Organisations
L’hôpital public a des « clients » même si on les appelle « patients »
L’hôpital public est en crise : activité en réduction, déficits croissants, concurrence du secteur privé et règles paralysantes. Des pistes de solutions existent : améliorer la tarification à l’activité, poursuivre la dynamique des groupements hospitaliers, resserrer les liens avec le médecin de ville, poursuivre l’évolution des ARS et faire évoluer le statut de l’hôpital.
En mai 2003, dans la Revue du Trésor (devenue depuis Gestion et finances publiques), j'avais rédigé un article intitulé « La crise de l’hôpital public ». Cet article avait été repris dans la revue hospitalière de novembre 2003. Quinze ans après, une partie du diagnostic reste d’actualité malgré les réformes positives qui ont eu lieu. Toutefois, de nouvelles adaptations sont à l'évidence indispensables, sauf à laisser la situation se dégrader encore un peu plus.
Au cours de l’année 2017, évolution tout à fait nouvelle, la tendance du nombre de séjours (hors consultations) pour l’hospitalisation complète et l’ambulatoire, était au niveau national à une baisse de 0,12 %. En Île-de-France, la baisse est encore plus sensible :
Si on se limite à l’ambulatoire, le constat va dans le même sens :
Mais ceci n’explique pas le décalage constaté avec les ESPIC, même si les activités ne sont pas exactement similaires. En revanche, les consultations continuent de progresser : + 3,12 % hors AP-HP et + 1,88 % pour l’AP-HP. Mais les consultations ne représentent en général qu'environ 10 % des recettes.
B. Des déficits qui s’accroissent fortement
Le déficit des hôpitaux publics (qui était en 2016 de 470 millions d’euros) est passé à 1,5 milliard, c’est-à-dire qu’il a été multiplié par 3. Il représente 2 % des budgets hospitaliers.
En région parisienne, l’évolution est du même ordre. Le déficit des établissements de la région (tous statuts confondus), qui était stable en 2015 et 2016 autour de 120 à 130 millions, plonge à 329 millions. La chute est particulièrement forte pour l’AP-HP qui passe d’un déficit de 39 millions à un déficit de 174 millions. À noter qu’une partie de ce déficit (41 millions) s’explique par la certification des comptes, ce qui laisse augurer une révision des déficits à la hausse au fur et à mesure de l’extension de la certification.
Comment expliquer une telle dégradation ?
La première explication est à trouver dans la baisse d’activité. Avec la tarification à l’activité (T2A), une baisse d’activité a bien évidemment des conséquences sur les recettes. Par ailleurs, l’orientation (légitime au demeurant) qui consiste chaque fois que cela est possible, sans mettre la sécurité du patient en jeu, à développer l’activité ambulatoire au détriment de l’hospitalisation complète, a un effet négatif sur les recettes de l’hôpital. Le bénéfice de ce transfert se marque en revanche dans les comptes de la Sécurité sociale.
En outre, dès la mise en œuvre de la T2A, les gouvernements successifs opéraient chaque année une baisse des tarifs. Le résultat est qu’un hôpital dont l’activité ne progresse pas, voit ses recettes de T2A baisser. Ceci se justifiait par le fait que la T2A avait un effet inflationniste : il était de notoriété publique que les médecins codaient très mal les actes réalisés car, avec la dotation globale, cela n’avait pas de conséquence financière. Avec la T2A, il devenait indispensable d’améliorer la codification, sauf à ne pas bénéficier des recettes correspondantes.
Au départ, une part de la progression de l’activité pouvait être imputée à une amélioration de la codification sans croissance réelle de l’activité. Chaque année, les tarifs remboursés par la Sécurité sociale aux hôpitaux étaient donc réduits d’un certain pourcentage, plus de 1 % en 2017. Or, aujourd’hui, les hôpitaux, non sans mal, ont beaucoup progressé dans la codification, ce qui ne justifie plus cette baisse des tarifs, sauf à tabler sur des gains de productivité. En 2017, une baisse d’activité conjuguée avec une baisse des tarifs ne pouvait que générer des déficits.
Il convient d’ajouter deux éléments qui doivent être pris en compte et qui provoquent l’exaspération des directeurs d’hôpitaux.
