Construire une politique RH durable : le nouveau grand chantier du BTP ?
Métiers réservés aux hommes, risques d’accidents, faible rémunération… Le secteur du BTP prête souvent le flanc à de nombreuses critiques. Pourtant, les entreprises déploient depuis plusieurs années des mesures concrètes pour offrir à leurs employés une gouvernance plus à l’écoute et proche des besoins.
Les entreprises françaises du BTP doivent relever un nouveau défi : bâtir une politique RH durable pour leurs salariés qui s’inscrive dans une démarche RSE beaucoup plus proactive. À l’heure où les enjeux RSE prennent une importance croissante, le BTP a d’ores et déjà lancé son plus gros chantier : celui des politiques RH, gage d’attractivité et de fidélisation des collaborateurs, et, par conséquent, de performance opérationnelle et commerciale.
Insertion, inclusion : quand le BTP donne le bon exemple
Les entreprises du BTP font face à une pénurie de main d’œuvre. Le phénomène n’est pas nouveau et des dispositifs ont été mis en place afin de faciliter la venue de nouveaux collaborateurs. Ainsi, des contrats d’apprentissage ou de stage, permettant aux jeunes de se former professionnellement avec la possibilité d’obtenir en fin d’études un CDD ou un CDI, sont à pourvoir dès l’âge de 16 ans. Le nombre d’alternants dans les entreprises du BTP est d’ailleurs important et s’élève à près de 2 000 chez Vinci Construction, et même 3 000 chez Eiffage. Dans une campagne de sensibilisation aux métiers des travaux publics, la Société du Grand Paris (SGP), qui orchestre la construction des nouvelles infrastructures de transport en Ile-de-France, a transformé le célèbre slogan « métro, boulot, dodo », en « au boulot pour le métro ». Un « coup de com’ » pour inciter les jeunes et les personnes éloignées de l’emploi, ou inactives, à se tourner vers les métiers du BTP.
Pour faire face à un turn-over traditionnellement important, le recrutement est devenu un objectif stratégique pour les entreprises. Du CAP au Bac+6, ce sont 100 000 postes qui vont s’ouvrir au cours des dix prochaines années selon Action BTP, la centrale emploi pour le secteur des travaux publics.
Afin d’attirer de nouveaux talents, les entreprises recourent de façon croissante aux personnes éloignées de l’emploi ou en réinsertion professionnelle. De telles mesures ont été appliquées avec succès par les géants du secteur : avec plus de six millions d’heures de travail sur le chantier Ariane 6 Eiffage a ainsi largement dépassé les quelque 61 800 heures règlementaires. Les projets les plus imposants, tels que le Grand Paris Express (GPE) ou les travaux de la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques (SOLIDEO), se sont par ailleurs engagés à consacrer 10 % du volume d’heures total aux personnes éloignées de l’emploi.
A la fois contraintes et désireuses de faire mieux, les entreprises ne se sont pas arrêtées là. Bien que le BTP soit un milieu essentiellement masculin, la part de recrutement des femmes augmente. En 2021, Bouygues Construction a comptabilisé 25 % de recrutements de femmes cadres. L’année précédente, Eiffage avait recruté parmi ses cadres plus d’un tiers de femmes, représentant 23.4 % du total des cadres employés. Ce mouvement de féminisation est accompagné par les organismes en charge des grands chantiers, lesquels veillent à une plus grande présence de collaboratrices. La SGP a ainsi noué un partenariat avec l’association Capital Filles pour accompagner les lycéennes dans leurs choix d’orientation. Ce système de parrainage vise à combattre les stéréotypes liés aux métiers industriels, tout en encourageant et favorisant l’apprentissage après le lycée. « Nous montrons aux jeunes filles qu’être une femme n’empêche pas de rejoindre un grand projet d’aménagement, dans un secteur qui est plutôt perçu comme un milieu d’hommes » se félicite Laurence Guillon qui travaille en tant que chef de mission de la ligne 15 Est à la Société du Grand Paris.
