilline.

 
Autre évolution : le rapatriement de certaines activités sera précédé par un retour à la constitution de stocks alors que la chaine logistique visait le zéro stock. La nécessité d’assurer son indépendance et la continuité de son activité va conduire les multinationales à modifier leur approvisionnement et adapter leur recrutement/formation de personnel ?
 

Renforcement de l’innovation, et de l’automatisation des équipements La crise a accéléré les innovations numériques. Les constats effectués en Chine pour la reprise des activités ont montré par exemple qu’une bonne partie des supervisions et des contrôles qualité ne se réaliseraient plus désormais en proximité mais après captation d’images. Les techniques optiques et de la réalité augmentée favorisant alors les contrôles dans les moindres détails à distance.


La négociation qui s’ouvre entre les directions du personnel, les représentants des salariés s’avère propice pour au-delà de la simple remise en activité penser les nouvelles articulations des chaînes de production au niveau international.

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