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18 / 12 / 2020 | 194 vues
Jérémy Girard / Membre
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La mauvaise audition : combien de points de PIB ?

Au-delà des drames personnels, le déficit auditif a des conséquences sanitaires, sociales et économiques importantes pour la collectivité. La prévention, le dépistage et le traitement de ce handicap grâce aux aides auditives est un choix gagnant sur tous les plans pour la société.

 

Question de santé publique majeure, le déficit auditif concerne en France environ 10 % de la population, soit plus de six millions de personnes. Il se manifeste d’abord essentiellement par des difficultés de compréhension et de communication… Mais diverses études scientifiques montrent qu’il est également associé à un isolement et à une dégradation de la vie sociale mais aussi à une plus grande fréquence de la dépression, du déclin cognitif, des troubles mentaux, des chutes et même de la mortalité. Le déficit auditif peut ainsi précipiter les personnes âgées vers la dépendance.

 

De graves conséquences sanitaires, sociales et économiques

 

Des travaux du Centre Johns Hopkins aux États-Unis ont ainsi montré que, pour chaque perte de 10 décibels, le risque de démence à 12 ans augmente d’environ 20 % et que les gens souffrant d’une perte auditive courent un risque de 24 % plus élevé que les autres de développer des troubles cognitifs. Une autre étude, réalisée dans les EHPAD français pour le Groupe de recherche Alzheimer-presbyacousie a révélé que les gens atteints d’une presbyacousie avec gêne sociale ont 2,5 fois plus de risques d’être atteints de troubles cognitifs. Des travaux encore confirmés récemment par une étude canadienne concluant que chaque tranche de 10 décibels de perte auditive augmente le risque d’isolement social de 52 % et va de pair avec un déclin cognitif correspondant à quatre années de vieillissement.

 

Les travaux médicaux tendent également à prouver que le recours aux aides auditives contribuerait à réduire les déficiences associées au déficit auditif, notamment le déclin cognitif. « Un appareil auditif permet de mieux entendre mais aussi de mieux comprendre la parole. Cela s’explique par le lien entre l’oreille et le cerveau. Un appareil auditif ne stimule pas l’oreille mais le cerveau. Ainsi, plus on attend avant de mettre un appareil auditif, plus le risque grandit de ne pas pouvoir récupérer cette compréhension. Le risque ultime est alors d’entrer dans un phénomène de déclin cognitif », confirme Marie Legrand, directrice générale d’Audio 2000. Les personnes appareillées constatent elles-mêmes l’effet positif de l’aide auditive sur leur capacité à interagir avec autrui et à retrouver une vie sociale. Tout en améliorant la qualité de vie des patients, les aides auditives contribueraient ainsi à réduire les dépenses publiques engendrées par le déficit auditif et les déficiences associées. Des travaux montrent également tout l’intérêt et l’efficacité d’un dépistage précoce pour les adultes en fin de vie active.

 

Une étude de l’observatoire de la santé visuelle et auditive du groupe Optic 2000 (dont le réseau d’audioprothésistes Audio 2000 fait partie) a révélé que 30 % des actifs de plus de 50 ans souffraient de troubles auditifs et que seuls 10 % d’entre eux étaient équipés d’aides auditives (enquête OpinionWay). Ainsi, 50 % des gens atteints estiment que leurs troubles auditifs contraignent leur vie professionnelle et les médecins du travail confirment que les problèmes d’audition sont à l’origine d’augmentation du stress et de repli sur soi-même, dus aux risques d’incompréhension et de problèmes de communication avec ses pairs ou la hiérarchie. Il est donc avéré que les troubles auditifs ont aussi un effet sur les performances des salariés. « À partir de 40 ans, il y a une tendance à la diminution des capacités visuelles, c’est la presbytie. Pour l’audition, c’est le même principe qui se développe vers 50 ans avec une perte de l’audition, c’est ce qu’on appelle la presbyacousie. Nous disposons d’un capital de cellules qui diminue au fur et à mesure du temps et à une vitesse plus ou moins rapide en fonction de la génétique, de certains médicaments ou encore de l’exposition du bruit », rappelle encore la directrice générale d’Audio 2000. Or, à 50 ans, la plupart des salariés est encore loin d’avoir quitté le marché du travail. D’où la nécessité d’une prévention plus large et d’un dépistage plus systématique.

 

27 milliards d’euros ? Le coût exorbitant du déficit auditif en France

 

Au-delà du drame humain qu'une surdité non traitée peut représenter pour les gens et leur famille, il est difficile de ne pas s’interroger sur le coût économique des déficits auditifs. À partir des travaux de Bridget Shield (professeur à l’Université Brunel de Londres), une évaluation réalisée en 2019 par l’organisation internationale Hear-it estime que le non-traitement de la déficience auditive coûte chaque année 185 milliards d’euros à l’Union européenne et 27,2 milliards d'euros à la France. Ce qui représente 9 400 euros par an et par personne vivant avec une déficience auditive invalidante et non traitée. Ce coût prend en compte la perte de qualité de vie (19,6 milliards) et la perte de productivité due au chômage élevé des malentendants (7,6 milliards) mais ne couvre pas les coûts supplémentaires de soins de santé entraînés par la déficience auditive.

 

Plus récemment, deux chercheurs du Conservatoire national des Arts et Métiers, Jean de Kervasdoué et Laurence Hartmann, se sont attachés à mesurer les effets économiques du déficit auditif en France. En effet, selon eux, « la perte de l’audition représente un handicap majeur qui, en touchant majoritairement la population âgée, a des effets délétères sur la qualité de vie tout en induisant un surcroît de dépenses sanitaires et sociales pour la collectivité ».

 

Selon leur étude, si personne en France n’était appareillé, les coûts « intangibles » associés au déficit auditif seraient de l’ordre de 24 milliards d’euros. L’appareillage actuel en France permet de réduire ce fardeau d’environ 30 %. Selon les chercheurs, si la France atteignait un taux de 50 % de déficients auditifs appareillés (comme le Danemark), il serait possible d’« éviter un coût de 2,1 milliards d’euros ». Ces scientifiques ont également calculé qu’il coûterait moins cher d’appareiller la population appareillable non équipée (1,5 milliard) que de ne pas l’appareiller (1,7 milliard), tout en générant des gains notables en qualité de vie.

 

« La revue documentée de cette question montre que le coût sociétal du non-appareillage en termes de qualité de vie, de dépenses et d’inégalités sociales est en totale contradiction avec les objectifs assignés au système de santé français », concluent même les auteurs. D’autant que les inégalités liées aux droits des assurés complémentaires comme les inégalités liées aux revenus et aux capacités à payer pour un appareillage contribuent à maintenir les inégalités sociales de santé et les phénomènes de renoncement aux soins. Un frein que la réforme du « 100 % santé » devrait contribuer à lever.

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