Organisations
Devoir de mémoire (1938-1945) : les cheminots dans la tourmente
« Face au malheur : il faut lutter et savoir comment le faire. Au sein du malheur, au comble du désespoir, un seul moyen de sauvegarder la grandeur qui est en l’homme, c’est d’accepter l’épreuve, d’accepter le combat, toujours relever le gant, même quand tout paraît perdu, que la lutte n’a plus de sens dans une perspective humaine, relever le défi du destin, ceci jusqu’au bout.
Face à l’homme : ne pas être surpris lorsqu’on découvre des monstres, savoir que l’homme est capable du pire, mais aussi du meilleur, et que plus généralement il se situe entre les deux extrêmes.
Donc il faut être prêt à affronter les monstres, à soutenir les meilleurs et à se montrer fraternel envers tous les autres »
Léon BRONCHART
Cheminot et Résistant
Alors que nous fêtons le 80ème anniversaire de la libération de l’Europe et bientôt de la défaite du Japon impérial, il convient de mesurer l’apport des cheminots et de leurs familles dans ces évènements historiques. De celles et ceux qui demeurent en vie en 2025, des parents, grands-parents et arrière-grands-parents nés dans les années 30, ont vécus enfants ou jeunes adolescents la seconde guerre mondiale.
Prélude du conflit mondial …
Les années 20 et 30 connaissent l’arrivée au pouvoir de dirigeants autoritaires et fascistes (Italie, Allemagne, Portugal, Espagne…). L’étude de l’histoire et le recul nécessaire avec des travaux analytiques font apparaitre que beaucoup d’actions néfastes futures étaient déjà diffusées par des livres (« Mon combat » d’A. Hitler) et des proclamations mussoliniennes et franquistes.
Mais les principales démocraties sont sorties de la 1ere guerre mondiale avec la plus belle proclamation pacifiste qui soit (« plus jamais ça ») devant le bilan de la plus grande boucherie humaine que nous connurent entre 1914 et 1918. Le traité de Versailles portait en lui les réparations et l’arrogance des vainqueurs. Pourtant, la Société des Nations fut créée. Elle portait l’avenir d’un monde en paix.
La crise économique de 1929-1931 aux Etats-Unis puis en Europe fut un électrochoc très puissant qui accompagna la montée des extrémismes et la remise en cause des valeurs démocratiques. La faiblesse de la République de Weimar comme de la jeune république espagnole, les scandales politico-financiers en France (Stavisky), la volonté d’un « haut patronat » favorable au slogan réactionnaire et factieux « plutôt Hitler que le front populaire » ont produit l’émergence de mouvements et d’idées très autoritaires et clairement antirépublicaines.
En France, l’élection de 1936 est une éclaircie progressiste de qualité incomparable dans cette époque grave et troublée où les travailleurs et les cheminots en particulier prennent toute leur place avec l’octroi de nouveaux droits sociaux jugés fort justement essentiels encore aujourd’hui.
De la création de la SNCF
C’est dans ce contexte que nait la SNCF le 1er janvier 1938. Il s’agit d’une naissance portée essentiellement par le pragmatisme des défaillances des compagnies ferroviaires privées. Cette nationalisation est devenue une obligation bien au-delà des revendications cheminotes et du Front Populaire. Le constat est une alarme. L’exemple d’un trajet Paris à Clermont-Ferrand qui est d’une durée de 6h30 en 1922 pour aller jusqu’à 7h30 en 1936 est éclairant.
Quid du corps social des cheminots des compagnies en 1937 à la veille de la création de la SNCF ?
Pour les cheminots, le regroupement des cinq grandes compagnies ferroviaires ((Nord, PLM, PO-Midi, Est, État) c’est d’abord un élément d’efficacité opérationnelle avec meilleure coordination, une redistribution du matériel roulant et une standardisation des pratiques professionnelles.
Mais la plupart des travailleurs du rail possèdent des « cultures de compagnies ». Ils sont du « PLM » ou de « l’Est ». Les identités régionales sont fortes car ancrées dans le temps. C’est donc perturbant.
Les cheminots disposent alors d’un champ syndical très pluraliste : CGT confédérée de Léon Jouhaux avec la partie réintégrée ex-CGTU proche du PCF et de la IIIème internationale communiste de Moscou, le SPCF créé en 1918 qui deviendra la CFTC cheminots, la Fédération des syndicats d’agents de cadres et techniciens des chemins de fer français et coloniaux créée en octobre 1920 qui deviendra la FMC puis UNSA Ferroviaire, le syndicat des conducteurs de trains dit Syndicat général professionnel des mécaniciens, chauffeurs, conducteurs de machines à vapeur de France et Algérie (dit syndicat Guimbert) dont la structure actuelle s’apparente à l’ex-FGAAC indépendante (devenue FGAAC-CFDT).
Si la 1ere ligne ferroviaire voit le jour en 1927, les premières grèves éclatent en 1848. Et la toute première caisse de retraite verra le jour le 31 janvier 1850 (Compagnie Paris-Rouen-Le Havre).
La corporation est donc très dynamique et le corps social cheminot est soudé malgré le pluralisme syndical et en pointe pour les revendications économiques et sociales pour la corporation.
La nationalisation représente un paradoxe. C’est une victoire politique pour les dirigeants des syndicats. C’est une forte inquiétude sur les conditions de travail et les suppressions de personnels (515 000 travailleurs en 1938 pour 42700 kilomètres de lignes).
Avec beaucoup de pragmatisme, la SNCF est découpée en « réseaux » qui recoupent peu ou prou les territoires des anciennes grandes compagnies. Et cela durera jusqu’à la régionalisation de 1972.
