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29 / 03 / 2022 | 225 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Lutte contre les dérives du climat : pédagogie de 7 actions concrètes à mettre en place au sein des entreprises

Tour d’horizon de quelques mesures opérationnelles afin d’inspirer les échanges et les réflexions pour que la lutte contre les dérives du climat passe aussi par l’entreprise.

CO2
 

1/ Résoudre positivement l’équation des entrées et des sorties
 

Par un souci de simplification, on peut considérer toute entreprise privée ou publique comme une structure où œuvrent des femmes et des hommes. Dans cette structure entrent d’une part les énergies et les éléments qui viennent de l’extérieur : l’électricité, l’eau, l’air, les autres gaz, les divers combustibles et matériaux, les moyens de production, les véhicules etc. et d’autre part sortent vers l’extérieur, les produits crées ou enrichis, les objets fabriqués, les services délivrés et bien entendu tous les reliquats directs ou indirects attachés à cette production : résidus, déchets, poussières, émissions diverses… qui peuvent altérer les biens communs que sont la qualité de l’air, de l’eau , des sols voire susciter des altérations chimiques, biologiques ou le réchauffement climatique. Aussi plusieurs buts « verts » sont à rechercher par les acteurs au sein de l’entreprise : en bref (et de manière un peu caricaturale), minimiser et optimiser l’utilisation de toutes les énergies qui entrent, et réduire et valoriser toutes les scories qui sortent. De plus pour limiter les pertes à l’intérieur de l’entreprise, minimiser tout ce qui conduit à déplacer un produit d’un endroit à un autre. Sur cette base de nombreuses d’initiatives peuvent être entreprises, nous en citerons quelques-unes pour illustrer les possibilités mais avant tout il s’agit de rappeler la nécessité d’une démarche collective.
 

2/ S’en remettre à l’intelligence collective comme voie de la transition énergétique
 

Pour agir au mieux les salariés sont les mieux placés pour voir ou entendre toute anomalie et suggérer des solutions car ce sont eux qui sont en contact direct avec le réel. Ce sont eux qui ont le nez dans les machines. Ce sont les ouvriers, les employés qui sont les plus à même de détecter et de signaler à leur encadrement les fuites dès qu’elles apparaissent, ou la dégradation des calorifuges ou des isolants thermiques, ou tout bruit anormal, ou encore toute odeur suspecte qui plus est en ce qui concerne la baisse du niveau de propreté. Ce sont eux qui peuvent immédiatement repérer toute production anormale de résidus ou de chutes. Ce sont donc les sentinelles de la qualité des produits fabriqués et de la bonne utilisation de l’énergie employée.


Konosuke Matsushita, entrepreneur philosophe japonais et fondateur de la multinationale Panasonic disait d’ailleurs de son vivant que le plus grand atout de sa société résidait dans ses 6.000 employés, représentant 6.000 paires d’yeux, 6.000 paires d’oreilles et 6.000 intelligences et que son objectif premier était de mobiliser au mieux celles-ci ». Ce dirigeant a toujours critiqué vertement ses pairs occidentaux « Vos organisations sont tayloriennes mais le pire, c’est que vos têtes le sont aussi ! Vous êtes totalement persuadés de faire bien fonctionner vos entreprises en distinguant, d’un côté les chefs, de l’autre les exécutants, d’un côté ceux qui pensent, de l’autre ceux qui vissent. Pour vous, le management c’est l’art de faire passer convenablement les idées des dirigeants dans les mains des manœuvres. Nous nous savons que le business est devenu si compliqué, si difficile et la surveillance d’une firme si problématique dans un environnement de plus en plus dangereux, inattendu et compétitif qu’une entreprise doit chaque jour mobiliser l’intelligence de tous pour avoir une chance de s'en tirer … »   Les exemples abondent au sein du cabinet Technologia chez les experts qui ont souvent constaté l’efficience collective. « Dans un atelier d’entretien des engins, le remplacement d’un embrayage de bulldozer prenait 6 heures. Un groupe d’ouvriers a été mobilisé et a étudié la procédure en vigueur. Ce groupe a proposé des aménagements. Le temps de remplacement est alors passé à 2 heures.
 

