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Mise en cause de la responsabilité des agents publics : les propositions du Cercle de la réforme de l'Etat
A la suite de la publication du rapport Vigouroux (1), le Cercle de la réforme de l’Etat relève une convergence globale de l’esprit de ce rapport avec celui de la note qu’il a publiée le 27 octobre 2024 « Responsabilité et mise en cause personnelle des agents publics : points de vigilance et recommandations », la tribune qu’il a publiée par la suite « Mise en cause personnelle des agents publics : modifier les textes, faire évoluer les pratiques » et dans des prises de position ultérieures (2).
Le rapport se situe dans la même préoccupation : d’un côté, la nécessité et l’utilité de la responsabilité des agents publics et du contrôle du bon usage des deniers publics, de l’autre, l’efficacité de l’action de l’Etat, la prise de risques que suppose souvent cette efficacité, la confiance que les citoyens doivent pouvoir mettre dans la capacité des décideurs publics à résoudre leurs difficultés et dans des délais brefs.
La lettre de mission du premier ministre à Christian Vigouroux portait sur les conditions et modalités de la responsabilité pénale des décideurs publics. Conformément à cette lettre de mission, le prisme du rapport est essentiellement celui du pénal même s’il évoque dans plusieurs passages la responsabilité financière des gestionnaires publics devant la Cour des comptes.
L’objet des publications du Cercle était, et cette approche est pour lui essentielle, de prendre une vue transversale de l’ensemble des types de mises en cause, pénales, civiles, disciplinaires et financières avec un examen, point par point, des problèmes d’articulations entre les différentes procédures (par exemple, la communication des pièces du dossier pénal ou les incidences sur d'autres procédures de l'acceptation d'une procédure de plaider-coupable au pénal).
Si son champ concerne également les élus locaux, le rapport part, comme le Cercle, de la situation des décideurs, notamment de ceux qui sont les plus en situation de risques dans l’action. Il souligne le problème que pose la longueur des procédures et la célérité qui serait nécessaire dans leur mise en œuvre. Il rejoint ainsi les préoccupations exprimées dans les publications du Cercle, qui montraient cependant en outre que cette longueur résulte fréquemment d’un enchevêtrement des procédures.
Dans les propositions, des idées apparaissent en commun. Il en est ainsi de l'utilité de directives de politique pénale du Garde des sceaux pour accélérer les procédures. Le Cercle a examiné, en outre, le cas de la mise en œuvre de la nouvelle responsabilité financière des décideurs publics. Il a préconisé des lignes directrices du Procureur général près la Cour des comptes (3), qui ne dépend pas du ministre de la Justice, pour exprimer l’interprétation qu’il retient des nouvelles dispositions de l’ordonnance de 2022. Elles viseraient, dans l’attente de la jurisprudence de la chambre du contentieux et de la Cour d’appel financière, à expliciter les objectifs et le champ de l’action des juridictions financières, tels que retenus par le Parquet.
Dans le champ pénal, la perspective du rapport Vigouroux est d’accélérer les procédures ; dans celui de la responsabilité financière, l’objectif doit être aussi d’en éclairer l’objet pour limiter les incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur les décideurs publics.
Le rapport contient des idées complémentaires à celles qu’avaient évoquées le Cercle, comme le développement de la procédure du témoin assisté pour éviter une mise en examen prématurée avec la stigmatisation qu’elle comporte. Cette idée est judicieuse mais elle suppose, le Cerclen l’avait montré, que cette procédure se déroule d’une manière réellement différente de celle de la mise en examen.
Le Cercle avait aussi remarqué que, dans le système de la responsabilité financière des gestionnaires publics, le décideur public n’est informé de sa mise en cause que par le magistrat instructeur, après que la chambre contentieuse de la Cour des comptes a été saisie par le Procureur général, c’est-à-dire très tard dans le processus, sans avoir pu, souvent, présenter ses arguments à des stades antérieurs (enquêtes des services d’inspection, examen par les chambres non contentieuses de la Cour, etc.)4. Pour éviter une stigmatisation prématurée, le Cercle avait suggéré que l’obligation du contradictoire intervienne dès l’amont, dès lors qu’un agent public devient susceptible d’être mis en cause.
Le rapport mentionne l’extension du bénéfice de la protection fonctionnelle au cas d’audition libre, dans la ligne de la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 20255 qui fait obligation au législateur d’agir en ce sens avant le 1er juillet 2025. Il évoque également le sujet de la protection fonctionnelle pour mentionner qu’elle ne peut être consentie en cas de mise en cause au titre de la RFGP. Il ne se montre pas hostile à ce qu’elle le devienne mais renvoie à une réflexion plus approfondie. Pour sa part, le Cercle avait souligné la nécessité et l’urgence de cette extension.
De même, sur le sujet du délit de favoritisme, le rapport évoque l’éventualité d’une réduction du champ des possibilités de mise en cause. Cependant, il la mentionne seulement comme piste.
L’approche serait de mieux affirmer l’élément intentionnel de cette infraction pénale, sans que soit proposé de projet de rédaction permettant de réduire l’acception extensive retenue par la jurisprudence.