Pour garantir et améliorer les conditions sociales la négociation est dure. En 1938, le Front Populaire n’est plus dans la consistance de celle de juin 1936.
1938 est aussi une année périlleuse…
Georges Bonnet (Ministre des affaires étrangères) et Edouard Daladier (Président du Conseil) sont acclamés au Bourget le 30 septembre 1938 à la suite de la conclusion des « accords de paix », Winston Churchill est clairvoyant en précisant au 1er ministre britannique Lloyd Georges avant même la signature « J’ai l’impression que nous allons devoir choisir pendant les prochaines semaines entre la guerre et le déshonneur, et j’ai assez peu de doute sur l’issue de ce choix ». De façon très pragmatique, Léon Blum sera partagé entre « un lâche soulagement et la honte ».
C’est cet accord de Munich qui scelle officiellement la fin du Front Populaire qui aura duré un peu plus de deux années. Il restera dans l’histoire comme le lâchage de la Tchécoslovaquie (lié à la France par un accord de défense) et un encouragement pour l’Allemagne nazie à poursuivre ses revendications territoriales avec l’octroi du territoire des Sudètes.
Le déclenchement de l’offensive allemande contre la Pologne simultanément avec l’agression soviétique signe le commencement de la guerre en Europe.
Une drôle de guerre pénible et une ligne Maginot obsolète…
Le 7 septembre, les troupes françaises lancent l’offensive de la Sarre en territoire allemand. Mais elles se replient totalement le 17 octobre derrière la ligne fortifiée Maginot. La France perd un avantage certain alors que l’essentiel des armées allemandes foncent dans la Pologne qui est battue malgré une résistance très courageuse en Octobre.
En cette mi-octobre, le front occidental s’installe dans la « drôle de guerre ». Le front se stabilise.
La SNCF devient … SMCF !
Fait historique moins connu, la SNCF disparait quelques mois entre septembre 1939 et juin 1940 en devenant la SMCF (Service Militaire des Chemins de Fer, c’est-à-dire un service de l’armée) et les cheminots obéissent alors à des … généraux.
Si à la déclaration de guerre en septembre 1939, les cheminots furent mobilisés comme tous les travailleurs, nombreux poursuivirent (mobilisés) dans leurs fonctions et responsabilités pour assurer les transports militaires et civils.
La déclaration de guerre bouleverse le champ syndical cheminot…
Alors que la CGTU (majoritaire chez les cheminots entre 1922 et 1936) avait rejoint la CGT confédérée dirigée par le socialiste (SFIO) Léon Jouhaux en 1936 (1ere réunification de la CGT), une première rupture est actée en 1939.
La raison est simple. La direction du Parti Communiste qui suit les instructions de la IIIème internationale (URSS) considère que la guerre menée par Hitler est une guerre « impérialiste » qui ne concerne pas la classe ouvrière organisée par le mouvement communiste. Le pacte secret Molotov-Ribbentrop conclut avec le partage de la Pologne en 1939-1940 et une non-agression mutuelle. L’une des conséquences de l’invasion soviétique de la petite et fière Pologne sera le massacre de milliers d’officiers de l’armée polonaise à Katyn par les troupes du NKVD au printemps 1940, une trace indélébile dans l’histoire tragique de ce pays.
Ainsi les ex-militants-adhérents CGTU se retrouvent en dehors de la CGT confédérée (non alignée) du fait de ce positionnement politique grave. Ce sera une épreuve douloureuse pour nombre de cheminots syndiqués (et communistes). Ils seront aussi nombreux à ne pas attendre l’offensive d’Hitler contre l’URSS (rupture du pacte Staline-Hitler du 22 juin 1941) pour résister d’abord individuellement puis organisés en réseaux contre les instructions des instances dirigeantes du Parti.
Le 16 juin 1940, le maréchal Pétain fait tomber Paul Reynaud
Ce dimanche le gouvernement a pris siège à Bordeaux. Il connaitra trois conseils des ministres en 24 heures (record). Depuis deux jours, les allemands sont à Paris déclarée « ville ouverte ». Paul Reynaud devient Président du Conseil le 21 mars (avec une voix de majorité) mais il doit composer son cabinet « à l’ancienne » avec un dosage de ministres pas tous compétents ni tous combatifs. Le Président de la République Albert Lebrun est dépourvu de toute autorité.
Il faut ajouter que « l’Union Sacrée » qui a su souder les partis entre 1914 et 1918 n’existe pas en 1939-1940.
Quant au « généralissime » Gamelin qui a été remplacé par Weygand, ce fut le commandant en chef des armées le plus incompétent dans une guerre dont il ne semblait rien comprendre.
Devant les faiblesses stratégiques et organisationnelles des armées ainsi que de l’armement, la France perd sans cesse du terrain malgré ici où là quelques batailles (entre 25 mai et 5 juin) remportées notamment par l’arme blindée commandée par un certain colonel De Gaulle.
A peine deux mois plus tard, devant les échecs militaires répétés, le maréchal Pétain le « vainqueur de Verdun » entre le 19 mai 1940au gouvernement comme Vice-Président du Conseil aux côtés de Paul Reynaud. Ex-ambassadeur de France auprès de Franco en Espagne, il porte le mythe du « sauveur » pour un grand nombre de français et il serait un « militaire républicain ». Philippe Pétain garde souvent le silence en Conseil des ministres et parle toujours avec ambiguïté et distance. Dès le 25 mai, il s’exprime en défaitiste et à défend l’idée d’un armistice en appelant Reynaud à prendre contact avec les allemands pour connaitre les conditions éventuelles pour le pays.