3/ Surveiller les consommations et les pertes en énergie (ou se mettre à niveau).


Il importe d’abord que dans une entreprise puissent être installés des compteurs sur tout ce qui est réseau de canalisations et sur les principales utilisations : que ce soient les canalisations électriques, d’eau, de vapeur, d’air ou de gaz comprimés, d’hydrocarbures, etc., si possible avec des télérelevés. Ces derniers peuvent se réaliser sans fil, par transmission radio, pour détecter toute consommation anormale d’énergie dès son apparition. Dans les établissements importants, il pourra être installé un dispatching énergétique central pour assurer un pilotage adapté.
 

4/ Favoriser les énergies alternatives : par exemple les équipements de pompe en chaleur 
 

En 1996, lors de la grande manifestation consacrée à la maintenance à Copenhague, les Finlandais ont présenté le résultat d’une enquête générale sur les différents types de pompes utilisées dans leur industrie. Au pays du Père Noel les débats ont été passionnés dans cet Euro Maintenance. Dans ce pays Scandinave traversé par le Cercle polaire arctique, il y a donc un quart de siècle, les pompes à chaleur représentaient déjà 50% de l’énergie consommée. Les Finlandais sur cette base installée ont réalisé un état des lieux des modes de fonctionnements réels. Ce bilan a conduit à plusieurs découvertes. D’abord que pour un besoin donné de débit et de pression, on devait choisir une pompe un peu plus puissante, par sécurité. Puis retenir un moteur électrique lui aussi un peu plus puissant que la pompe, là encore par sécurité. Puis installer un appareillage électrique un peu plus puissant que le moteur, toujours par sécurité. Finalement ils sont parvenus au constat d’un gros gaspillage. L’addition de tous ces coefficients de sécurité se faisait aux dépens du facteur de puissance, et de la facture électrique…Un vrai gâchis. Ce constat a conduit à généraliser l’adoption de variateurs de vitesse sur les pompes, qui permet d’ajuster aujourd’hui strictement la puissance au besoin. 


Aujourd’hui la géothermie est vraiment une solution adaptée pour chauffer les bâtiments en hiver et les refroidir en été. Prenons l’exemple d’Optique 2000 à Clamart. L’entreprise vient d’investir 1,3 million d’euros pour une installation nouvelle sur son siège social qui accueille 450 salariés.  21 puits vont être creusés pour puiser de l’énergie à 200 mètres de profondeur grâce à un système composé d’un échangeur thermique sur sondes déviées, d’une pompe à chaleur qui permet d’échanger les calories avec le sous-sol, le tout accompagné d’un pilotage numérique pour l’optimisation de la consommation d’énergie. Les économies attendues sont de 70 000 euros par an. Surtout l’innovation permettra de diminuer de 38% la consommation en énergie et de réduire de 71% ses émissions de CO2
Le projet est donc rentable sur le plan économique et constitue une avancée significative en préservation de l’environnement. C’est ce type d’investissements qu’il faut sans doute appuyer.
 

5/ Innover et regarder à l’extérieur pour s’inspirer de nos voisins : exemple la Cloacothermie
 

Selon les chiffres récents d’Eurostat pour 2019, 75 % du chauffage et du refroidissement sont toujours produits à partir de combustibles fossiles. Le chauffage et le refroidissement des bâtiments et dans l’industrie représentent la moitié de la consommation d’énergie de l’UE.  Par ailleurs la chaleur des eaux usées issues des rejets d’eaux humains et évacuées au travers des réseaux d’assainissement représente une énergie disponible. En effet, ces eaux usées présentent une température comprise entre 12 et 20 °C selon les secteurs. La récupération de leur énergie thermique encore appelée "cloacothermie" s’appuie sur les mêmes principes techniques que ceux de la géothermie sur nappe. Les calories (ou frigories) des eaux usées sont récupérées à travers un échangeur puis transférées via une pompe à chaleur (PAC) dans les bâtiments, pour les chauffer ou les refroidir. Une fois leur énergie récupérée par l’intermédiaire de l’échangeur, les eaux usées reprennent leur cycle classique de collecte et d’assainissement.


