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11 / 01 / 2021 | 101 vues
Jean Louis Cabrespines / Membre
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ESS : n'acceptons pas les faux semblants

Comme chaque année depuis cinq ans, tout ce qui comptait dans le monde de l'économie sociale et solidaire (ESS) se faisait une joie et/ou un devoir de se retrouver à Dijon pour « les journées de l'économie autrement » (JEA). Mais l'édition de cette année a été doublement particulière. En premier lieu parce que son initiateur, animateur, conceptualisateur et fédérateur n'est plus là. Nous avons eu l'occasion de dire notre tristesse face au départ de Philippe Fremeaux, en août dernier, mais nous sommes nombreux à la ressentir avec encore plus d'acuité.

Un an de travail pour construire ces deux jours, un an de discussion et de regards portés sur les choses et les gens, sur les bagarres intestines, sur les alliances improbables, sur les sujets d'actualité et ceux qui relevant de la prospective, un an de bonheur pour toute l'équipe autour de lui, pour ceux qui l'accompagnent, pour les membres du comité de pilotage qui sont les « régionaux de l'étape », comme il aimait à nous appeler. Un an qui, au bout du compte, nous laisse orphelins et nous oblige à faire résilience pour continuer ce travail sans lui.

 

Nous avons donc poursuivi, en période incertaine pour laquelle, un mois avant, la décision a été prise de tout faire en version dématérialisée. Plus de retrouvailles, d'échanges directs, de bons coups (de Bourgogne) bus ensemble, plus de repas conviviaux, ni d'ateliers « happening ». Juste des écrans derrière lesquels nous avons tenté les dialogues par clavier et souris interposés.

 

Si nous n'avons pas eu le plaisir de la rencontre physique, disons-le, ces deux jours ont été rudes pour les yeux mais tellement agréables et revivifiants pour les esprits et nos convictions qu'une autre économie peut exister.

 

Alors, entre actualité de l'ESS qui apporte son lot de contentements et d'insatisfactions et ces deux jours, petit retour sur la vie de l'ESS.

 

J'avais prévu de parler des entreprises à mission et de Danone mais c'est inutile car deux articles tout à fait intéressants et précis le font mieux que je ne pourrais le faire : Michel Abhervé sur son blog d'Alternatives Économiques et Pierre Liret dans un article paru dans la lettre de I'Institut ISBL.
 

Reprenons simplment les propos de ce dernier dans son article pour montrer combien la dérive est grave dans notre monde où la financiarisation et la prévalence de l'argent sur l'Homme ont des conséquences que nous ne mesurons pas encore sur l'économie que nous défendons : « rendre effective une raison d’être, un statut d’entreprise à mission ou un label B Corp quand on dépend des marchés financiers relève de l’illusion ». À nous tous, acteurs de l'ESS de préserver ce qui fait notre ADN : une économie libérée et respectueuse mais ayons parallèlement des exigences à l'égard des entreprises composant l'ESS et n'acceptons pas les faux-semblants.

 

Simplement, disons-le, l'ouverture de l'ESS vers des sociétés commerciales (ce que certains ont appelé les « entreprises à capital de l'ESS » lors des JEA) rend ce qu'est l'ESS de plus en plus confus. C'est d'ailleurs ce que disait Nadine Richez-Battesti dans un atelier des JEA : « L'ESS n'est pas soluble dans les entreprises responsables. Il y a des dimensions nouvelles qui s'expriment mais qui sont souvent des moyens de communication. L'ESS a du mal à s'y retrouver ».

 

D'autres ont également pu l'exprimer et redire combien il est essentiel que l'ESS s'ouvre à tous les secteurs de l'économie et ne reste pas cantonnée dans son pré carré. Édifiante et injuste, à ce propos, l'attaque indirecte de Jonathan Jérémiaz, porte-parole d'Impact France qui, dans un atelier, indiquait qu'une coopérative peut fabriquer des mines anti-personnel, ce qui prouve bien, selon lui, que l'on est loin des valeurs humanistes que défend l'ESS. Ça vole bas pour discréditer « les entreprises à statut ».

 

C'est d'autant plus vrai que si nous voulons faire avancer le projet politique de l'ESS qui défend une autre manière de faire de l'économie, pas seulement sur le volet entrepreneurial mais aussi sur le volet du vivre ensemble, d'un projet de société, nous devons pouvoir agir avec tous les acteurs économiques.

 

Que d'autres reprennent ce que nous défendons, c'est sans doute la preuve que, dans le contexte grave que nous traversons, nos valeurs répondent à une demande des citoyens, aux besoins de leur territoire d'intervention : mieux prendre chacun en considération et agir pour le bien commun en préservant l'intérêt général, alors que les entreprises de l'ESS sont durement touchées par la crise.