Depuis le 25 mars 1940, la France est liée à un accord interdisant une paix séparée avec le Royaume-Uni. C’est pourquoi Winston Churchill est sollicité et celui-ci donne son accord pour que notre pays questionne l’Allemagne sur les conditions d’un éventuel armistice (13 ministres dont Pétain pour contre 6).
Weygand commandant des armées est favorable à la cessation immédiate des combats et à l’armistice. Proche de l’Action Française, il déteste tout ce que représente la IIIème république et il est de ceux qui comprennent assez bien le slogan « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Il refuse la « capitulation » des armées car pour le militaire cela représente le déshonneur. Et ce, quand bien même cette « capitulation » serait un argument pour déplacer le gouvernement républicain hors du territoire de la métropole (Alger est évoqué) pour poursuivre le combat. Pour Weygand, les officiers généraux ne doivent assumer aucune responsabilité dans la défaite militaire.
A 11 heure, ce dimanche 16 juin, Pétain menace du quitter le gouvernement si Reynaud ne demande pas l’armistice. Dans l’ombre, se tient Pierre Laval (sénateur et ancien président du Conseil de droite conservatrice) qui use de son influence pour promouvoir Pétain à la présidence du Conseil et l’armistice la plus rapide.
Au 3eme conseil des ministres de l’après-midi, malgré une offre originale pilotée par De Gaulle (sous -secrétaire d’Etat à la guerre) pour une alliance Union Franco-Britannique, et l’opposition à l’armistice des républicains Jules Jeanneney (Président du Sénat) et Edouard Herriot (Président de la Chambre des Députés), Reynaud cède et décide de démissionner.
Paul Reynaud fut pourtant convaincu du danger des dictatures dès le début des années 30. Il pense aussi que Pétain ne peut tenir longtemps car les conditions allemandes ne pourront être acceptées. Le Président Albert Lebrun continue de ne rien comprendre. Pétain est élu président du Conseil.
Le 17 juin 1940 se tient la passation des pouvoirs dans la matinée. Suite logique : la signature de l’armistice le 22 juin 1940.
L’armistice
La convention signée à Rethondes est terrible pour le pays et notamment pour le réseau ferré national et la jeune SNCF. Le pays est découpé malgré l'article 3 qui reconnaît la souveraineté du gouvernement français sur l'ensemble du territoire sous réserve « des droits de la puissance occupante ». C’est une hypocrisie intégrale car le pays est morcelé façon hachoir avec une zone dite « libre » au sud, une zone occupée (côte Atlantique Ouest et Nord incluant Paris), une zone « interdite » (Nord et Pas-de-Calais sous gouvernorat allemand en Belgique), une zone « réservée » à l’Est, l’annexion directe des territoires d’Alsace et de Moselle, sans omettre une zone d’occupation italienne (800 km2 qui couvre partiellement les départements Alpes-Maritimes, Alpes de Haute Provence, Hautes-Alpes et Savoie).
Les cheminots connaissent donc immédiatement les affres et la brutalité des nouvelles frontières et de nombreuses gares françaises voient s’installer des contrôles policiers et militaires allemands et italiens.
L’honneur des 80, la fin de la République …
Le 10 juillet 1940 sera l’occasion d’un ultime sursaut d’honneur républicain.
Réunis en Assemblée Nationale (Chambre des députés et Sénat) au théâtre du Grand Casino de Vichy, 80 parlementaires (sur 670 présents avec 149 qui n’ont pas pu ou pas voulu être présents) votent Non au seul article présenté comme suit :
« L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au Gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.
Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées.
La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l’État. »
Les 80 parlementaires qui s’opposent aux pleins pouvoirs accordés à Philippe PETAIN sont pour 73 d’entre eux situés à gauche du champ politique (36 SFIO, 27 radicaux-socialistes, 6 gauche indépendante, 3 Union Populaire française, 2 radical indépendant, 1 républicain indépendant, 3 non-inscrits). Il apparait erroné de dire que c’est la Chambre du Front Populaire qui a voté Pétain. Car depuis novembre 1938, une varie cassure s’est opérée dans le « rassemblement populaire » car les frontières droite-gauche ont évolués au vu des évènements.
Le prestige du Maréchal PETAIN a masqué les réalités de ses objectifs avec Pierre LAVAL dans l’ombre du militaire conservateur. Le lendemain, le 11 juillet, trois actes dits « constitutionnels » referment le cercueil de la 3ème république française et ouvre l’époque de la « dictature de Pétain ».
Géographiquement, après Bordeaux puis Clermont-Ferrand (durant 24 heures fin juin), la cité thermale de Vichy avec ses hôtels et son équipement téléphonique moderne pour l’époque devient capitale du nouvel « Etat Français ». Le chef d’Etat s’installe à l’Hôtel du Parc. La nuit s’installe durablement sur le sol de France.
Le nouveau pouvoir tente de construire le mythe d’un Philippe PETAIN protecteur de la France et des Français. Mais les réalités de la Convention d’Armistice sont bien présentes et appliquées.
La SNCF au service de l’occupant
Dès le 22 juin 1940, la SNCF est « mise à la disposition pleine et entière du chef allemand des transports » (article 13 de la Convention). Sous le contrôle de la Wehrmachtverkehrsdirektion, de nombreux cheminots se retrouvent en contact direct avec les soldats cheminots allemands.
La logistique des transports militaires allemands est d’une efficacité redoutable. L’organisation est soignée avec la WTL, (Wehrmacht Transport Leitung) qui transmettait les ordres à sept TK (Transport Kommandantur) disposant à leur tour de commissaires de gare.