Aujourd’hui il est relativement simple d’installer cette technologie au pied d’un immeuble de services pour un coût qui demeure abordable, ou encore d’une usine afin de réutiliser les calories des eaux usées pour son propre usage (ou sur le réseau d’assainissement public). L’échangeur thermique peut être directement intégré au réseau d’assainissement (in-situ) en étant conçu avec l’ouvrage ou ajouté ultérieurement. La valorisation de cette source importante d’énergie renouvelable et de récupération en milieu urbain donnerait lieu à des créations d’emplois et à des cycles vertueux, les eaux usées sont en effet disponibles en continu et bon marché. En bref ce système met en application le principe d’économie circulaire où tout déchet devient une ressource : il s’autoalimente car les eaux usées sont sans cesse réutilisées. En récupérant les calories des eaux usées, il devient donc possible de réduire les émissions de gaz à effet.

 

6/ Le recyclage des eaux usées peut aussi se mener en coopération entre les acteurs sur un territoire
 

Ainsi au Venezuela les eaux d’égout d’une ville convenablement filtrées, ont été utilisées pour alimenter en eau industrielle, une raffinerie. En Algérie les eaux usées ont été utilisées comme éléments de refroidissement dans la sidérurgie.


7/ Surveiller et entretenir la propreté dans les locaux professionnels 
 

Le respect des règles d’hygiène est indispensable dans la vie courante mais sans doute plus encore dans le monde du travail. Un environnement insalubre et sale peut conduire à de nombreuses maladies, toxicités et accidents du travail pour les humains. Aussi la sécurité des personnes impose des exigences fortes de propreté. Une carence sur ce plan peut être source d’accidents, de dérèglements multiples, d’incendies et de perte d’énergie et de moyens. 

A titre mnémotechnique on retiendra la encore l’exemple Japonais Ces derniers résument cette exigence dans la règle dite des 5 S. 


Cette règle définit les étapes d’une mise en propreté :
Etape 1 « Seiri »       = Eliminer l’inutile
Etape 2 « Seiton »    = Ranger l’utile
Etape 3 « Seiso »     = Tenir propre
Etape 4 « Seiketsu » = Rendre tout bien visible
Etape 5 « Shitsuke » = Persévérer dans l’effort (étape la plus difficile, d’après les Japonais…)
 


En guise de première conclusion


La question à laquelle il faut répondre est celle-ci « La lutte contre les dérives du climat passe t’elle inévitablement par l’entreprise ? »  A l’évidence la réponse est positive. Aussi après ce premier tour d’horizon de quelques mesures opérationnelles afin d’inspirer les échanges et les réflexions, nous verrons dans un second papier les conclusions de l’enquête menée par Technologia pour lutter contre les dérives du climat en milieu professionnel nous y préciserons les 14 actions et les 9 moyens envisagés dans ce but et leurs limites. 


Cette enquête récente montre les nombreux freins qui existent encore et qu’il convient de surmonter.  Ces freins qui relèvent de la crainte d’altérer les mécanismes de production et de détruire massivement des emplois seront sans doute levés selon des rythmes et des délais qu’il reste difficile à déterminer même si la « maison brûle ». Le constat fait par Technologia est que toutes les parties prenantes : les actionnaires, les dirigeants, les représentants du personnel, les salariés, les clients, les pouvoirs publics ne sont pas encore totalement alignés mais s’apprêtent à interagir sur une grande échelle dans une spirale vertueuse en faveur de l’environnement. Cette spirale pouvant parfois s’avérer douloureuse sur le plan social si on n’y prend pas garde. 


Cela étant écrit, il parait évident pour finir que cette transition à marche forcée ne passe pas qu’à travers l’entreprise. Celle-ci d’ailleurs demeure tributaire dans ses choix et équilibres industriels et professionnels de l’accès à une énergie « peu onéreuse si ce n’est décarbonée ». Nous y reviendrons dans un troisième article ou se posera aussi la question de l’indépendance des sources énergétiques car la guerre en Ukraine a sur ce plan démontré que toute politique énergétique ne peut être élaborée dans l’abstraction d’une souveraineté.   
 

  • Article de Jean Claude Delgenes, Economiste, Président-Fondateur groupe Technologia avec le concours de Gérard Neyret Ingénieur Ecole Centrale Paris et Expert Technologia
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