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03 / 03 / 2022 | 63 vues
Jean Louis Cabrespines / Membre
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Loi sur l'ESS du 31 juillet 2014 : sur le métier remettons notre ouvrage

Deux sujets importants portant sur l'économie sociale et solidaire (ESS) sont actuellement en suspens :

  • la révision potentielle de la loi du 31 juillet 2014 (« loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire »),
  • et la question de l'évolution du monde associatif, notamment celle de la place du bénévolat dans un contexte où les choses ont indéniablement évolué.

 

Un choix est donc à faire entre participer à la réflexion menée par le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) sur le bénévolat (note sur analyses et propositions sur le bénévolat) et se poser les questions que suscitent, de plus en plus, une loi que nous avons défendue, à laquelle nous avons largement contribué, qui nous paraissait constructive pour les entreprises de l'ESS et porteuse de nos valeurs fondamentales d'une économie du partage, de la participation et de la solidarité, ancrée dans un corpus politique plus humaniste.

 

Si la réflexion sur le bénévolat est importante, elle est actuellement portée par de nombreux acteurs (en particulier le Mouvement Associatif) et l'étude de Recherches et Solidarités peut servir de base à cette réflexion (« La France associative en mouvement », 19e édition, octobre 2021). Nous garderons donc ce travail de fond qui mérite d'être mené, pour un prochain article, en le rapprochant de notre interrogation sur la gouvernance associative de ces prochaines années (« Réflexions sur la gouvernance associative » | Miroir Social ), au regard de l'évolution de l'engagement, des modes de regroupement plus ou moins formalisés (association, collectif, groupe etc.).

 

Aujourd'hui, notre propos est la loi sur l'ESS du 31 juillet 2014.

 

En effet, il semblerait que de nombreux acteurs de l'ESS (y compris parmi ses rédacteurs) réclament que nous nous penchions sur ce texte fondateur de la reconnaissance de l'ESS. Car, entre la volonté d'ancrer l'ESS dans le contexte économique de l'époque, de faire reconnaître cette forme d'économie comme une économie à part entière (ne dit-on pas souvent que « l'ESS n'est pas une économie comme les autres mais que, comme les autres, elle est une économie ») et la réalité politique de ce modèle économique, il y avait à trouver un chemin que la loi de 2014 a tenté de tracer.

 

Elle a voulu tenir compte des antagonismes de l'époque définis par certains acteurs (le MOUVES en particulier), comme un combat entre les « anciens » (mutuelles, coopératives, associations et fondations) et les « modernes » (les entrepreneurs sociaux). L'article 1 de cette loi avait pour vocation de régler cette question : « Cette loi va consolider les bases de l’ESS et permettre d’envisager de nouvelles perspectives pour le secteur ».

En plus des acteurs historiques de l’ESS susmentionnés (mutuelles, associations, fondations et coopératives), les entreprises commerciales peuvent désormais être considérées comme des actrices de plein droit de l’ESS, à deux conditions :

  • elles respectent les principes de l’ESS qui sont réaffirmés : but poursuivi autre que les bénéfices, gouvernance démocratique organisée par les statuts, bénéfices consacrés au maintien de l’activité et réserves obligatoires non distribuables individuellement ;
  • elles ont une utilité sociale : soutien à des précaires, lutte contre les exclusions et les inégalités, développement durable dans ses dimensions économique, sociale et environnementale » (« L'économie sociale et solidaire peut-elle être une alternative au capitalisme économique ? », par Camille Tharreau, mémoire de recherche 2018).

 

Nous nous en tiendrons aux trois premiers articles de cette loi qui paraissent structurants, tout en sachant qu'un travail exhaustif sur l'ensemble demanderait une contribution plus importante.

 

Article 1er – Qu'est-ce que l'ESS ?

 

L'article 1er a voulu donner un cadre précis de ce que sont les entreprises de l'ESS (rappelons que la première version définissait des secteurs d'activités, proposition vite unanimement rejetée par tous les acteurs de l'ESS, soulignant en cela que l'économie sociale pouvait toucher tous les secteurs d'activité).

 

Le premier écueil est celui de la prise en compte de ce qu'est réellement l'ESS : on ne fait pas suffisamment référence au cadre politique de l'économie sociale et on l'inscrit clairement comme un aménagement de l'économie capitaliste (même si ce cadre figurait dans le préambule, vite oublié...).

 

Le deuxième écueil est celui de la vérification du respect de ces différents critères pour les entreprises sociales définies dans cet article 1er dans les temps.

 

L'agrément ESUS n'est pas suffisant et ne présente pas les garanties pour permettre qu'une entreprise se faisant reconnaître respecte les obligations qui lui sont faites dans les temps. L'article 11 de cette loi (modifiant L'article L. 3332-17-1 du code du travail, « Peut prétendre à l'agrément » entreprise solidaire d'utilité sociale »...) ne suffit pas à garantir le respect de ce qui fait l'ESS.

 

Le troisième écueil (mais sans doute est-ce une parole d'« ancien ») est l'interrogation persistante sur la pertinence d'avoir admis des entreprises clairement capitalistes parées des atours de l'ESS, en son sein. D'autant que cela a ouvert la porte à de nombreuses entreprises ayant su sauter sur l'occasion pour se faire reconnaître ESUS, obtenant ainsi les facilités que ce statut offre pour l'obtention de certains financements (Ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance - économie sociale et solidaire : qu’est-ce que l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale » ? : « l’agrément ESUS est une « porte d’entrée » pour les entreprises de l'ESS recherchant un accès au financement de l'épargne solidaire, à l’instar notamment des encours collectés par l’épargne salariale. L’agrément ESUS permet également d'attirer des investisseurs, qui bénéficient, en échange d'un investissement au capital de certaines catégories de PME, de dispositifs de réduction d’impôt comme les dispositifs Madelin ou IR – PME »)

 

Article 2 – Qu'est-ce que l'utilité sociale ?