Ajoutons deux HVD (Haupt Verkehrs Direktion) direction générale des transports étaient installées à Bruxelles et à Paris. Celle de Paris dirigeait cinq EBD (Eisenbahn Betriebs Direktion). Dès juillet 1940, ce sont quelques milliers de cheminots allemands qui prennent place dans les principales gares françaises. En 1944, ils seront au nombre de 25 000. Ils agissent par une surveillance continue sur les cheminots de la SNCF.
Les autorités pétainistes avec les allemands menacent sans cesse les cheminots français de l’application de l’article 155 du code de justice militaire qui prévoit la peine de mort ou les travaux forcés à perpétuité pour tout acte de résistance (grèves, sabotages, aides à la résistance et à la protection des personnes menacés et visés par la dictature pétainiste et/les autorités d’occupation.
La corporation cheminote fut très favorable aux mesures du Front Populaire. Dès début 1940, c’est un sentiment mitigé qui évolue comme pour de nombreux français entre la résignation pour aller vers le refus de la défaite et une résistance qui se construit d’abord par une réflexion et une action individuelle.
L’arrivée des allemands au cœur des gares et triages va augmenter dynamiser le refus de la collaboration engagée sans far par le pouvoir de Pétain. Les premières mesures oppressives et liberticides comme la suppression des organisations syndicales, l’emprisonnement de leaders politiques et de parlementaires, le 1er statut des juifs du 3 octobre 1940 dont la version projet fut durci de la main de Philippe Pétain, une propagande de plus en plus outrancière vont finir de forger un esprit de résistance et des actions de plus en plus fréquentes, discrètes et plus ou moins violentes.
L’interdiction des syndicats et l’instauration de la Charte du travail à la SNCF fut un encouragement pour la résistance cheminote
Dès juillet 1940, et le vote des pleins pouvoirs à Philippe PETAIN, la défiance vis-à-vis des syndicats est affirmée. Elle aboutie à la dissolution des confédérations syndicales et des fédérations syndicales cheminots par le décret du 9 novembre 1940. Cela s’inscrit dans le projet de Charte du Travail mené par Pétain et Réné Belin ancien dirigeant de la confédération CGT qui veulent construire un « corporatisme à base syndicale avec la collaboration entre classes sociales » intégré à l’Etat Français. Cela signifie la fin du syndicalisme libre et la revanche contre les avancées du Front Populaire rendu responsables de la défaite par le nouveau pouvoir.
Dans le cadre de l’instauration de la Charte du Travail mise en place fin 1941, un comité sera créé par décret le 28 février 1941 composée de 28 membres (ministres, hauts-fonctionnaires et personnalités qualifiés dont certains anciens syndicalistes).
Aucun cheminot n’osera participer à ce comité. Quant à la Fédération Nationale des Cheminots (FNC) créée par la dictature pétainiste, elle comportera seulement … 1210 adhérents volontaires (sur 412 600 cheminots en activité en 1941). Ce chiffre est à comparer aux plus de 80% de cheminots syndiqués en 1938 (515 00 cheminots alors pour 360 000 adhérents à la CGT, 36 500 à la CFTC, 3000 au SPID et des conducteurs de trains à la FGMC…). C’est donc un échec flagrant pour le régime du maréchal et c’est la marque d’un esprit de résistance très développé chez les cheminots.
Une résistance cheminote d’abord individuelle avant l’organisation en réseaux…
Le train forme un outil précieux pour la circulation des personnes et des marchandises surtout en temps de guerre. Le nécessaire franchissement des frontières et notamment de la ligne de démarcation offre des opportunités d’actes nombreux de résistance active et passive. Cela va du silence et de la non-dénonciation d’un passage clandestin dans une gare ou un triage, au refus d’obéir à une instruction, à la dissimulation et à la transmission d’informations sur la circulation des trains militaires d’occupation et de déportés.
L’acte de résistance grave ou modeste est, d’abord et avant tout, un acte strictement individuel. Il est lourd de conséquence puisqu’il peut conduire à l’arrestation, à la déportation voire à l’exécution immédiate selon les moments et tensions.
Les français vus par les britanniques en 1944
(Instructions pour les soldats britanniques édité par le ministère des affaires étrangères –Londres 1944)
Un petit fascicule fut communiqué à tous les soldats britanniques qui débarquèrent le 6 juin 1944. Il décrit des instructions-conseils sur le mode de vie des français et la façon dont les soldats de sa majesté doivent se comporter. Ce guide unique est un petit bijou de bon sens et parfois d’humour malgré la gravité du moment. Pour le Royaume-Uni, chacun de ses soldats est un ambassadeur qui doit être d’une correction sans failles. Surtout qu’il commence par préciser que dans leur ensemble, les allemands se sont conduits correctement surtout « au début » comme l’indique l’ouvrage. Il décrit les douleurs de l’occupation allemande et de la dictature pétainiste en parlant des « tonneaux vide », du rationnement, des privations, des maladies (1 français sur 12 atteint de Tuberculose, 1/8 de la population concernée par la …syphilis, 1,5 million de prisonniers, 1 million au STO, et 5000 fusillés chaque année soit 1 toutes les deux heures).
Certaines obligations sont fermes : ne pas accepter de dons, pas de marché noir.
On reconnait l’écriture d’un (ou plusieurs) francophile qui n’hésite pas à dire « ce qui intéressait les français et continuent de les intéresser c’est la France. Ils l’a considèrent comme une grande nation et une des plus anciennes. Et ils ont raison ».
