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13 / 12 / 2018 | 5130 vues
Jean Yves Le Gall / Membre
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Gescop : un GIE de coopérative de taxis, une véritable économie collaborative

Christophe Jacopin, directeur de Gescop, a bien voulu répondre à nos questions dans le cadre des entretiens du CIRIEC.

Quelles ont été les étapes de la création de Gescop (GIE de coopérative de taxis) ?
En 1967, l’ordonnance sur « la participation des salariés aux fruits de l’expansion » voulue par le Général de Gaulle a constitué la voie juridique utilisée par les dirigeants de la société générale de location (SGL) scindée en deux compagnies (Barco et Taxicop) et ceux de la GAT (filiale de la Compagnie générale des voitures) pour céder leurs actions aux chauffeurs afin de se désengager de l’exploitation directe du taxi dont la rentabilité s’était érodée. Techniquement, le capital a été fractionné sur la base du nombre d’autorisations de stationnement (ADS ou licence) de telle sorte qu’en acquérant un lot de part sociales, chaque chauffeur s’est ouvert le droit d’exploiter une ADS dont les sociétés conservaient la propriété.

En juin 1975, Barco et Taxicop se sont transformées en sociétés coopérative de production (SCOP). Les associés se sont majoritairement prononcés pour l’adoption de ce statut. La transformation en SCOP a permis de mieux traduire les liens juridiques unissant les actionnaires. Les discussions en stations sur ce choix coopératif ont suscité l’intérêt des chauffeurs de GAT pour ce modèle et l’idée d’un rapprochement a germé.

Fin 1975, les trois compagnies Barco, GAT et Taxi-cop ont signé un accord commercial (destiné à obtenir de meilleures remises auprès des fournisseurs). Puis GAT a souscrit des contrats d’assurance à la Fraternelle Automobile, avant de confier la gestion des comptes et relevés des compteurs de ses chauffeurs à Barco et Taxicop.

Le modèle d’entreprise innovant de SCOP a suscité l’intérêt des chauffeurs car l’actionnariat propose une alternative à l’artisanat. En pratique, chaque associé signe un contrat de travail avec intéressement et une convention d’avance, bloquée sous la forme d’un compte courant individualisé, utilisée pour financer l’achat du véhicule. Dispositif complété par la mise en place d’un accord de participation.

Le GIE Gescop a vu le jour en 1977, les trois coopératives se sont réunies sous une même bannière, celle de Gescop (pour la gestion et l’administration). Les PDG des trois coopératives sont de droit devenus les trois co-directeurs de Gescop et ont adopté la devise « l’esprit coopérateur : imagination, courage fraternité ».

En 1978, les AG des trois coopératives ont voté la transformation du mode d’exploitation et entériné la mise en place de contrats de locataires. Socialement, les chauffeurs de taxi n'ont plus été soumis au droit du travail, tout en étant assujettis au régime général de la Sécurité sociale. Fiscalement, ce système est très proche de celui des artisans.

Le début des années 1980 peut se définir comme une période de la mise en commun de moyens, tout en veillant à ce que les charges communes aient été le moins lourdes possibles. En juin 1988, Gescop a acquis les parts du central radio Alpha taxis. Deux ans plus tard, la prise d’appels et l’attribution des courses ont été informatisées. En 2014, Alpha taxi a lancé sont application mobile.

Quels sont les avantages de la formule coopérative Gescop pour la profession de taxis ?
C’est une alternative à l’artisanat avec un moindre investissement. Nous sommes un groupement qui existe, résiste et s’adapte depuis plus de 40 ans et qui permet à des générations de chauffeurs de taxi de vivre de leur activité sereinement à leur rythme. Ne pas être isolé et pouvoir s’appuyer sur une structure comme la nôtre en cas de difficulté est un avantage que tous nos associés reconnaissent. Disposer, en cas d’arrêt de travail, d’indemnités couvrant les charges d’exploitation grâce à Mutacop fait une grande différence.

Les taxis coopérateurs disposent : d’un centre d’appels (Alpha Taxis) avec son portefeuille de clients, un atelier de métrologie pour l’équipement taxis, un atelier de carrosserie, une assurance de flotte, un centre de gestion agréé pour leur comptabilité, un service de véhicules de remplacement en cas d’accident, un centre de formation etc.

Les chauffeurs élisent leurs représentants au conseil d’administration et ils votent lors des assemblées générales annuelles. Acteurs de l’économie sociale et solidaire, nous défendons une certaine vision de notre métier, celle d’une mission de service au public.

Conserver la liberté de vivre son métier comme on l’entend dans le cadre d’une structure protectrice, tout en investissant dans son entreprise est une voie intéressante pour exercer l’activité de chauffeur de taxi. Nous prouvons que notre modèle d’entreprise coopérative résiste aux tempêtes et représente la véritable économie collaborative, celle qui prône la réussite collective.

Quelles sont les actions menées par Gescop à l’encontre d’Uber ?
Les taxis ont été les premières victimes de ce que l’on appelle maintenant « l'ubérisation » et les premiers à résister contre la concurrence sauvage de ce type de plates-formes qui se place en simple intermédiaire sans assumer les responsabilités du transport de personnes et qui ne paie aucun impôt en France. Pour mémoire l’association UFC-Que Choisir avait révélé pas moins de 22 clauses « abusives ou illicites » dans les conditions d’utilisation du service d’Uber. Les pratiques d’exercice illégal de notre profession et de concurrence déloyale ont fortement affecté le chiffre d’affaires des chauffeurs pendant plusieurs années. Nous avons donc mené une résistance devant les tribunaux afin d'obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi de la part d’Uber et de ses clones.

Nous sommes actuellement en procédure avec Uberpop, application qui avait été déclarée illégale par Bernard Cazeneuve puis interdite à la demande du préfet.

Nous avons obtenu gain de cause dans une procédure contre Heetch (application désormais interdite) et obtenu des dommages et intérets pour tous nos sociétaires.

Dans ces procédures, tous les chauffeurs de taxi coopérateurs se portent partie civile ainsi que la chambre syndicale des coopératives. Ces actions en justice sont longues mais essentielles car elles font jurisprudence en France et au-delà de nos frontières auprès de nos collègues européens. Heureusement, après avoir été échaudés par les pratiques de ces plates-formes, les clients reviennent vers les taxis.

Quel est l’avenir de Gescop ?
Dans les années à venir, nous continuerons d'améliorer notre prestation de service et notre disponibilité en nous réinventant, comme nous l’avons toujours fait. D’ici deux ans, notre objectif est de rendre notre flotte totalement « propre » grâce à la prise de conscience écologique de nos chauffeurs. Par ailleurs, le véhicule autonome va entraîner une mutation considérable de notre métier. Dans cette perspective, notre activité va devoir s’axer vers le service aux personnes, en déclinant une multitude de services.

L’humain et la technologie doivent devenir complémentaires pour ouvrir les perspectives d’une sorte d’humanisme numérique. Être chauffeur de taxi en coopérative, alternative moderne à l’isolement de l’indépendant dans le respect du conducteur comme du passager, reste une voie d’avenir.

Quelques chiffres de Gescop :
- 1 100 chauffeurs de taxi coopérateurs,
- 110 collaborateurs,
- 60 000 € investis par chaque chauffeur de taxi coopérateur,
- 3 millions de courses taxis réalisées en 2017.

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