« Aux jeux vidéo je m’adonnerai avec modération ! »
L’addiction aux jeux électroniques comme source de perturbation et d’exposition à des risques professionnels. Les jeux, en particulier les jeux vidéo ont envahi notre société. Conçus pour susciter un certain niveau d'engagement et d'immersion chez les joueurs cette pratique n’a épargné aucune génération depuis plus de trente ans. Elle revêt des impacts plus ou moins maitrisés selon l’âge et l’appartenance générationnelle car le jeu qui mobilise l’individualité est aussi une pratique sociale qui peut conduire à l’addiction. En période d’extension du télétravail cette pratique devient un sujet d’analyse pour les entreprises qui doivent prévenir les mésusages sans pour autant être intrusives dans la vie privée.
Les baby-Boomers (1946-1964) ont connu l'émergence des jeux électroniques dans les salles d'arcade à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Pour eux, jouer à ces jeux était généralement une simple activité de loisir occasionnelle. Les graphismes simples et les mécanismes de jeu intuitifs de l'époque, demeuraient la norme et n'entraînaient pas de dépendance. Pour les membres appartenant à la génération X (1965-1980) qui les ont suivis, les premiers à posséder des consoles de jeu à domicile, notamment l'Atari 2600, une transition importante s’est opérée avec l'avènement des graphismes 8 bits et des mondes virtuels colorés. Les jeux de plateforme comme Super Mario Bros et les jeux de combat en 2D ont connu alors une immense popularité. Cette génération a été la première à expérimenter des compétitions de jeux en petit groupe à la maison. La génération Y, dénommée aussi les Millénial, 1981-2000 a grandi en même temps que l'industrie du jeu vidéo qui est passée à un réalisme graphique plus élaboré et à une connectivité en ligne croissante. Ces Millénial ont été témoins du développement de genres variés tels que les jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs (MMORPG), les jeux de tir à la première personne (FPS) en ligne et les jeux de simulation de vie. Les jeux mobiles sont également devenus populaires à la fin de cette période. Les membres de la Génération Z (2000-2012) ont grandi quant à eux dans un monde où les smartphones apparus en 2007, les tablettes et l'accès constant à Internet sont devenus la norme. Ils ont rapidement adopté les jeux mobiles et les réseaux sociaux, jouant à des jeux simples comme Candy Crush. Les jeux en ligne compétitifs comme Fortnite, League of Legends et Overwatch sont devenus des sensations mondiales parmi cette génération. Ils ont également été les premiers à explorer le streaming et le contenu de jeu en tant que créateurs sur des plateformes comme Twitch et YouTube. Le jeu vidéo devenu une activité économique florissante, s’est même mué en sport (ESport) à part entière avec ses champions, ses compétitions internationales, ainsi le marché de l’ESport en 2021 a atteint 1,28 milliards de dollars en croissance de 32% vs 2020, Statista société de conseil, estime même que ce marché atteindra les 3 milliards de dollars dans les deux années à venir. Pour finir les membres de la génération Alpha (nés après 2012) grandissent quant à eux en étant confrontés à une technologie omniprésente. Les jeux éducatifs sur tablette et les applications interactives font partie de leur expérience dès le plus jeune âge ce qui n’est pas sans les exposer à des conséquences neuronales néfastes lors d’une pratique trop précoce.
De fait les jeux utilisant la réalité augmentée et virtuelle gagnent en popularité, offrant une immersion encore plus profonde Chaque génération a donc été modelée par les changements significatifs de l'industrie du jeu vidéo. Cette immersion conduit désormais souvent à des comportements excessifs et à une addiction au jeu. Cette problématique a des impacts importants sur la santé et la vie quotidienne, y compris sur le travail et les activités professionnelles. Le joueur compulsif entrainé par sa pratique altérant sa santé et risquant la mise en marginalité.