Avec un brin d’humour très anglais, il poursuit en indiquant que les longues guerres entre nos deux pays « n’ont laissé aucun ressentiment. Sauf peut-être d’avoir brulé Jeanne d’Arc ».
Pour les français, « la liberté est un acquis indéfectible et vital ». Judicieusement, l’ouvrage complète en précisant la devise « Liberté, Egalité parfois au détriment de la Fraternité ».
Les britanniques ont aussi bien compris que « Paris n’est pas la France » avec les différences régionales très importantes. Avec des précisions qui feraient honte aux politiques les plus libéraux aujourd’hui en déclarant « les français gagnent moins d’argent que nous mais travaillent plus » ! et ils sont « plus polis que nous et raffolent des discussions intellectuelles ».
Le Royaume-Uni affirme aussi le respect de notre souveraineté nationale « ce sont les français qui décideront eux-mêmes » (de leur avenir). Mais il indique aussi le souvenir douloureux de Dunkerque (juin 1940) et du bombardement de la flotte française à Mers-el-kébir (juillet 1940). Il reconnait l’action de « la petite minorité a conduit la résistance sur le sol », en précisant que c’est la Manche qui as aussi protégé la Grande-Bretagne.
D’autres recommandations montrent le sens du détail dans la politesse nécessaire : « bien se comporter avec les françaises, ne pas être avare, ni dépensier, appelez en disant Monsieur, Madame, Mademoiselle, ne pas critiquer la défaite de 1940 et … tenir l’alcool.
L’un des auteurs identifiés de ce guide ne servant que pour un unique voyage fut Herbert David Zinnia (1902-1983), journaliste, responsable littéraire du Daily Telegraph et en 1942 dans les services de renseignements de la section française du Ministère de la Guerre britannique. Rendons lui hommage ainsi qu’à Winston Churchill (Premier ministre de combat) qui refusa avec la plus grande fermeté l’idée même d’une paix séparée avec l’Allemagne nazie. Preuve encore que le courage individuel peut changer le destin d’un peuple…
Les français vus par les américains en 1944
Le manuel d’instructions à l’usage du soldat américain en France (1944) participe des mêmes efforts que pour l’armée britannique. L’objectif est clair « chasser les allemands hors de France » parce que « nous sommes tous logés à la même enseigne ».
Au vu de l’actualité particulièrement disruptive et grave liée à l’élection récente de D.TRUMP comme président des USA, ce livret apparait en opposition avec le discours de 2025.
« Nous les démocraties » est la formule proclamée. Elle fait corps avec l’esprit des armées alliées en 1944. Et le texte du Département de la Guerre et de la Marine américain rappelle la devise républicaine française « bafouée » et fournit des explications à la défaite de 1940. « 42 millions de français face à 80 millions de sujets allemands » et les américains doivent comprendre le choc des français comme eux ont subit Pearl Harbor.
La France est reconnue grande avec les mots qui suivent « Quand la France est tombée, la plus grande démocratie européenne s’est effondrée, elle était garante de la liberté, rempart de notre liberté à nous sans l’Atlantique ».
Ce guide ne manque pas de décrire par des adjectifs multiples les français : fiers, très différents, vifs d’esprit, économes, réalistes, individualistes, aux opinions divergentes, ayant art de la conversation et de la cuisine, intelligents car disposant d’une éducation solide mais sans prétention, peu enclins aux confidences (« ils ne vous diront pas combien ils gagnent »).
Il met l’accent sur l’hygiène et l’usage des prostituées (souvent issues d’autres pays espionnes et porteuses d’IST avec un risque important de maladies). Comme dans l’ouvrage anglais, il rappelle les privations mais aussi l’amertume pesant peut-être sur les alliés britanniques. Il conforte le général DE Gaulle et ses Forces Françaises Libres symbole de la résistance en ajoutant évidemment le général Giraud (qui a été une alternative au chef des FFL pour les USA pendant un long moment).
Les Etats-Unis reconnaissent la résistance de millions de français avec 1 français exécuté toutes les deux heures en citant les opérations de déraillements de trains. Est ajouté le bilan de la guerre de 1940 avec ses 108 000 morts et 260 000 blessés. Les américains précisent une histoire de France de deux millénaires et les 900 dernières années un pays qui compte « parmi les plus grandes civilisations du Monde » et le français comme « la langue de la diplomatie internationale. Un rappel historique important avec l’intervention de La Fayette et les 45 000 soldats qui sont intervenus au secours de Washington en précisant le prêt de 6 millions (et un don de 3 millions) à la jeune démocratie combattante américaine.
Pour les auteurs, Paris n’est pas la France comme « New York ne sont pas les Etats-Unis ». S’en suit une déclaration flamboyante pour les français communs… « les gens normaux font et sont la France » et l’expression respectueuse des travailleurs de France : « l’ouvrier a plus de bon sens, de résistance et de fiertés que ses compatriotes d’autres classes sociales ».
Enfin, quelques explications éclairantes sur les « 40% de français qui vivent de la terre, perspicaces, réalistes, prospères et conservateurs », et le « respect des régions », le manque de nourriture, « les ouvriers et les syndicats bien organisés » et « les femmes qui méritent l’admiration ».
« Paris est la capitale de l’Europe ».
Concernant le chemin de fer en France, « l’équipement ferroviaire choquera » car « les nazis ont pris le meilleur matériel roulant ».
Comme pour le manuel britannique, avec quelques variantes, le petit ouvrage étasunien est aussi une déclaration d’amour à notre pays.
Devant les politiques et actions disruptives et destructrices menées en 2025 par D. TRUMP, ce livre révèle une obsolescence d’un niveau incomparable en affirmant avec raisons et quelques modestes préjugés empreints d’humour (involontaire) les liens indéfectibles avec la contrée de La Fayette.