C. Une concurrence aiguë du secteur privé
Cette concurrence s’exerce au niveau de la patientèle et au niveau du recrutement des médecins, les deux choses étant souvent liées. On constate en effet que les hôpitaux publics ont de plus en plus de difficultés à recruter des médecins, notamment dans certaines spécialités en tension : cardiologie, obstétrique, anesthésie, chirurgie, ophtalmologie et urgences.
Dans le cas de ces dernières, on observe un double phénomène :
S’agissant des autres spécialités tendues, les cliniques bénéficient d’un gros avantage : dans la mesure où pratiquement tous leurs médecins pratiquent des dépassements d’honoraires parfois très importants, elles n’ont pas de difficultés de recrutement. On ne peut que constater des départs importants de praticiens du public vers le privé. En un an, l’AP-HP a perdu 50 chirurgiens orthopédiques. Indépendamment de la rémunération, les praticiens mettent aussi en avant une organisation plus performante qui leur permet d’effectuer davantage d’actes que dans le public. Ce n’est pas impossible compte tenu de certaines lourdeurs du secteur public.
On constate également que des praticiens qui exerçaient dans le secteur public passent à temps partiel pour exercer le reste du temps dans une clinique parfois proche. C’est une situation pour le moins étonnante ; c’est un peu la situation d’un ingénieur travaillant à temps partiel chez Renault et le reste du temps chez Citroën. Ce cas de figure est complètement impossible dans une entreprise chez laquelle il y a généralement des clauses d’exclusivité et de confidentialité. Si les praticiens respectent une certaine déontologie, cela ne pose pas de problème mais on a vu des cas de détournement de clientèle.
Au total, on constate que le taux de vacances des PH à temps plein dans le public est de 26,5 % et celui des PH à temps partiel de 46,1 %, chiffres tout à fait inquiétants.
Tous ces éléments ont pour effet de favoriser le transfert de patients ayant les moyens de supporter les dépassements d’honoraires du public vers le privé dans la mesure où ils y trouvent le moyen de se soigner rapidement et convenablement.
D. L’hôpital public souffre également de règles paralysantes.
En effet, le mode de gestion du personnel, particulièrement celui du corps médical dont l’activité à un effet direct sur les résultats de l’hôpital, pose problème dans le secteur public. Il y a encore dans ce secteur beaucoup de praticiens temps plein, compétents, dévoués, se consacrant entièrement à leur hôpital et participant activement à sa vie institutionnelle. Il convient de leur rendre hommage. Mais force est de constater que certains ont adopté un rythme optimisable ou n’ont pas fait l’effort de s’adapter à l’évolution des pratiques médicales. Or, il n’existe aujourd’hui aucun dispositif permettant de récompenser les uns et de pénaliser les autres. Au contraire, dans une clinique privée, le contrat d'un chirurgien dont l’activité est considérée comme insuffisante ou dont la pratique génère un nombre de contentieux excessif n'est pas renouvelé. À l’hôpital public, le directeur ne peut que faire des observations voire, dans les cas sérieux, placardiser l’intéressé, ce qui a un coût. Il se trouve dans la situation d’un chef d’entreprise sans autorité réelle sur ses responsables de production. En pratique, il est plus facile de faire partir un directeur surtout s’il est sur un poste indicié que de faire partir un médecin.
Le président de la Commission médicale (CME), sauf s’il dispose d’une forte personnalité, est également assez désarmé compte tenu qu’il est élu par ses pairs. On peut d'ailleurs se demander si les hôpitaux publics d’une certaine taille ne devraient pas être dotés d’un directeur de la politique médicale. Dans les hôpitaux privés, le directeur général est souvent un médecin flanqué d’un adjoint chargé de l’administration. Dans les hôpitaux publics, le directeur étant un administratif, on peut imaginer qu’il puisse avoir parmi ses adjoints un médecin chargé de la politique médicale, sans supprimer la présidence de la CME dont la fonction est autre. Ceci existe par exemple à l’AP-HP.
