Poursuivre ou abandonner la réforme du recouvrement des cotisations des retraites complémentaires ?
Dans un courrier commun adressé fin juillet au gouvernement, cinq organisations syndicales et deux organisations patronales disent toutes leurs craintes vis-à-vis de l’entrée en vigueur de la réforme consistant à confier au 1er janvier 2023 au réseau Urssaf le recouvrement des cotisations de retraites complémentaires, tâche jusque-là assurée par l’Agirc-Arrco.
En juin, le rapport d’une mission sénatoriale assurait que le transfert est irréalisable en l’état et pointait lui aussi les risques en termes de faisabilité. Patronat et syndicats demandent que cette réforme fasse l’objet a minima d’un nouveau report. Pour sa part, la Confédération FO a contesté ce projet de transfert, actant une centralisation du recouvrement des cotisations, dès son engagement via le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
Explications
"Il nous semble nécessaire que le gouvernement puisse, a minima, reporter une nouvelle fois la date d’entrée en vigueur de cette réforme", voilà une des phrases que l’on peut lire dans la lettre commune adressée le 28 juillet dernier par des organisations patronales et syndicales à Gabriel Attal ministre délégué chargé des comptes publics. Les sept auteurs de la lettre (FO, CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC, Medef, CPME) demandent au gouvernement de revenir sur sa décision d’appliquer au 1er janvier prochain la réforme consistant à transférer au réseau Urssaf le recouvrement des cotisations de retraites complémentaires assuré actuellement par l’Agirc-Arrco.
Cette réforme à laquelle notre organisation syndicale s’est opposée dès son lancement est portée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (article 18) laquelle prévoyait initialement que ce transfert ait lieu au 1er janvier 2022. Toutefois en juin 2021, le gouvernement invoquant le contexte de crise sanitaire, décidait -sous la pression des syndicats, - de reporter d’un an cette réforme décriée, par conséquent de repousser son entrée en vigueur au 1er janvier 2023.
Il n’est pas envisageable de mener à bien le transfert aux Urssaf à l’échéance du 1er janvier 2023.
Mais, derrière la question du report de date avec mise en avant d’un contexte de crise sanitaire, se cache surtout, et fort mal, la difficile mise au point technique de cette réforme dont, au final, personne ne semble vouloir ! L’initiative de la lette commune patronat-syndicats adressée au gouvernement en dit long d’ailleurs sur les craintes que les interlocuteurs sociaux entretiennent vis-à-vis de la faisabilité de la réforme. Et ils ne sont pas les seuls.
Ainsi, fin juin, le Sénat via la commission des affaires sociales rapportait les conclusions d’un contrôle effectué dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Les auteurs de ce travail faisaient part de leurs craintes et demandaient un report de la réforme en 2024. Compte tenu de l’enjeu de sécurisation des droits à retraite complémentaire des 20 millions de salariés affiliés à l’Agirc-Arrco, il n’est pas envisageable de mener à bien le transfert aux Urssaf à l’échéance du 1er janvier 2023, assuraient les deux auteurs du rapport. Les capacités de fiabilisation des données individuelles de la déclaration sociale nominative (DSN) des Urssaf ont été développées trop récemment pour permettre la mise en œuvre du transfert, qui ne présente qu’un intérêt résiduel en termes de simplification des démarches des entreprises et d’économies de gestion, assénaient-ils encore.
Poursuivre ou abandonner le projet ?
Ce sont ces deux points, simplification et économies -lesquelles sont autrement appelées gains d’efficience-, que le gouvernement mettait en avant pour argumenter la réforme, par ailleurs prônée par la Cour des comptes, y voyant elle aussi un moyen de réduire les dépenses publiques.
Dans le cadre sénatorial, en juin dernier, les rapporteurs de la mission Mecss ont demandé, une clarification de la répartition des responsabilités entre l’Agirc-Arrco et les Urssaf et de la constatation de la qualité des dispositifs de fiabilisation mis en œuvre par les Urssaf. Le président de la Mecss indique quant à lui : un tiers, qui pourrait être la Cour des comptes, devra constater les progrès des Urssaf en la matière avant que la décision de poursuivre ou d’abandonner le projet ne soit prise.
Et le rapport de pointer les risques véhiculés par l’utilisation de la DSN, déclaration unifiée qui a remplacée 45 formalités déclaratives, et sur laquelle s’appuierait le versement automatique des prestations de retraites complémentaires. Ainsi, indique-t-il, la branche famille évalue actuellement le taux d’erreur dans le flux DSN alimentant ses bases de données à 2 %, une proportion non négligeable. Concrètement, le rapport estime que non seulement le transfert de recouvrement de cotisations n’est pas stratégique mais que les risques qu’il fait peser surpassent le bénéfice potentiel d’une amélioration des taux de recouvrement.
Une centralisation à hauts risques de perte de droits pour les salariés
Tandis que depuis la fin 2019, le gouvernement vante l’unification du recouvrement et ses avantages pour les entreprises, -cela visant à ce qu’elles n’aient plus à terme qu’un interlocuteur unique en la matière- FO fustige une réforme en forme de première étape vers la constitution d’une caisse de retraite unique. Sans parler du danger, toujours présent, d’une unification du recouvrement des prélèvements fiscaux et sociaux.
Rappelant plus largement son attachement à la gestion paritaire et donc son opposition d’une centralisation, sur le réseau Urssaf, du recouvrement des cotisations de retraites complémentaires, la confédération pointe de multiples menaces dont celle de bugs technologiques faisant courir des risques de perte de droits pour les salariés ou encore celle consistant à mettre sur la sellette 2000 emplois de salariés de l’Agirc-Arrco pour l’instant dédiés au recouvrement des cotisations.
En juin dernier, dans sa déclaration lors du conseil d’administration de l’Agirc-Arrco, la confédération avait renouvelé son opposition au transfert à l’Urssaf du recouvrement des cotisations et avait réitéré ses craintes. Elle demandait à nouveau que soit envoyé le courrier qui a été préparé au nom de la fédération et accepté par les organisations, et cela sans délai. Après avoir quelque peu trainé les pieds, le patronat (Medef et CPME) s’est donc joint à cinq organisations syndicales, pour ce courrier adressé au ministre délégué, Gabriel Attal.
Début août, Michel Beaugas, secrétaire confédéral en charge notamment des dossiers de retraites complémentaires, confirmait de nouveau les dangers de cette réforme du recouvrement, et qui plus est de son application au 1er janvier prochain. Techniquement, ce n’est pas prêt ! Les tests effectués ne sont pas fiables assénait-t-il, notant le faible nombre de concepteurs de logiciels spécifiques à ces nouvelles tâches et le peu d’entreprises volontaires pour les tests. Et de souligner une des difficultés et pas des moindres...Le réseau Urssaf qui est censé collecter les cotisations, ne sait pas les calculer dans le détail, salarié par salarié.
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