Lors de la libération de la France, quelques soldats britanniques et américains ont commis des délits plus ou moins graves allant du vol, au viol et au meurtre. Peu d’entre eux ont échappés à la justice militaire.
Carottes Vichy et « dictature de Pétain »
On ne s’en souvient plus mais Clermont-Ferrand a connu l’honneur bref d’être « capitale » de la France durant 24 heures le 29 juin 1940. Vichy fut choisi comme future capitale du futur « Etat français » parce qu’en position plus centrale et disposant d’un réseau hôtelier et notamment téléphonique très développé pour l’époque. Elle fut ardemment défendue par Pierre LAVAL qui était voisin immédiat puisqu’élu du canton de Châteldon (Nord du Puy-de-Dôme).
Avec une obstination toute républicaine, Gérard Charasse, Député Radical de Gauche entre 1997 et 2017 (décédé en juin 2023), et par ailleurs Vice-Président de l’association Vichy TGV et ardent défenseur de la SNCF, a déposé à trois reprises une proposition de loi pour remplacer dans les communications publiques et les textes officiels la dénomination « régime de Vichy », souvent utilisée, par celle de « dictature de Pétain ». L’article 4 de sa proposition exigeait même que l’assimilation du « nom de la ville ou de ses habitants à des comportements de trahison, de capitulation ou d’outrage au régime républicain » soit considérée comme une atteinte à l’honneur ou à la réputation des concernés.
En effet, les cheminots de la région de Vichy, comme l’ensemble des habitants de la ville, sont toujours agacés de passer pour des « vichystes » alors qu’ils sont vichyssois. En 1940, aucun habitant de Vichy n’a demandé que leur ville devienne le siège du « gouvernement de fait » issu de la dictature de Pétain suite au vote sur les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940.
Vichy peut s’honorer du thermalisme et des carottes râpées. Mais il apparait toujours insultant d’appeler le régime qui entre dans l’Histoire le 10 juillet 1940 par le nom de la ville.
Cheminots résistants, une réalité et des chiffres différents…
Au-delà du mythe de la résistance française, un grand nombre de cheminots ont réalisés des actions modestes ou plus importantes de résistance active et passive.
Devant le foisonnement d’informations, la multitude des raisons et actes de résistance, leur classifications « statistiques », leurs « homologations », leurs connaissances (ou non), les estimations sont de 2500 cheminots morts pour faits de résistance (déportation, actes de sabotages, combats, exécutions sommaires par les allemands, gestapistes français et la Milice, et quelques victimes des bombardements alliés et allemands).
Il est estimé à près de 15 000 cheminots arrêtés pour faits de résistance et/ou soupçons d’activités antiallemandes et anti-pétainistes et forces supplétives de la collaboration de « l’Etat Français » (Milice, Gestapo française, doriotistes, etc…). Parmi ceux-là, la Fondation pour la mémoire de la déportation chiffre à près de 3 000 le nombre de personnes déportées.
La SNCF a été décorée de la Médaille de la Résistance en 1946 et de la Légion d'honneur en 1950 pour son engagement.
Cheminots collaborateurs, entre techniciens et rares fanatiques…
Ancien directeur général adjoint de la SNCF créée en 1938 (et cheminot de l’ex-compagnie Paris Orléans), Jean Berthelot est nommé le 7 septembre 1940 comme secrétaire d’Etat aux Transports et aux Communications. A ce titre il participe à l’épuration des juifs et des francs-maçons au sein des PTT. Il est renvoyé peu de temps puis rappelle (après l’expulsion de Pierre Laval) en décembre 1940. Il restera ministre des transports de Pétain jusqu’au rappel de Pierre Laval qu’il n’apprécie pas en démissionnant le 18 avril 1942. Il réintègre la SNCF comme DG adjoint de la compagnie publique.
A la libération, en 1946 il sera condamné à deux ans d’emprisonnement et à l’indignité nationale. En février 1968, il publiera ses mémoires « Sur les rails du pouvoir, ses souvenirs des années 1938-1942, de Munich à Vichy ». Comme le haut-fonctionnaire technicien du rail qu’il était, il tente de justifier son action politique sous le régime pétainiste pour – selon lui - « reconstituer tant bien que mal, dans une France exsangue, brisée et déchirée, les voies de communications routières et ferroviaires, rétablir les transports, protéger les cheminots des représailles allemandes et surtout pour soustraire aux occupants le plus possible de matériel. » Mais il participa aussi à la politique de répression.
A ne pas confondre avec Gabriel Berthelot, cheminot résistant « mort pour la France » exécuté sommairement par des soldats allemands le 7 aout 1944 et dont le nom est gravé sur le monument aux morts du dépôt SNCF de Nantes et sur celui de la gare de Nantes.
Les cheminots qui ont adhérés à l’idéologie de la Révolution Nationale de Pétain et les groupes répressifs (Milice, LVF, gestapo etc…) ont été si peu nombreux que le chiffre est aujourd’hui invérifiable et semble extrêmement minime.
A compte de fin juin 1940, les cheminots nombreux à être abattus comme une grande majorité des français. Les rares soutiens d’agents SNCF le furent par crainte ou conformisme et ils furent inexistants après 1942 avec l’accroissement de la répression et l’invasion de la zone dite « libre » rendant de facto le régime pétainiste fantoche.
La Milice française aurait quant à elle attirer entre quelques dizaines ou centaines d’agents SNCF à mettre en rapport avec les 515 000 effectifs de l’entreprise en 1938.
