Le patronat, muse éternelle des gouvernements
Depuis plusieurs décennies, chaque réforme du marché du travail semble s’inspirer des demandes patronales. Le Gouvernement de ces derniers mois ne faisait pas exception : en relançant le débat sur les CDD et l’intérim, il mettait une nouvelle fois en avant la flexibilisation plutôt que la protection des travailleurs.
Enfin d’année dernière, la ministre du Travail et de l’Emploi partageait sa volonté de mettre le compte personnel de formation au service des employeurs (1) . Cet été, la ministre a regretté que « la réglementation relative à la protection de l’emploi apparaisse plus protectrice en France qu’ailleurs », notamment concernant les règles encadrant le recours aux CDD ou travail temporaire. Et elle a fixé ses objectifs pour « moderniser le marché du travail », toujours sous la bannière de la flexibilisation2 . L’exécutif regrette une protection jugée « trop forte »
Dans son document d’orientation, le Gouvernement exprime son regret que la réglementation française soit « plus protectrice qu’ailleurs », en particulier sur les contrats courts (CDD et intérim).
Son intention affichée est de « confier aux syndicats et au patronat la charge de réfléchir aux aménagements qui pourraient être apportés, notamment via la négociation collective », afin de favoriser le recours à ces contrats.
Le choix d’un tel apophtegme étonne car le rôle des gouvernants n’est-il pas d’apporter une protection ?
Stigmatiser cette protection de l’emploi (plus précisément, cette protection des travailleurs), et décréter vouloir briser l’armure, est donc contre nature. Ensuite, cette vision est contestable. Les études comparatives européennes ne mettent pas en lumière une protection française systématiquement plus élevée.
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Des chiffres qui parlent
• Plus de 90 % des embauches se font en CDD ou en intérim.
• 80 % de ces contrats durent moins d’un mois.
• Les réformes de 2017 et 2018 n’ont pas régulé la multiplication de ces contrats ultra-courts.
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Le droit français prévoit, certes, des règles strictes de recours aux contrats temporaires (motifs précis, durée maximale, délai de carence entre deux contrats), mais ces contraintes s’accompagnent aussi de dérogations nombreuses qui rapprochent le régime français d’autres systèmes européens.
La France vraiment trop protectrice ?
Lors de la transposition de la directive 2008/104/CE sur le travail intérimaire, l’Etat français avait rédigé un rapport d’impact détaillant l’ensemble de sa réglementation. Loin de mettre en avant une protection excessive, ce rapport justifiait les restrictions existantes comme constitutives d’un équilibre. Le Gouvernement français soulignait alors que les obligations liées au délai de carence, à la limitation des cas de recours et à la durée maximale des contrats étaient des contraintes pour les entreprises, mais des contraintes nécessaires pour éviter la substitution durable de l’intérim au CDI.
En d’autres termes, le droit français a été jugé conforme et équilibré au regard du droit européen, et non comme un bastion rigide nécessitant des assouplissements.
Une réforme déjà tentée, sans résultats
Malgré un tel constat, le Gouvernement a consacré un nouveau contrat : le CDI des intérimaires, lequel régit environ 50 000 travailleurs à ce jour. Ce contrat comporte de nombreuses entorses au droit commun, que le patronat du travail temporaire ne cesse de vouloir Les contrats ultracourts sont devenus la norme d’accès à l’emploi pour des centaines de milliers de travailleurs.
Le rôle des gouvernants n’est-il pas d’apporter une protection ?
La mode était à la flexi-sécurité à la danoise, mais les travailleurs français n’ont eu que la flexibilité. La volonté actuelle du Gouvernement de rouvrir la boîte des contrats temporaires intervient alors qu’une réforme majeure a déjà eu lieu. L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a transféré aux branches professionnelles la compétence de réguler certains aspects essentiels des CDD et des contrats de mission en intérim : la durée maximale, le nombre de renouvellements et les modalités de calcul du délai de carence.
Pour la première fois, des éléments traditionnellement fixés par la loi étaient confiés à la négociation de branche.
Or, trois ans plus tard, le bilan était maigre.
Selon des données du ministère du Travail, relayées dans un rapport du Sénat, un très petit nombre d’accords ont effectivement mis en œuvre ces nouvelles prérogatives de branche. La majorité des branches n’a pas saisi cette opportunité, preuve que la réforme n’a pas eu les effets attendus.
Un bilan en demi-teinte
Comme le souligne un rapport du Sénat en juin 2021, la réforme du dialogue social a produit des transformations formelles, mais l’appropriation par les acteurs est restée limitée (4). France Stratégie a dressé le même constat dans son bilan provisoire : la crise sanitaire a absorbé l’énergie des négociations, et les marges ouvertes par les ordonnances de 2017 n’ont pas été investies de manière significative (5).