 

L'article 2 définissant l'utilité sociale a fait l'objet de tellement de discussions lors de sa rédaction (en particulier parce qu'il existe d'autres définitions de cette utilité dans les textes législatifs) qu'il est plein d'ambiguïté et la première tient à sa rédaction même : « Sont considérées comme poursuivant une utilité sociale au sens de la présente loi les entreprises dont l'objet social satisfait à titre principal à l'une au moins des trois conditions suivantes... ».

 

Le législateur a restreint le sens de ce qu'est l'utilité sociale en la cantonnant « au soutien à des personnes en situation de fragilité, à la contribution à la lutte contre les exclusions et les inégalités sanitaires, sociales, économiques et culturelles, à l'éducation à la citoyenneté, notamment par l'éducation populaire, à la préservation et au développement du lien social ou au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale, au concours au développement durable ».


À partir de la synthèse d’une quarantaine de rapports, Jean Gadrey a tenté de donner une définition de l'utilité sociale. Il répertorie trente-cinq critères élémentaires qu’il classe dans une grille de onze critères globaux, eux-mêmes regroupés en cinq thèmes d’utilité sociale (Jean Gadrey, « L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire », rapport de synthèse pour la DIIESES et la MIRE, septembre 2003). Sur le métier, remettons notre ouvrage.

 

Article 3 - Qu'est-ce que le guide des bonnes pratiques ?

 

Le dernier article que nous aborderons sera l'article 3 : « le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire adopte, sur proposition de ses membres, un guide définissant les conditions d'amélioration continue des bonnes pratiques des entreprises de l'économie sociale et solidaire définies à l'article 1er de la présente loi.


Ces conditions tiennent compte des spécificités de chacune des différentes formes juridiques d'entreprise de l'économie sociale et solidaire et des obligations légales, réglementaires et conventionnelles existantes répondant déjà, totalement ou partiellement, aux informations demandées ». Cet article est né d'un échange (un peu musclé) entre le ministère de l'époque et les acteurs de l'ESS.

 

Le premier voulait instaurer un label et les seconds s'y refusaient : qui délivrerait le label ? Pourquoi ? Pour prouver quoi ? S'adressant à qui ? Avec quelles conséquences ? Nous vous laissons imaginer les débats...

 

Cela a abouti à proposer une démarche volontaire des entreprises de l'ESS, toutes catégories confondues, qui, au cours de la réunion de leurs instances, doivent instaurer ce guide des bonnes pratiques et en vérifier la réalisation au cours des instances N+1.


Acteur du secteur associatif, si nous en avons vu la réalisation durant les deux ou trois premières années, nous devons avouer que, depuis, c'est assez peu fréquent, voire inexistant. Ce guide n'est pas un gadget, c'est un outil d'amélioration des bonnes pratiques dans les entreprises de l'ESS et un moyen de tenir les engagements qui font qu'une entreprise de l'ESS veille au respect de ce qui en fait ses fondements. À tous les acteurs de le faire vivre.

 

Étudier, concerter, partager et revoir la loi ?

 

Nous aurions pu reprendre toute la loi pour analyser ce qu'elle a apporté à l'ESS. Cela a indéniablement constitué une avancée importante pour la reconnaissance mais elle reste encore fragile et sujette à des interprétations permettant des dérives que nous soulignons souvent.

 

Il serait donc important que nous agissions ensemble, représentants de l'ESS pour reprendre son contenu et, comme cela avait été le cas en 2014, que les représentants de la société civile que sont les membres du Conseil économique, social et environnement (CESE) soient saisis ou se saisissent de cette loi, huit ans après sa promulgation.

 

Lors de son examen par ces mêmes acteurs en 2014, elle avait fait l'objet de nombreuses tractations entre les différents groupes représentatifs, voire entre certains dirigeants influents, retirant ici, ajoutant là, pour arriver à satisfaire tout le monde. Mais nous le voyons, cette approche a mené à des imperfections qui pourraient largement être corrigées et donneraient une plus forte audience et une meilleure légitimité à cette loi.

 

Lors des journées de l'économie autrement, à Dijon, en novembre 2021, plusieurs d'entre nous suggéraient ce travail de concertation et de propositions au sein du CESE.

 

N'en restons pas aux mots, passons aux actes. Vous saurez trouver un soutien indéfectible auprès de tous ceux qui y ont œuvré tant nous tenons tous à cette loi mais nous tenons aussi à ce qu'elle soit porteuse et efficace.

 

L'ESS est indéniablement en train de gagner la bataille de de la crédibilité et de l'audience auprès du grand public car elle a su s'adapter à la période de crise ; elle a su montrer la pertinence de son modèle économique. Il faut aussi démontrer que l'ESS est une autre conception de l'économie qui peut s'inscrire dans l'économie actuelle (car nous n'avons pas d'autre solution pour le présent) et qu'elle est porteuse des valeurs que la jeunesse exprime dans sa demande d'avoir un travail ayant du sens.

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