Sauf sur le sujet des conflits d’intérêts, il n’ouvre pas d’autres perspectives de modification du champ pénal. Il évoque l’éventualité de modifier la répartition entre les responsabilités pénale et financière mais sans trancher sur le principe, ni préciser des applications possibles. Selon ce rapport, il s’agit d’une « option à examiner ultérieurement en fonction des résultats de la réforme 2022 ».
Cet horizon apparaît lointain par rapport au besoin de clarification largement ressenti.
Pour ce qui concerne les droits de la défense qui étaient l’un des thèmes principaux de la note du Cercle, le rapport suggère la constitution d’archives. Il remarque à juste titre que la mobilitéparticulière des décideurs publics peut compliquer l’accès aux pièces permettant de déterminer les responsabilités. Les modalités de la constitution et de la conservation de telles archives ne sont toutefois pas précisées et ce problème de faisabilité est essentiel puisqu’une large part des décisions publiques font intervenir plusieurs décideurs relevant de sphères différentes (Etat, collectivités territoriales, hôpitaux, opérateurs, autorités administratives indépendantes, agences, etc.).
A juste titre, le rapport relève la gravité de la procédure pénale pour les personnes mises en cause en relevant qu’elle peut porter atteinte à leur notoriété et à leur motivation. Les cas concrets examinés par le Cercle montrent que c’est la carrière même des mis en cause qui est compromise souvent de manière irréversible, voire leur santé. Ils montrent aussi que des conséquences analogues existent même lorsqu’il s’agit de la responsabilité financière.
Le rapport estime nécessaire, là encore à juste titre, un accompagnement des personnes concernées et qui sont, dans une très large part, mises in fine hors de cause, souvent au bout de longues années. Compte tenu de la gravité des conséquences pour les agents publics concernés, les analyses et propositions formulées dans les publications du Cercle appelaient à une approche d’ensemble : encadrement juridique et professionnalisation des pratiques de déroulement des enquêtes administratives et de celles des services d’inspection pour assurer le respect des droits de la défense dès lors qu’un agent public est mis personnellement en cause ;
extension de la possibilité de la protection fonctionnelle à la responsabilité financière des gestionnaires publics.
Le Cercle rappelle l’ensemble de ses propositions.
- L’approche doit être large et globale. Les ajustements de détail à la loi pénale peuvent risquer de créer de nouvelles zones « grises » qui ne seraient pas de nature à sécuriser l'action publique.
- Une réforme doit répondre à quatre exigences fondamentales et ce cap doit être clairement fixé pour éclairer le Gouvernement : améliorer le respect des droits de la défense et cela dès l’amont des procédures, développer la capacité d’initiative des décideurs publics, assurer la clarté des risques encourus, décomplexifier et rationnaliser le partage des différents types de responsabilités en concevant des lignes de partage plus claires entre responsabilité pénale, financière, disciplinaire, managériale dans le souci d’éviter au maximum l'enchevêtrement des procédures.
La prise de conscience de toutes ces questions qui s’est fait jour ces derniers mois est un élément positif pour leur inscription à l’agenda gouvernemental et le Cerclede la réforme de l’Etat appelle l’attention sur leur importance pour la vie des personnes concernées et l’efficacité de l’action publique.
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(1) Rapport « Sécuriser l’action des autorités publiques dans le respect de la légalité et des principes du droit », 15 mars 2025, Risque pénal : adapter le cadre légal pour sécuriser l'action publique | vie-publique.fr
(2) E. Mella et Ch. Babusiaux, « Responsabilité et mise en cause personnelle des agents publics : points de vigilance et recommandations », Pouvoirs locaux – Revue de la gouvernance publique, n° 126, 2024, pp. 67-83, https://cerclereformeetat.eu/publications/responsabilite-et-mise-en-cause-personnelle-des-
agents-publics-points-de-vigilance-et-recommandations/
E. Mella et Ch. Babusiaux, « Mise en cause personnelle des agents publics : modifier les textes, faire évoluer les pratiques », Revue Gestion et Finances publiques, novembre- décembre 2024 pp. 1418 https://cerclereformeetat.eu/publications/responsabilite-et-mise-en-cause-personnelle-des-agents-
publics-faire-evoluer-des-textes-adapter-des-pratiques/
Ch. Babusiaux, interview dans Hospimédia, 25 février 2025
(3) Le Procureur général près la Cour des comptes a la maîtrise exclusive de la mise en cause des gestionnaires publics devant la chambre du contentieux de la Cour et il est au centre de l’action des procureurs financiers près les chambres régionales des comptes.
(4) Si la mise en cause individuelle est faite par ordonnance du magistrat instructeur de la chambre du contentieux, désigné par le président de cette chambre, lui-même saisi par réquisitoire du Procureur général, la phase d’enquête administrative en amont est essentielle et l’absence ou l’insuffisance du contradictoire à ce stade peut avoir des conséquences lourdes pour l’agent concerné.
(5) Cf Décision n° 2024-1098 QPC du 4 juillet 2024.