On observe par ailleurs à l’hôpital public la dérive d’une pratique qui avait été instaurée pour améliorer la rémunération des praticiens ayant une notoriété particulière, c’était la possibilité d’avoir une activité libérale au sein de l’hôpital. Celle-ci était en principe encadrée : le praticien ne pouvait y consacrer que 20 % de son temps et réaliser au maximum 50 % des actes. Il était déjà un peu étonnant qu’en 20 % du temps, l'on puisse réaliser 50 % des actes. Par ailleurs, cela visait au départ surtout les PU-PH (médecins à la fois professeurs à l’université et praticiens hospitaliers, ce qui justifie un double salaire). Mais cela s’est rapidement étendu en dehors de ce cercle restreint et on a même vu des biologistes avoir une activité libérale. Quel malade n'a jamais demandé que ses analyses soient faites par un biologiste particulier ? C’est en fait un prélèvement sans justification sur les recettes de l’hôpital. En outre, certaines spécialités sont exclues de fait : urgences, réanimation et gériatrie. Ceci crée des distorsions de rémunération qui peuvent être importantes : à l’AP-HP, 335 médecins ont à ce titre perçu une moyenne de 115 000 euros et 7 ont perçu plus de 450 000 euros. Ce dernier chiffre a de quoi étonner : ces médecins ont-ils encore une activité publique ?
Certes, ils gagnent moins que certains joueurs de football, dont l’utilité sociale est moindre, mais tout de même...
On doit également constater que l’hôpital privé s’est restructuré beaucoup plus rapidement que l’hôpital public. Transférer certaines activités d’un hôpital public se trouvant dans une zone en déclin ou qui n’arrive à recruter ni praticien, ni patient pose toujours un problème politique, même si une activité mieux adaptée à ses caractéristiques est proposée. Même quand un problème de sécurité des patients est mis en avant, il est très difficile d’éviter l’agitation politique et surtout médiatique.
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui constituent l'un des éléments très positifs de l’évolution récente se sont souvent heurtés à l’opposition des élus qui craignaient de voir
l’hôpital soutien du GHT peu à peu absorber les activités de leur hôpital alors que c’est le moyen de créer une vraie dynamique de groupe. L’hôpital privé a souvent réussi à s’adapter plus rapidement au développement de l’ambulatoire. Il a pu mettre en place des moyens suffisants et a été plus réactif sur les réorganisations indispensables que suppose l’ambulatoire et que l’on a souvent sous-estimées.
En effet, le processus de prise en charge est sensiblement différent. Tous ces éléments nécessitent des adaptations des différents acteurs des systèmes de santé : acteurs de la réglementation, Agences régionales de santé (ARS) et établissements hospitaliers publics.
L’expérience montre qu'au bout d’un certain nombre d’années, tout dispositif administratif présente des faiblesses qui n’avaient pas été perçues au départ. C’est le cas de la T2A qui avait été un progrès par rapport à la dotation globale. Comme on l’a vu, ce dispositif a été perturbé par la pratique qui a consisté à réduire les tarifs chaque année, ce qui obligeait à développer l’activité et à faire des économies. Or, développer l’activité dans un contexte de pénurie de médecins n’est pas forcément évident, surtout si le territoire connaît un faible dynamisme démographique. Faire des économies n’est pas un tabou mais dans la mesure
où les dépenses de personnel représentent plus de 60 % des dépenses d’un hôpital, cela nécessite souvent du temps et un climat social apaisé.
Par ailleurs, le développement de l’ambulatoire, qui génère des économies pour la Sécurité sociale, suppose une réorganisation des plateaux techniques et donc une capacité d’investissement que tous les hôpitaux n’ont plus.
La T2A reste un dispositif intéressant mais il faudrait sans doute réintégrer une part de dotation globale qui existait lors de sa mise en place. Cette part permettrait de tenir compte de la situation de chaque hôpital et de son contexte environnemental. En matière d’investissement, il faudrait aider les établissements à gérer d’une manière plus efficace la transition ambulatoire en leur apportant bien sûr une aide financière mais aussi une aide technique et organisationnelle.
B. Poursuivre la dynamique créée par les GHT
Les GHT ont obligé les hôpitaux publics à développer un esprit et une dynamique de groupe, ce qui avait déjà été réalisé par le secteur privé. Des coopérations existaient déjà entre les hôpitaux mais elles résultaient souvent davantage d’initiatives individuelles que d’une véritable politique territoriale de parcours du patient.