 

Lors des JEA, Jérôme Saddier (président d'ESS France) remarquait d'ailleurs : « L'ESS est dans une situation paradoxale. On la disait résiliente, aujourd'hui, elle est en crise et son modèle est en crise aussi car il s'agit d'une crise de l'activité réelle or l'ESS est inscrite dans l'économie réelle (…) Les entreprises de l'ESS souffrent plus que les autres car leur ancrage territorial les rend plus fragiles. Le PGE n'est pas une réponse car il s'agit d'un endettement. On risque de constater que certaines activités vont être en grande difficulté dans le futur. Le plan de relance ne répond pas aux besoins de l'ESS. Il y a des occasions manquées. Il faut réconcilier l'ESS avec une vision planificatrice. L'ESS doit coller aux enjeux de société et ne pas se limiter à un collectif citoyen ». Pour lui, « il faut réhabiliter l'entrepreneuriat collectif. Il faut aller au-delà de la question de l'auto-organisation et trouver un effet amplificateur pour se développer ». La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (décembre 2020).

 

L'économie conventionnelle est confrontée à l'ESS car le modèle de l'ESS est plus en phase avec ce que la crise a révélé de solidarités, de liens sociaux nouveaux. Aurore Laluc parle alors d'un « plan de réorientation plutôt que d'un plan de relance. Les moments de crise sont des moments de bascule potentielle ».

 

Ça bouge dans l'ESS...

 

En parlant de moment de crise, il en est un qui est salutaire : le départ du haut-commissaire à l'économie sociale et solidaire et à l'innovation sociale (pour le consoler, il est nommé IGAS). Même si son départ s'est fait dans des conditions que l'on peut critiquer, c'est une bonne chose car l'économie sociale qu'il défendait avait peu à voir avec ce qu'elle est en réalité, nous l'avons déjà dit.

 

Il serait intéressant d'attentivement regarder et de mesurer les effest de sa principale mesure coûteuse (@FrenchImpact) qui n'a rien produit de réellement probant pour l'ESS. Sans doute pour d'autres entreprises mais il faudra regarder tout cela de près car des millions ont été engloutis dans cette initiative alors qu'ils auraient sans doute permis des développements plus précis avec les acteurs de l'ESS.

 

Olivia Grégoire (nouvelle Secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable) semble prendre une autre voie (voix) et avoir une interlocution plus précise avec les représentants de l'ESS (et ESS France en particulier). Espérons que cela nous permette de progresser et de donner toute sa dimension à notre économie.

 

À ce propos, il est intéressant de voir (et de tenter de comprendre) pourquoi le MOUVES s'est soudain transformé en Impact France. Est-ce une reprise des cendres abandonnées par l’ex-haut-commissaire ? Est-ce une volonté de ne pas laisser le monopole de la représentation « France » aux acteurs regroupés au sein d'ESS France (dont le MOUVES) ? Est-ce la volonté de créer un nouveau modèle ? Bref, on revient à la confusion. Nous ne serons forts que si nous nous regroupons.

 

Pour concrétiser ce besoin d'une démarche collective et fédératrice, ESS France a lancé une plate-forme collaborative ouverte à tous le 1er novembre : la République de l'ESS. Cette plate-forme collaborative entre citoyens engagés et acteurs de l’ESS vise à co-construire un manifeste politique en vue de la campagne électorale de l'élection présidentielle de 2022. Jérôme Saddier précise : « Il ne s’agit pas de redéfinir l’ESS mais de compléter la définition actuelle qui est juridique, avec une déclaration plus politique émanant d’un travail collaboratif sur plusieurs mois ».


Carenews indique : « Pour porter la voix des acteurs de l’ESS et des citoyens engagés, la plate-forme « République de l’ESS » se donne l’ambition de construire une déclaration de principes sur les thèmes phares de l’ESS. L’objectif est d'exprimer la vision du monde de l’ESS pendant la campagne électorale de 2021-2022 ».


Nous retrouvons enfin là la réalité de ce qu'est l'ESS : un projet politique d'une autre société dont l'économie est l'une des parties. Nous sortons des seules considérations entrepreneuriales pour arriver à une vision sociétale. Au sein de cette plateforme, chacun peut apporter sa contribution. À vos claviers !
 

Toujours en crise sanitaire, sociale, économique et d'insécurité de tous bords, dans une société qui connaît aujourd'hui des soubresauts pouvant la mener à un avenir autoritaire, nous devons plus que jamais faire preuve d'imagination, de résilience et de recherche de solidarités nouvelles. Cette plate-forme va nous y aider. L'engagement de chacun devrait permettre de proposer une société plus humaine. Continuons ensemble pour une autre économie...

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