Le PPF, parti collaborationniste fasciste, revendiquait 20 000 à 30 000 membres. Là encore, quelques centaines de cheminots ont pu y adhérer, notamment dans les régions industrielles.
Concernant la LVF (Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme) et la Gestapo française, quelques personnes seulement auraient été impliquées.
En résumé, la collaboration active chez les cheminots fut très résiduelle.
Quand aux peines sur des cheminots collaborateurs à la libération en 1944-1945, une dizaine d’entre eux ont été fusillés. Il est à noter que près de 300 cheminots ont été condamnés à des peines de prison (de quelques mois à perpétuité) pour intelligence avec l’ennemi, participation à la Milice ou corruption.
Concernant la peine d’indignité nationale, elle a frappé jusqu’à 1 000 cheminots, souvent pour adhésion à des groupements collaborationnistes ou délits limités.
La Direction de la SNCF aurait sanctionné jusqu’à 3 000 agents (licenciements, rétrogradations) après enquêtes pour collaboration passive ou active.
Au total sur les 415 000 cheminots présents et actifs durant la période d’occupation, quelques centaines de cheminots au maximum ont été mis en cause.
Dans l’urgence et les passions de l’épuration (avec ses excès pour les collaborateurs de niveau minime), beaucoup de sanctions concernaient des actes assez mineurs.
Ce ne fut assurément pas la même situation dans la magistrature (qui avait prêté serment au Maréchal sauf un seul et unique juge) et dans d’autres corps de l’administration d’Etat.
Les cheminots « Justes parmi les Nations », tous différents, tous héros !
« Quiconque sauve une vie, sauve l’univers tout entier » (selon le Talmud, texte sacré du judaïsme rabbinique).
Une étude de grande qualité de Laurent Thévenet diligenté par l’association Rails et Histoire a recensé 55 personnes cheminotes de la SNCF reconnus « Juste parmi les Nations » la plus haute distinction civile décernée par l’Etat d’Israël. Ces résistants de toutes origines ont été reconnus pour la plupart après l’an 2000 (37 d’entre eux). C’est dire la grandeur et la discrétion de tous dans un ou plusieurs actes individuels et essentiels de résistance face à l’antisémitisme de la dictature de Pétain qui se concrétise moins de trois mois après son avènement (1er statut des juifs).
Ces « justes » sont d’autant plus courageux que tous disposent de responsabilités familiales et tous mènent une vie paisible. Ils risquent tous leurs vies et celles de leurs familles. C’est aussi une résistance de raison comme de cœur car la moitié d’entre eux ne semblent appartenir à aucun parti ou mouvement politique ni religieux défini. Ces « Justes » aide à fuir, cachent des enfants, transmettent des informations et trompent les troupes d’occupation, les cheminots allemands dans les gares et triages et les forces de police gestapiste et milice. Ils ont bien participé à l’Histoire de la résistance française et plus particulièrement des cheminots.
Extraordinaire Léon BRONCHART…
De cette période de l’occupation allemande et du gouvernement pétainiste, apparait une histoire exceptionnelle dans ces années noires. C’est celle de Léon BRONCHART, seul conducteur de trains de la SNCF connu pour avoir refusé de conduire un train transportant des déportés le 31 octobre 1942 en gare de Montauban. Né en 1896, son père est tailleur de pierre et sa mère ouvrière dans le textile (dévideuse en soie). Il travaille dès l’âge de 11 ans. Il affirme son patriotisme dès 1914 car il est volontaire pour le combat. Prisonnier, il réussit à s’échapper après plusieurs tentatives. En novembre 1917, il rejoint la Légion Etrangère et son action combattante lui valent Médaille des évadés, Médaille militaire et Croix du combattant volontaire.
Il est embauché à la compagnie des chemins de fer du P.O. en 1919 comme ouvrier et après plusieurs évolutions deviendra mécanicien de route en 1931.
A la suite de la grande guerre, Léon Bronchart participe activement à des associations d’anciens combattants, et il milite activement à la SFIO (socialiste) ainsi qu’à la CGT cheminots (tendance confédérée indépendante menée par Léon Jouhaux).
Il est aussi volontaire comme conducteur de train pour l’occupation de la Rhénanie en 1923 et dans la guerre du Rif (Maroc) en 1925.
Fin aout 1940, il n’est pas mobilisable. Peu lui importe, il est volontaire et devient sergent-chef à la 7eme section des chemins de fer de campagne (SNCF-SMCF) à Beauvais. La retraite de juin 1940 le porte à Bordeaux puis à Brive au Dépôt vapeur. En logique avec sa personnalité, il s’engage dans le réseau Combat. Fin 1942, il fournit des faux-papiers à ses voisins juifs les Rosenberg et Adolphe Strykowsky (juif né en Pologne) pour lequel il prêtera un uniforme SNCF et l’aidera pour aller jusqu’à Grenoble.
Le 31 octobre 1942, à Montauban, il apprend que l’on ajoute à son train des voitures de déportés. S’en est trop pour lui et malgré les interventions très fermes et menaçantes du chef de gare, du chef de dépôt, du sous-chef de dépôt et de l’inspecteur SNCF qui viennent auprès de lui, il coupe lui-même sa machine et rentre au dépôt.
Convoqué en Conseil de discipline de la SNCF, l’ingénieur accusateur représentant la compagnie a la larme à l’œil lorsque Léon explique les raisons de son refus d’obtempérer par son parcours de vie. Il risque la radiation et la prison. Il indique au président du Conseil de discipline « Vous me permettrez d’avoir la conviction qu’il existe des devoirs supérieurs aux devoirs professionnels ».