Pourtant, la situation de l’emploi n’a cessé de se dégrader pour les jeunes et les travailleurs précaires. Selon la DARES, en 2017 déjà, plus de 90 % des embauches se faisaient en CDD ou en intérim, dont 80 % pour une durée inférieure à un mois.
Les contrats ultra-courts sont devenus la norme d’accès à l’emploi pour des centaines de milliers de travailleurs, sans que la réforme de 2018 apporte de régulation. Le résultat est clair : la délégation aux branches n’a pas permis de limiter la précarité, et aucune évaluation spécifique n’a été conduite par l’Etat pour mesurer l’impact réel de cette réforme. Une inspiration patronale assumée Les propositions actuelles du Gouvernement ne tombent pas du ciel. Elles ressemblent fortement à une initiative patronale de la branche du travail temporaire, qui avait conduit en 2019 à un accord signé par toutes les organisations syndicales représentatives sauf FO.
Cet accord visait à élargir encore les possibilités de recours à l’intérim, à allonger la durée des missions et à créer de nouveaux cas de recours. notre organisation syndicale avait alors dénoncé un texte déséquilibré et dangereux pour les droits des intérimaires. Grâce à l notre opposition et à la mobilisation, cet accord n’a jamais été étendu par les pouvoirs publics.
Nous avions alerté dès 2020, dans un communiqué, sur la tentative du patronat de tirer
profit de la crise sanitaire pour accroître la dérégulation. Sous le prétexte de relancer l’activité, les propositions visaient à allonger la durée des missions, créer de nouveaux motifs de recours et fragiliser encore davantage les parcours des intérimaires.
Notre organisation avait alors dénoncé une politique de la précarité, qui ne répondait ni aux besoins des salariés, ni à ceux de l’économie réelle.
Le document du Gouvernement était clairement d’inspiration patronale. Il laisse en suspens le fait de déterminer qui des organisations patronales de branches utilisatrice ou de l’intérim tiennent à ce jour le haut du pavé au sein du patronat. De toute évidence, le pouvoir exécutif n’a pas été inspiré par les positions et revendications des organisations syndicales de salariés.
Dès son apparition, notre fédération a été la seule organisation représentative à contester ce contrat hybride qui institutionnalise la précarité sous couvert de stabilité.
Cette ligne syndicale constante repose sur une conviction simple : le travail intérimaire doit être une étape, pas un destin.
Nous militons pour que les intérimaires puissent accéder à des missions plus qualifiées, obtenir une meilleure rémunération et voir leurs compétences reconnues.
Comme le rappelle un communiqué de 2020, notre Organisation refuse de transformer les fonds de formation de la branche en simples instruments de mise à l’emploi. Ces fonds doivent rester fléchés vers la qualification et l’élévation des parcours professionnels, et non servir à institutionnaliser des emplois précaires. Malgré l’instabilité politique, les réformes demeurent issues de la même veine. La Section Fédérale des Services sera attentive à toute nouvelle volonté de dérégulation, et portera ses revendications pour l’amélioration des conditions de travail et de rémunération des intérimaires.
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Loin de représenter un véritable CDI, le contrat hybride maintient les travailleurs dans une succession de missions, sans offrir les garanties d’un emploi pérenne. Après la légalisation du CDI intérimaire par la loi du 8 septembre 2018, notre organisation syndicale n’a pas baissé les bras.
Elle a revendiqué dans la branche :
• la mise en place de salaires minima hiérarchiques pour ce contrat, afin que les intérimaires en CDI ne soient pas payés au rabais ;
• un double mécanisme de reconnaissance de l’expérience, pour que l’accumulation de missions et la fidélité au secteur se traduisent en progression de carrière et en droits nouveaux.
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1. Debout n°182, décembre 2024, p. 10 et 11. Accessible : https://www.calameo.com/read/004781749981906d14bc0?trackersource=library
2. Article de décryptage (version complète sur abonnement):https://www.aefinfo.fr/depeche/735413-le-ministere-du-travaildetaille-aux-partenaires-sociaux-ses-objectifs-pour-moderniser-le-marche-du-travail
3. Voir dernièrement Debout n°181, novembre 2024, p. 28 et 29.
Accessible https://www.calameo.com/read/0047817491626dcc-03d8e?trackersource=library
4.https://www.senat.fr/rap/r20-722/r20-722.html
5.https://www.vie-publique.fr/en-bref/282982-ordonnancesmacron-un-bilan-mitige-mais-provisoire