L’inclusion dans le BTP ne se limite pas aux personnes, mais intègre également les plus petites entreprises. Pour favoriser l’accès aux chantiers les plus importants, des sociétés telles que Paris 2024 ou le CNOF (Comité national et olympique français), en charge de l’organisation des Jeux Olympiques, ont lancé la plateforme entreprises2024.fr pour permettre aux TPE-PME de s’informer sur les opportunités de travail de l’organisation des JO.
Les « bons-plans » du BTP
Mieux assurer la sécurité au travail, proposer des emplois durables, veiller au bien être des collaborateurs… Le secteur du BTP fait sa mue.
La politique « zéro accident » développée par de nombreuses entreprises du secteur vise à assurer une sécurité au travail, bien que le « risque zéro » n’existe, lui, pas. Le BTP détient de longue date le triste record du nombre d’accidents du travail. La politique RH vise à rassurer les employés, et mettre des moyens concrets en place pour la protection des ouvriers. La Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP) a d’ailleurs dévoilé, il y a quelques semaines, sa feuille de route sur la santé et la sécurité au travail pour la période 2023-2028. L’objectif « zéro accident mortel implique de réduire significativement les risques pour les salariés, et ainsi d’agir sur tous les types d’accidents du travail. Nous entendons nous engager de manière encore plus forte et visible dans ces domaines » explique Jean de La Chapelle, président du Comité Prévention et Santé au travail de la FNTP.
Protéger les salariés et veiller à ce qu’ils s’épanouissent professionnellement est un double défi pour les entreprises. Si le secteur est marqué par le turn-over, les collaborateurs « fidèles » à leur entreprise sont appelés à gravir les échelons. Les personnes issues de l’insertion ou les alternants, par exemple, ont cette possibilité d’évoluer au cœur de l’entreprise qui va les former et les guider pour leur garantir une stabilité financière, et la durabilité de leur emploi. Et les entreprises ont tout à gagner avec des salariés expérimentés.
L’entrepreneuriat salarié et l’épargne salariale assurent également le lien entre les salariés et le capital de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Pro BTP, groupe d’assurance et de protection sociale, définit l’épargne salariale comme un « dispositif gagnant-gagnant » pour constituer un capital de retraite et donner vie à ses projets personnels. En 2019, Regard BTP dénombre presque 18 000 entreprises du BTP adhérentes à l’entrepreneuriat salarial. Chez Eiffage, ce sont près de 80% des collaborateurs du groupe qui sont actionnaires, lesquels détiennent 20 % du capital de l’entreprise. « Cela nous a permis de développer un esprit de famille unique et une cohésion hors du commun. L’actionnariat salarié est pour moi l’un des plus beaux outils d’inclusion, de gouvernance et de responsabilité sociale élargie. Il constitue un moteur très important de motivation de nos équipes avec une valorisation de leur patrimoine sur la durée », se réjouit le PDG de la 3e major française du BTP. Benoît de Ruffray promeut l’épargne et l’actionnariat salarial, en témoigne sa fonction de président de l’association Fondact, qui « regroupe toutes les entreprises convaincues du partage des valeurs avec leurs salariés ». Dans un secteur où la rémunération est souvent jugée insuffisante, l’épargne salariale apparaît comme un « bon plan » fiscal sécurisé, qui assure l’indépendance de l’entreprise et développe une identité commune autour de valeurs partagées au sein du groupe.
Assurances risques, insertion sociale, féminisation de l’emploi, aide à l’épargne… Le BTP multiplie les initiatives pour rattraper son retard. La cohérence entre valeurs, plan stratégique et enjeux de notre époque est au cœur des préoccupations des chefs d’entreprises. Les efforts déployés par les sociétés françaises du secteur devraient permettre de construire une politique RH plus stable et durable qui réponde mieux aux attentes des salariés, et plus généralement aux enjeux sociétaux actuels.