Les GHT se mettent en place dans un contexte plus ou moins détendu. Ici, cela se passe bien car des coopérations existaient et les différences de taille rendent le choix de l’établissement support logique. Là, les choses se passent moins bien car les établissements sont de tailles équivalentes et qu’une certaine rivalité était bien réelle. Avec le temps et un peu de bonne volonté de la part des acteurs (notamment des élus), on peut penser que le climat s’apaisera.
Le GHT oblige à obligatoirement mettre certaines fonctions en commun : informatique, achats et formations, ce qui n’est pas forcément simple quand les systèmes informatiques sont différents. Mais il oblige également les participants à définir un projet médical territorial. Pour l’élaborer, les équipes doivent apprendre à se connaître et réfléchir ensemble. On voit déjà des coopérations apportant des améliorations sensibles à la sécurité des patients se mettre en place.
Les GHT se sont parfois heurtés à des oppositions venant de collectifs politiques extérieurs aux
établissements qui prétendent défendre l’hôpital public. Ils se trompent de cible, le GHT est
au contraire un moyen efficace pour défendre l’hôpital public.
C. Resserrer les liens avec la médecine de ville
Les rapports des hôpitaux publics avec la médecine de ville sont très variables. Parfois, les médecins de ville entretiennent d’excellentes relations avec leur hôpital où certains viennent assurer des prestations ou co-utiliser du matériel. Mais ils expriment souvent un certain nombre de griefs : difficulté à joindre les hospitaliers pour échanger sur un patient, délai important dans la transmission des comptes rendus d’hospitalisation, sentiment d’une concurrence etc. À l’évidence, les liens doivent devenir plus étroits, notamment dans un contexte de multiplication des déserts médicaux. Par ailleurs, les médecins de ville sont les prescripteurs les plus importants de l’hôpital. Devant les réticences des jeunes médecins face à l’exercice solitaire de la médecine, l'on pourrait imaginer des médecins hospitaliers à temps partiel qui participeraient en ville à un cabinet médical.
D. Poursuivre l’évolution des ARS
Les ARH avaient constitué un premier progrès par rapport à la tutelle préfectorale, en devenant des organismes techniques consacrés à la tutelle des hôpitaux. Les ARS en ont constitué un second en sortant d’une vision hospitalo-centrée pour embrasser tous les acteurs d’une politique de santé. Par ailleurs, les ARS sont devenues plus présentes dans la vie des hôpitaux alors que le conseil d’administration perdait beaucoup de ses pouvoirs en devenant un conseil de surveillance. Aujourd’hui, les directeurs sont astreints à la fourniture régulière d’un nombre assez considérable d’indicateurs, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose sauf que c’est assez chronophage. Mais les ARS devraient se doter des moyens en spécialistes susceptibles d’apporter une aide technique aux directeurs sur certains sujets.
E. Faire évoluer le statut de l’hôpital
Fondamentalement, l’hôpital public reste paralysé dans ses évolutions par son statut : personnel fonctionnaire, modalités de recrutement très encadrées, application du code des marchés publics etc. Il paraîtrait plus efficace de les transformer en établissements privés à but non lucratif, ce qui aurait sans doute l’aval de la majorité des directeurs.
Mais ce serait peut-être un chiffon rouge pour les organisations syndicales même si le personnel n’y perdrait pas forcément, au contraire. N’en déplaise aux ministres successifs de la Santé qui ont toujours déclaré, pour rester dans la « bien-pensance », que l’hôpital public n’était pas une entreprise : ce n’est à coup sûr pas une administration.
L’hôpital public a des « clients », même si on les appelle « patients ». Il est soumis à la
concurrence ; il a un compte d’exploitation et un bilan. La meilleure preuve en est que les hôpitaux privés sont des entreprises. La différence est que le but de l’hôpital public n’est pas de faire des bénéfices pour rémunérer des actionnaires. Un précédent délégué de la Fédération hospitalière de France disait que l’hôpital public est une entreprise de service public. C’est la bonne formule.
Il faudrait en tirer les conclusions. On constate en effet que les ESPIC se portent en général mieux que les hôpitaux publics. Ils ont un régime fiscal plutôt plus favorable, ils ont la possibilité d’intéresser le personnel aux résultats et la gestion est beaucoup plus souple. La contrepartie serait la perte d’un comptable public que certains réclament mais il faut néanmoins être conscient que l’intervention des trésoreries de la DGFIP dans l’exécution des recettes et des dépenses est une forme déguisée de subvention de l’État aux hôpitaux.