Les conséquences sur la santé
L’usage prolongé des écrans chez les joueurs à diverses conséquences pour leur santé. L'exposition à la lumière bleue des écrans, en particulier le soir, peut perturber la production de mélatonine, une hormone qui régule le sommeil. Des difficultés à s'endormir et à maintenir un sommeil de qualité en résultent ce qui affecte la vigilance et la concentration pendant la journée. L’usage intensif des jeux électroniques altère quelquefois l’horloge biologique des joueurs qui peuvent passer des nuits entière à s’adonner à leur addiction. Il est à noter que pour se concentrer et s'adapter aux variations de luminosité d’un écran pendant de longues périodes, les yeux réalisent des efforts constants, selon les ophtalmologistes cet effort est d’autant plus avéré que l’écran est réduit ou de mauvaises qualités, l’usage massif et non régulé des smartphones dans notre société contribue ainsi à l’avancée inexorable des maladies oculaires, la petitesse de l’écran renforçant la pression sur les yeux. Une exposition prolongée provoque communément une sensation de brûlure, des yeux secs, des démangeaisons et des maux de tête. Une trop forte amplitude quotidienne dans l’utilisation des écrans occasionne une fatigue visuelle et contribue également à la détérioration de la vision de manière temporaire voire définitive avec le risque de développer ou d'aggraver une myopie
Les joueurs invétérés souffrent également des effets d’une sédentarité trop prononcés : Passer de longues heures devant un écran encourage un mode de vie sédentaire, ce qui contribue à la prise de poids, à l'obésité et à des problèmes de santé cardiovasculaire ce d’autant que l’utilisation prolongée d'appareils électroniques, en particulier lorsque la posture n'est pas adéquate occasionne des problèmes de dos, de cou et d'épaules. S'asseoir de manière incorrecte exerce une pression excessive sur certaines parties du corps, provoquant des douleurs et des tensions
musculaires (1) . Une utilisation excessive des écrans peut également déboucher sur une forme d’isolement social en réduisant les temps consacrés aux autres et les interactions sociales en face à face.
Les 6 principaux impacts au niveau de l’activité professionnelle
Les problèmes que l’usage assidu des jeux occasionne au sein des structures professionnelles relèvent de l’évidence. Technologia a réalisé plusieurs constats lors de ses missions au sein de grandes entreprises ou du secteur public. Ainsi lors des périodes de confinement liées à la Covid-19, il a été constaté un déphasage temporel des plus jeunes salariés avec le reste des actifs dans plusieurs entreprises. N’étant plus tenus par des horaires fixes à respecter, ces derniers réalisaient quelques fois leur travail en dehors des horaires professionnels et souvent en retard, le soir et la nuit. Ce déphasage ayant des conséquences négatives sur l’activité collective.
- Stress chronique et forte anxiété pour l’individu : Confronté à un travail exigeant, à une obligation de disponibilité afin d’assurer ses obligations définies dans le cadre de son contrat de travail, le joueur compulsif en raison des interférences négatives du jeu avec ses activités, supporte stress et anxiété. Le plus souvent le joueur ne fait pas état de sa dépendance auprès de sa hiérarchie et donc, doit jongler entre ses obligations professionnelles et l’envie de jouer en se mettant en risque de perdre son emploi.
- Baisse de la performance et de la productivité au travail : Lorsqu’un salarié devient excessivement absorbé par cette pratique, il consacre généralement moins de temps et d'efforts à ses responsabilités professionnelles. Une baisse de la performance, des retards dans les tâches et une diminution de la qualité du travail en résultent entraînant une baisse de la concentration et de la productivité au travail. Les grands joueurs ont du mal à rester concentrés sur des tâches professionnelles, car ils pensent constamment à leurs jeux et ressentent le besoin d'y jouer. Ce constat reste plutôt l’apanage de jeunes hommes qui s’ennuient dans leur travail vécu essentiellement dans sa dimension alimentaire. Ce manque d’attractivité les conduit à surinvestir dans une pratique dans laquelle ils ressentent des vibrations. Un recadrage de l’entourage, une prise de responsabilités ouvrent quelquefois une alternative en aidant le joueur à se reprendre et à hiérarchiser ses choix.
- Négligence des responsabilités professionnelles : L'addiction au jeu entraîne communément un transfert d’intérêt, la personne envahie par sa pratique néglige ses responsabilités professionnelles, son métier, l’entretien de ses connaissances pour mener à bien ses fonctions. Les joueurs procèdent à des arbitrages et priorisent leurs sessions de jeu au détriment de leurs obligations au travail, des tensions surviennent alors avec la direction et les collègues.
- Absences et retards : Les personnes qui sont accro aux jeux peuvent avoir du mal à se lever le matin pour aller au travail à temps. Les sessions de jeu nocturnes prolongées entraînent une fatigue excessive, une perte d’énergie et des absences fréquentes et des retards répétés.
- Dégradation de l'image professionnelle : Si les comportements liés à l'addiction au jeu sont récurrents sur une période assez longue, ceux-ci sont de nature à générer des tensions, voire des conflits et à altérer la réputation du joueur compulsif. Cette dérive ruine l’image professionnelle de la personne et affecte ses opportunités futures voire provoque son départ de l’entreprise.