Il reçoit un avertissement et ses primes de fin d’année 1942 sont supprimées ce qui est une sanction minime qui témoigne autant de l’embarras comme de la solidarité de la corporation cheminote. Tous ses collègues l’admirent et le félicitent.
Et comme bonne famille ne saurait mentir, son fils cadet lui propose d’afficher dans la salle à manger sa convocation au Conseil de discipline du 21 décembre 1942 en déclarant à son père « C’est ta sixième citation » ! Il ira jusqu’à écrire une lettre au Maréchal Pétain pour expliquer son geste d’insoumission.
En janvier 1943, il récidive en refusant de conduire un train militaire allemand. Dénoncé à la fin du même mois, il est arrêté avec son fils, interrogés, battus puis convoyés à Compiègne pour être ensuite déportés à Oranienburg, à Staaken puis en septembre 1943 à Buchewald et à Dora.
Début 1944, il effectue avec d’autres déportés des sabotages car ils travaillent à la construction des fusées V2. Evacué à Bergen en juillet 1944, son camp est libéré par les britanniques le 15 avril 1945 et il arrive chez lui le 30 avril 1945. Il réintègre la SNCF en septembre 1945 comme employé de bureau ne pouvant plus conduire. En 1946, il lui sera décerné la Légion d’Honneur et en mars 1947, le général Koenig lui remettra la médaille de la résistance. Promu Commandeur de la Légion d’Honneur en 1965, il meurt le 25 septembre 1986.
Léon Bronchart nous a quitté en laissant un ouvrage autobiographique qui mériterait assurément d’être réédité « Ouvrier et soldat, un français raconte sa vie » (publié en 1969).
Le plus surprenant dans cette épopée cheminote est le relatif oubli opéré par de nombreux experts, historiens, syndicalistes cheminots, et politiques sur notre collègue Léon. Certes une plaque discrète à été posée en gare de Brive. Elle fait suite à la reconnaissance de ses actes comme « Juste parmi les Nations » par l’Etat d’Israël (Institut Yad Vashem) le 17 octobre 1994 soit huit ans après son décès. Son nom est absent de l’ouvrage pourtant d’exceptionnelle qualité qu’est le mémorial « Cheminots victimes de la répression – 1940-1945 » sous la direction de Thomas Fontaine, édité par Perrin (avec le soutien de la SNCF, de l’association Rails et Histoire et d’experts reconnus) tout comme il n’est pas présent dans l’ouvrage « cheminots et militants » (Editions de l’Atelier avec le concours du CCE de la SNCF édité en 2003).
Léon Bronchart était à la fois un cheminot, un patriote, un syndicaliste réformiste (pour cette époque) et un militant engagé à la SFIO. Cela semble former des différences avec d’autres. Il est bon aujourd’hui de participer à saluer son parcours d’homme et de cheminot libre.
La résistance cheminote entre mythes et réalités
Le film « la bataille du rail » de René Clément participera grandement à la construction du mythe de la résistance française et notamment celle des cheminots.
Les frères Lipietz (dont le père de l’homme politique écologiste Alain Lipietz) attaqueront en justice l’Etat et la SNCF pour complicité de crimes contre l’humanité pour les convois de la déportation en rappelant les actes de Léon Bronchart.
Louis Gallois comme ensuite Guillaume Pépy, présidents de la SNCF, réaffirmeront les réalités de la réquisition sous le commandement des allemands et du gouvernement pétainiste.
En 1992, la SNCF ouvre à tous les chercheurs ses archives.
En célébrant la libération de mai 1945, nous rappelons que le devoir de mémoire est essentiel pour promouvoir les valeurs républicaines qui sont avant tout concrétisées par une éthique et des actes individuels avant de s’organiser dans un cadre collectif. La judiciarisation de l’Histoire n’est assurément pas la démarche de progrès permettant de faire la lumière sur tous les faits et actes de la SNCF et des cheminots sur la période d’occupation et de la dictature pétainiste.
Ce 8 mai 2025 marque un 80ème anniversaire qui doit continuer d’ancrer les valeurs du service public ferroviaire par les principes républicains français et promouvoir l’engagement de chaque cheminote et de chaque cheminot à défendre les libertés citoyennes y compris celle de se déplacer.
Rémi AUFRERE-PRIVEL
Parmi les ouvrages et communications
« Cheminots victimes de la répression 1940-1945 »
sous la direction de Thomas Fontaine (Edition Perrin/SNCF)
« Cheminots et militants, un siècle de syndicalisme ferroviaire »
sous la direction de Marie-louise Goergen (Editions de l’Atelier – collection Jean Maitron)
« Les cheminots Justes parmi les Nations, essai de prosopographie » de Laurent Thévenet
https://journals.openedition.org/tsafon/4794
La lettre de la Fondation de la Résistance Numéro Spécial 2005 « les cheminots dans la résistance »
Association Rails et Histoire https://www.ahicf.com/
« La bataille du Rail » (1946) film de René Clément
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Bataille_du_rail_(film,_1946)
« La SNCF sous l’occupation » (2019)
https://lesfilmsdelaqueduc.com/la-sncf-sous-occupation/
https://patrimoine.sncf.com/memoire/
UNE ENTREPRISE PUBLIQUE DANS LA GUERRE : LA SNCF, 1939-1945
https://cf2gm.hypotheses.org/1169
Installation de la plaque mémorielle en gare de Brive hommage à Léon Bronchart (2016)
« Le naufrage » d’Eric ROUSSEL (Editions Gallimard- 2009) Grand Prix du livre d’Histoire 2010.