En conclusion, la situation de l’hôpital public est très grave. Or, sa bonne santé est un gage de
démocratie sanitaire. Au train où vont les choses, les gens ayant des revenus modestes risquent de ne plus avoir accès à certains soins. C’est la situation que l’on peut constater aux États-Unis et, plus près de nous, au Portugal. La France pouvait se vanter à juste titre de disposer de l’un des meilleurs systèmes de santé au monde même s’il a commencé à se fissurer. Faisons en sorte de le conserver.
En mai 2003, dans la Revue du Trésor (devenue depuis Gestion et finances publiques), j'avais rédigé un article intitulé « La crise de l’hôpital public ». Cet article avait été repris dans la revue hospitalière de novembre 2003. Quinze ans après, une partie du diagnostic reste d’actualité malgré les réformes positives qui ont eu lieu. Toutefois, de nouvelles adaptations sont à l'évidence indispensables, sauf à laisser la situation se dégrader encore un peu plus.
Le constat
A. Une activité qui plafonne voire qui régresse...Au cours de l’année 2017, évolution tout à fait nouvelle, la tendance du nombre de séjours (hors consultations) pour l’hospitalisation complète et l’ambulatoire, était au niveau national à une baisse de 0,12 %. En Île-de-France, la baisse est encore plus sensible :
- moins 1,12 % pour les hôpitaux publics hors AP-HP,
- moins 1,51 % pour l’AP-HP qui est pourtant la vitrine de l’hospitalisation publique.
Si on se limite à l’ambulatoire, le constat va dans le même sens :
- moins 1,02 % pour les hôpitaux publics hors AP-HP,
- moins 1 % pour l’AP-HP,
- plus 9,39 % pour les ESPIC.
Mais ceci n’explique pas le décalage constaté avec les ESPIC, même si les activités ne sont pas exactement similaires. En revanche, les consultations continuent de progresser : + 3,12 % hors AP-HP et + 1,88 % pour l’AP-HP. Mais les consultations ne représentent en général qu'environ 10 % des recettes.
B. Des déficits qui s’accroissent fortement
Le déficit des hôpitaux publics (qui était en 2016 de 470 millions d’euros) est passé à 1,5 milliard, c’est-à-dire qu’il a été multiplié par 3. Il représente 2 % des budgets hospitaliers.
En région parisienne, l’évolution est du même ordre. Le déficit des établissements de la région (tous statuts confondus), qui était stable en 2015 et 2016 autour de 120 à 130 millions, plonge à 329 millions. La chute est particulièrement forte pour l’AP-HP qui passe d’un déficit de 39 millions à un déficit de 174 millions. À noter qu’une partie de ce déficit (41 millions) s’explique par la certification des comptes, ce qui laisse augurer une révision des déficits à la hausse au fur et à mesure de l’extension de la certification.
Comment expliquer une telle dégradation ?
La première explication est à trouver dans la baisse d’activité. Avec la tarification à l’activité (T2A), une baisse d’activité a bien évidemment des conséquences sur les recettes. Par ailleurs, l’orientation (légitime au demeurant) qui consiste chaque fois que cela est possible, sans mettre la sécurité du patient en jeu, à développer l’activité ambulatoire au détriment de l’hospitalisation complète, a un effet négatif sur les recettes de l’hôpital. Le bénéfice de ce transfert se marque en revanche dans les comptes de la Sécurité sociale.
En outre, dès la mise en œuvre de la T2A, les gouvernements successifs opéraient chaque année une baisse des tarifs. Le résultat est qu’un hôpital dont l’activité ne progresse pas, voit ses recettes de T2A baisser. Ceci se justifiait par le fait que la T2A avait un effet inflationniste : il était de notoriété publique que les médecins codaient très mal les actes réalisés car, avec la dotation globale, cela n’avait pas de conséquence financière. Avec la T2A, il devenait indispensable d’améliorer la codification, sauf à ne pas bénéficier des recettes correspondantes.