- Isolement social au travail : Les personnes qui passent beaucoup de temps à jouer peuvent devenir socialement isolées au travail, car elles évitent les interactions au sein du lieu professionnel ou en dehors avec leurs collègues pour consacrer plus de temps à leur pratique ce d’autant que l’énergie peut leur manquer Ce manque de disponibilité n’améliore pas les relations de travail et la collaboration au sein des équipes.
Une prévention active évite l’enlisement dans des difficultés de nature conflictuelle
Il est important de connaître les signes d'addiction au jeu et de chercher de l'aide en cas de difficultés. Des professionnels de la santé mentale et des conseillers spécialisés dans les addictions peuvent aider à traiter ce problème et à développer des stratégies pour équilibrer la vie personnelle, le travail et d'autres activités.
L’entreprise doit se doter d’un cadre strict pour aborder le sujet de l'addiction au jeu, et cela de manière sensible et compréhensive et non culpabilisatrice. La culpabilisation ne fonctionne, d’ailleurs pas, car elle est repoussée comme une ingérence intolérable dans la vie privée. Ce cadre strict suppose que les gestionnaires et le management intermédiaire soient formés pour aborder ces questions Il est recommandé d’aborder franchement celle-ci avec les partenaires sociaux afin de l’intégrer si possible dans un accord d’entreprise par exemple sur la déconnexion informatique. Si tel n’est pas le cas une charte ou une note suffisamment explicatives s’avèrent alors indispensable pour établir des règles connues de toutes et tous. Une sensibilisation dans certains univers très touchés par cette dépendance passe par la mobilisation des services de santé au travail. En accord avec les élus du personnel et le service de santé au travail, il pourra être mis en place en cas de besoin, un canal de communication et de soutien psychologique confidentiel où les employés pourront évoquer librement leurs préoccupations avec un
thérapeute concernant leur propre utilisation excessive de jeux. Une information régulière à ce sujet sera adressée aux employés y compris sur le groupe de soutien si un tel groupe s’est formé dans ce but.
Une sensibilisation et éducation actives : Lors du recrutement de la personne, cette problématique peut être traitée en évitant toute volonté de contrôle intrusif, il s’agit simplement de rappeler les obligations horaires et professionnelles. Démontrer une attention pour cette problématique à la personne qui va intégrer l’entreprise lui donne une information précieuse « sur les permis et les interdits » c’est-à-dire une indication utile pour se prendre en main et réguler ses activités. Cette approche doit se mener avec tact en sachant que la pratique du jeu reste de l’ordre de la vie privée et donc ne relève pas de l’autorité de l’employeur. Néanmoins les conseils peuvent se mener en particulier en insistant sur les effets nocifs de l’usage prolongé des écrans. Un atelier ou séminaire annuel pour informer les employés sur les risques associés à l'addiction au jeu et ses conséquences sur le travail et la vie personnelle peut favoriser, le cas échéant, le partage d’études, de cas relatant la réussite de personnes ayant
surmonté l'addiction au jeu, afin d'inspirer et de motiver les employés à prendre conscience de ce problème. De même des supports tutoriels sont indiqués pour instruire les collectifs.
Limiter strictement l’accès aux jeux : Si les jeux vidéo ne sont pas nécessaires pour le travail, il convient d’installer des logiciels de blocage d'accès aux sites de jeux et aux applications sur les ordinateurs de l'entreprise. Pour ce qui concerne l’usage des outils électroniques personnels (BYOD : Bring Your Own device) la même rigueur doit être employée, elle peut être l’objet d’un paragraphe dans un accord d’entreprise sur la déconnexion L’employeur élabore une politique claire concernant l'utilisation des appareils électroniques personnels pendant les heures de travail, il énonce clairement les limites en matière de navigation sur Internet et d'utilisation de jeux, il définit des règles spécifiques pour les pauses, les temps libre et les espaces de détente où l'utilisation de dispositifs électroniques personnels peut à la rigueur être autorisée. Sur ce plan néanmoins la plus grande prudence doit être de mise, les BYOD sont souvent des chevaux de Troyes pour la pénétration des serveurs professionnels car ils sont moins bien protégés que les ordinateurs mis à disposition des employés mieux équipés en antivirus.
En adoptant une approche globale qui combine sensibilisation, formation de l’encadrement, politique stricte, soutien et ressources, les entreprises peuvent jouer un rôle essentiel dans la prévention de l'addiction au jeu et la promotion d'un environnement de travail sain et productif. En cela elles préservent leurs grands équilibres mais servent la santé des personnes en dépendance.
(1)Voir en cela le livre manifeste de Regis Juanico et de Hakim Khellaf « Bougeons pour des modes de vie plus actifs » aux Editions de l’Aube soutenu par la Fondation Jean Jaurès
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia