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27 / 11 / 2018 | 458 vues
Ariel Dahan / Membre
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Travail dissimulé ou régularisation tardive ?

Le travail dissimulé est un cancer du monde moderne du travail.

  • Il pénalise les salariés qui ne cotisent pas pour leur travail et ne bénéficieront pas de leurs droits sociaux.
  • Il pénalise la société qui ne perçoit ni les cotisations ni les impôts.
  • Il pénalise enfin l’entreprise qui s’expose à des sanctions très lourdes.

Mais le travail dissimulé s’explique parfois en raison de la difficulté réelle ou supposée de procéder aux formalités d’embauche ou à distinguer entre les situations relevant du contrat de travail (d’ordre public) et celles qui bénéficieront du rapport dérogatoire du contrat de louage de services, sous couvert d’une prestation d’autoentrepreneur.

Toute la difficulté du bénéficiaire de la prestation est que cette prestation relève à priori et par défaut du contrat de travail et qu’il doit donc préconstituer la preuve du régime dérogatoire. Ce qui suppose le recours à un contrat.

Mais le contrat de prestation de service ne fait pas tout. Il faudra encore justifier que le prestataire de la prestation de service relève lui-même de ce régime dérogatoire. À défaut, le prestataire devient salarié et les requalifications de prestations de service en contrat de travail sont nombreuses. C’est toute la difficulté de la régularisation tardive, toujours possible, du contrat de travail.

I – Une régularisation toujours nécessaire

Inutile de préciser que la régularisation de la situation de travail est toujours nécessaire dans les situations ambiguës.

Les situations ambiguës sont typiquement celles issues de l’engagement du prestataire de s’inscrire en auto-entreprise, qui tarde à en justifier.

Comment gérer la régularisation ?

En premier lieu, il faut rappeler que le bénéficiaire d’une prestation de service, s’il est professionnel, doit établir une déclaration sociale (DADS) en fin d’exercice. Cette déclaration reprend les sommes versées et le décompte au titre des charges sociales, qu’elles soient patronales, salariales ou précomptées.

Précomptées ? En effet, le bénéficiaire d’une prestation, lorsqu’il est professionnel, a l’obligation de s’assurer que les charges sociales afférentes à la prestation dont il bénéficie seront payées par le prestataire.

De fait, elles le seront (et le recouvrement relèvera des URSSAF) lorsque le prestataire est inscrit à un registre du commerce, des métiers, des agents commerciaux ou autre.

Mais comment faire lorsqu’il est en cours d’inscription et que la prestation a commencé, ce qui est un cas fréquent ?

Dans ce cas, il est recommandé que le contrat de prestation de service prévoie la possibilité de retenir les charges sociales afférentes à la facture du prestataire, jusqu’à justification par celui-ci de son immatriculation au RCS ou au RM.

Dans ce cas, le bénéficiaire paye la facture « nette », en retenant les charges sociales (à la source), jusqu’à ce que le prestataire justifie de sa situation.

S’il n’en justifie pas, le bénéficiaire devra régulariser la situation et s'acquitter des charges sociales retenues.

L’intérêt de cette méthode est que le bénéficiaire, devenu automatiquement employeur en CDI à temps plein, a pu financer les charges sociales correspondant à la prestation dont il a bénéficié.

À défaut, la régularisation paraîtra comme punitive et génèrera une sur-taxation par rapport au montant de la prestation convenue.

C’est tout l’intérêt de la DADS de permettre au bénéficiaire, devenu employeur contraint, de justifier comptablement des sommes payées et de pouvoir les imputer fiscalement et socialement, même en l’absence de contrat de travail.

L’employeur contraint n’a plus qu’à procéder à la régularisation du salarié, en procédant à sa déclaration aux organismes sociaux.

II – Limites de cette régularisation : la bonne foi ou l’intention de dissimulation

Comme en toute situation, la limite de la régularisation tient à la bonne foi de l’employeur et plus exactement au fait que la situation factuelle peut faire émerger des circonstances qui établissent une volonté de dissimuler le travail du salarié, pour éluder la taxe ou pour d’autres raisons.

Bien que la régularisation soit toujours possible (et obligatoire), cette régularisation n’absout pas tout. Notamment la pénalité due au titre du travail dissimulé, de l’article L.8223-1 du contrat de travail, qui correspond à six mois de salaire indépendamment du préjudice subi par le salarié.


Le 9 octobre 2018, dans un jugement très factuel dont la motivation paraît remarquablement exposée bien que contestable, le Conseil de Prud'hommes de Paris a précisé que les circonstances factuelles sont contrôlées par le juge du contrat de travail et qu’elles permettent de retenir la bonne foi ou le caractère intentionnel de la dissimulation et la qualification de travail dissimulé en découlant.

Les faits sont tristement simples : une auxiliaire de vie recrutée pour assister les derniers jours de quelqu'un voulait être déclarée en tant qu’auto-entrepreneur. Elle y trouvait un avantage (probablement au titre des prestations de chômage qu’elle continuait d'ailleurs à percevoir).

Comme il arrive dans ces situations, la loi a créé des situations contractuelles simplifiées (le chèque emploi service universel, CESU) qui permet à l’employeur de s’affranchir de la négociation et de la rédaction du contrat de travail.

Hélas, comme toujours, cette simplification des formalités s’accompagne d’un rétrécissement de la pensée et l’employeur, incité à la paresse intellectuelle des formalités simplifiées (déclaration sur internet, pas de documents à remettre au salarié...) a tout simplement oublié de rédiger un contrat de prestation de service avec son auxiliaire de vie auto-entrepreneur.

Est advenu ce qui était prévisible : absence de justification de la situation d’auto-entreprise, conflit avec l’employeur, régularisation par l’employeur du contrat en CESU, acquittement des charges sociales, fin du contrat et réclamation prud’hommale.

Dans cette situation, le Conseil de Prud’hommes de Paris a remarquablement motivé sa décision pour retenir le travail dissimulé. Il s’est attaché au temps passé par l’employeur pour attendre de régulariser la situation ambiguë. Le CPH considère ainsi que l’employeur « a pu être abusé (par le prestataire) dans un premier temps quand à la nature de la relation contractuelle » mais que « le délai apporté à la régularisation de la situation est suffisamment important pour établir le caractère intentionnel exigé pour qualifier le travail dissimulé ».

Autrement dit, le Conseil de Prud’hommes aurait pu accepter une régularisation plus rapide. En l’occurrence, il l’a jugé trop tardive.

III - Critique

On sait depuis longtemps que, pour reconnaître le travail dissimulé, il faut établir la volonté de ne pas s’acquitter des charges sociales. Ainsi, des heures supplémentaires contestées par l’employeur et mises en réclamation au Conseil de Prud’hommes ne sont pas toujours constitutives de travail dissimulé. Elles ne le sont que lorsque le comportement de l’employeur démontre l’intention de s’exonérer du coût des charges sociales. Par exemple, en recourant systématiquement aux heures supplémentaires non-déclarées (voire non-payées).

Mais si, comme dans le cas d’espèce, l’employeur a retenu les charges sociales et a simplement attendu la création de l’auto-entreprise. Ne voyant pas d’auto-entreprise, il a régularisé la relation contractuelle en CDI à temps plein CESU et s'est acquitté des charges sociales sur les salaires nets versés. Le salarié n’avait donc pas de grief. La bonne foi aurait dû être retenue.

Le CPH l’a rejetée en s’attachant à la chronologie.

On peut regretter qu’il n’ait pas fixé de critère objectif à cette chronologie. Quel serait le délai objectivement abusif ou objectivement exonératoire pour régulariser un salarié ? Le Conseil de Prud’hommes ne le dit pas et considère qu’il s’agit là d’une interprétation libre du juge.

On aimerait pourtant savoir si le délai exonératoire est inférieur à un mois ou s’il peut dépasser deux mois…

C’est probablement le grief principal que je ferais à cette décision. Car, dans les faits, l’employeur était en fin de vie. Il est vraisemblable qu’il n’a pas eu la capacité physique ni morale d’exiger de son auxiliaire de vie qu’il justifie de son statut. Il y avait là une contrainte morale qui n’a pas été prise en considération par le Conseil de Prud’hommes lorsqu’il s’est agi de rechercher la sanction de l’employeur. Des situations ambiguës dans lesquelles ce n’est pas l’employeur qui détient le pouvoir de négociation mais le salarié surgiront toujours. Cette situation factuelle en est la preuve.
 
Dans un souci de prospective juridique, il serait judicieux de suivre l’évolution de cette décision soit sur un appel, soit sur des décisions ultérieures d’autres juridictions pour affiner le critère temporel.

Jugement cité : CPH PARIS, activités diverses, 9 octobre 2018, F16/11041, Mme R… c/ Succession A…

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