Au départ, une part de la progression de l’activité pouvait être imputée à une amélioration de la codification sans croissance réelle de l’activité. Chaque année, les tarifs remboursés par la Sécurité sociale aux hôpitaux étaient donc réduits d’un certain pourcentage, plus de 1 % en 2017. Or, aujourd’hui, les hôpitaux, non sans mal, ont beaucoup progressé dans la codification, ce qui ne justifie plus cette baisse des tarifs, sauf à tabler sur des gains de productivité. En 2017, une baisse d’activité conjuguée avec une baisse des tarifs ne pouvait que générer des déficits.
Il convient d’ajouter deux éléments qui doivent être pris en compte et qui provoquent l’exaspération des directeurs d’hôpitaux.
- Au fil des ans, le ministère de la Santé procède à des aménagements positifs dans la carrière du personnel hospitalier. Ceci n’aurait pas de conséquence sur les finances des établissements hospitaliers si ces mesures étaient intégrées dans les dotations. Or, elles ne le sont généralement pas.
- Depuis quelques années, le gouvernement procède à un gel d’une part des crédits destinés à financer les missions d’intérêt général pour les redistribuer en fin d’année. Comme la maîtrise des dépenses de la médecine de ville s’avère encore plus problématique que celle des hôpitaux, une partie de cette réserve sert à faire face au dynamisme des dépenses de ville.
C. Une concurrence aiguë du secteur privé
Cette concurrence s’exerce au niveau de la patientèle et au niveau du recrutement des médecins, les deux choses étant souvent liées. On constate en effet que les hôpitaux publics ont de plus en plus de difficultés à recruter des médecins, notamment dans certaines spécialités en tension : cardiologie, obstétrique, anesthésie, chirurgie, ophtalmologie et urgences.
Dans le cas de ces dernières, on observe un double phénomène :
- une fréquentation croissante des urgences en raison notamment du départ à la retraite de médecins de ville qui ne sont pas remplacés du fait des effets à retardement du numerus clausus appliqué pendant de très nombreuses années. En outre, les week-ends, les médecins n’étant pas astreints à l’organisation d’une garde (à la différence des pharmaciens), la seule alternative pour les patients est le recours aux urgences. Recours qui a l’avantage d’être totalement gratuit et de permettre de multiples examens dans des délais très courts par rapport aux procédures normales ;
- une raréfaction des urgentistes adoptant le statut de praticien hospitalier à temps plein. Les hôpitaux sont alors obligés de recourir à des intérimaires qui, en trois vacations, gagnent autant qu’un praticien hospitalier (PH) à temps plein dans son mois. Ce système s’avère extrêmement coûteux pour les hôpitaux, qui, pour assurer la continuité des soins, sont obligés de recourir aux intérimaires ou de payer des heures supplémentaires aux titulaires. Consciente du problème, la ministre de la Santé a publié un décret visant à plafonner et à réduire progressivement la rémunération autorisée de ces intérimaires. Mais encore faudrait-il que les directeurs poussés par la nécessité ne contournent pas ces règles.
S’agissant des autres spécialités tendues, les cliniques bénéficient d’un gros avantage : dans la mesure où pratiquement tous leurs médecins pratiquent des dépassements d’honoraires parfois très importants, elles n’ont pas de difficultés de recrutement. On ne peut que constater des départs importants de praticiens du public vers le privé. En un an, l’AP-HP a perdu 50 chirurgiens orthopédiques. Indépendamment de la rémunération, les praticiens mettent aussi en avant une organisation plus performante qui leur permet d’effectuer davantage d’actes que dans le public. Ce n’est pas impossible compte tenu de certaines lourdeurs du secteur public.
On constate également que des praticiens qui exerçaient dans le secteur public passent à temps partiel pour exercer le reste du temps dans une clinique parfois proche. C’est une situation pour le moins étonnante ; c’est un peu la situation d’un ingénieur travaillant à temps partiel chez Renault et le reste du temps chez Citroën. Ce cas de figure est complètement impossible dans une entreprise chez laquelle il y a généralement des clauses d’exclusivité et de confidentialité. Si les praticiens respectent une certaine déontologie, cela ne pose pas de problème mais on a vu des cas de détournement de clientèle.
Au total, on constate que le taux de vacances des PH à temps plein dans le public est de 26,5 % et celui des PH à temps partiel de 46,1 %, chiffres tout à fait inquiétants.
Tous ces éléments ont pour effet de favoriser le transfert de patients ayant les moyens de supporter les dépassements d’honoraires du public vers le privé dans la mesure où ils y trouvent le moyen de se soigner rapidement et convenablement.
D. L’hôpital public souffre également de règles paralysantes.
En effet, le mode de gestion du personnel, particulièrement celui du corps médical dont l’activité à un effet direct sur les résultats de l’hôpital, pose problème dans le secteur public. Il y a encore dans ce secteur beaucoup de praticiens temps plein, compétents, dévoués, se consacrant entièrement à leur hôpital et participant activement à sa vie institutionnelle. Il convient de leur rendre hommage. Mais force est de constater que certains ont adopté un rythme optimisable ou n’ont pas fait l’effort de s’adapter à l’évolution des pratiques médicales. Or, il n’existe aujourd’hui aucun dispositif permettant de récompenser les uns et de pénaliser les autres. Au contraire, dans une clinique privée, le contrat d'un chirurgien dont l’activité est considérée comme insuffisante ou dont la pratique génère un nombre de contentieux excessif n'est pas renouvelé. À l’hôpital public, le directeur ne peut que faire des observations voire, dans les cas sérieux, placardiser l’intéressé, ce qui a un coût. Il se trouve dans la situation d’un chef d’entreprise sans autorité réelle sur ses responsables de production. En pratique, il est plus facile de faire partir un directeur surtout s’il est sur un poste indicié que de faire partir un médecin.
Le président de la Commission médicale (CME), sauf s’il dispose d’une forte personnalité, est également assez désarmé compte tenu qu’il est élu par ses pairs. On peut d'ailleurs se demander si les hôpitaux publics d’une certaine taille ne devraient pas être dotés d’un directeur de la politique médicale. Dans les hôpitaux privés, le directeur général est souvent un médecin flanqué d’un adjoint chargé de l’administration. Dans les hôpitaux publics, le directeur étant un administratif, on peut imaginer qu’il puisse avoir parmi ses adjoints un médecin chargé de la politique médicale, sans supprimer la présidence de la CME dont la fonction est autre. Ceci existe par exemple à l’AP-HP.
On observe par ailleurs à l’hôpital public la dérive d’une pratique qui avait été instaurée pour améliorer la rémunération des praticiens ayant une notoriété particulière, c’était la possibilité d’avoir une activité libérale au sein de l’hôpital. Celle-ci était en principe encadrée : le praticien ne pouvait y consacrer que 20 % de son temps et réaliser au maximum 50 % des actes. Il était déjà un peu étonnant qu’en 20 % du temps, l'on puisse réaliser 50 % des actes. Par ailleurs, cela visait au départ surtout les PU-PH (médecins à la fois professeurs à l’université et praticiens hospitaliers, ce qui justifie un double salaire). Mais cela s’est rapidement étendu en dehors de ce cercle restreint et on a même vu des biologistes avoir une activité libérale. Quel malade n'a jamais demandé que ses analyses soient faites par un biologiste particulier ? C’est en fait un prélèvement sans justification sur les recettes de l’hôpital. En outre, certaines spécialités sont exclues de fait : urgences, réanimation et gériatrie. Ceci crée des distorsions de rémunération qui peuvent être importantes : à l’AP-HP, 335 médecins ont à ce titre perçu une moyenne de 115 000 euros et 7 ont perçu plus de 450 000 euros. Ce dernier chiffre a de quoi étonner : ces médecins ont-ils encore une activité publique ?
Certes, ils gagnent moins que certains joueurs de football, dont l’utilité sociale est moindre, mais tout de même...
On doit également constater que l’hôpital privé s’est restructuré beaucoup plus rapidement que l’hôpital public. Transférer certaines activités d’un hôpital public se trouvant dans une zone en déclin ou qui n’arrive à recruter ni praticien, ni patient pose toujours un problème politique, même si une activité mieux adaptée à ses caractéristiques est proposée. Même quand un problème de sécurité des patients est mis en avant, il est très difficile d’éviter l’agitation politique et surtout médiatique.
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui constituent l'un des éléments très positifs de l’évolution récente se sont souvent heurtés à l’opposition des élus qui craignaient de voir
l’hôpital soutien du GHT peu à peu absorber les activités de leur hôpital alors que c’est le moyen de créer une vraie dynamique de groupe. L’hôpital privé a souvent réussi à s’adapter plus rapidement au développement de l’ambulatoire. Il a pu mettre en place des moyens suffisants et a été plus réactif sur les réorganisations indispensables que suppose l’ambulatoire et que l’on a souvent sous-estimées.
En effet, le processus de prise en charge est sensiblement différent. Tous ces éléments nécessitent des adaptations des différents acteurs des systèmes de santé : acteurs de la réglementation, Agences régionales de santé (ARS) et établissements hospitaliers publics.
Quelques pistes de réflexion
A. Améliorer le système de la T2AL’expérience montre qu'au bout d’un certain nombre d’années, tout dispositif administratif présente des faiblesses qui n’avaient pas été perçues au départ. C’est le cas de la T2A qui avait été un progrès par rapport à la dotation globale. Comme on l’a vu, ce dispositif a été perturbé par la pratique qui a consisté à réduire les tarifs chaque année, ce qui obligeait à développer l’activité et à faire des économies. Or, développer l’activité dans un contexte de pénurie de médecins n’est pas forcément évident, surtout si le territoire connaît un faible dynamisme démographique. Faire des économies n’est pas un tabou mais dans la mesure
où les dépenses de personnel représentent plus de 60 % des dépenses d’un hôpital, cela nécessite souvent du temps et un climat social apaisé.
Par ailleurs, le développement de l’ambulatoire, qui génère des économies pour la Sécurité sociale, suppose une réorganisation des plateaux techniques et donc une capacité d’investissement que tous les hôpitaux n’ont plus.
La T2A reste un dispositif intéressant mais il faudrait sans doute réintégrer une part de dotation globale qui existait lors de sa mise en place. Cette part permettrait de tenir compte de la situation de chaque hôpital et de son contexte environnemental. En matière d’investissement, il faudrait aider les établissements à gérer d’une manière plus efficace la transition ambulatoire en leur apportant bien sûr une aide financière mais aussi une aide technique et organisationnelle.
B. Poursuivre la dynamique créée par les GHT
Les GHT ont obligé les hôpitaux publics à développer un esprit et une dynamique de groupe, ce qui avait déjà été réalisé par le secteur privé. Des coopérations existaient déjà entre les hôpitaux mais elles résultaient souvent davantage d’initiatives individuelles que d’une véritable politique territoriale de parcours du patient.
Les GHT se mettent en place dans un contexte plus ou moins détendu. Ici, cela se passe bien car des coopérations existaient et les différences de taille rendent le choix de l’établissement support logique. Là, les choses se passent moins bien car les établissements sont de tailles équivalentes et qu’une certaine rivalité était bien réelle. Avec le temps et un peu de bonne volonté de la part des acteurs (notamment des élus), on peut penser que le climat s’apaisera.
Le GHT oblige à obligatoirement mettre certaines fonctions en commun : informatique, achats et formations, ce qui n’est pas forcément simple quand les systèmes informatiques sont différents. Mais il oblige également les participants à définir un projet médical territorial. Pour l’élaborer, les équipes doivent apprendre à se connaître et réfléchir ensemble. On voit déjà des coopérations apportant des améliorations sensibles à la sécurité des patients se mettre en place.
Les GHT se sont parfois heurtés à des oppositions venant de collectifs politiques extérieurs aux
établissements qui prétendent défendre l’hôpital public. Ils se trompent de cible, le GHT est
au contraire un moyen efficace pour défendre l’hôpital public.
C. Resserrer les liens avec la médecine de ville
Les rapports des hôpitaux publics avec la médecine de ville sont très variables. Parfois, les médecins de ville entretiennent d’excellentes relations avec leur hôpital où certains viennent assurer des prestations ou co-utiliser du matériel. Mais ils expriment souvent un certain nombre de griefs : difficulté à joindre les hospitaliers pour échanger sur un patient, délai important dans la transmission des comptes rendus d’hospitalisation, sentiment d’une concurrence etc. À l’évidence, les liens doivent devenir plus étroits, notamment dans un contexte de multiplication des déserts médicaux. Par ailleurs, les médecins de ville sont les prescripteurs les plus importants de l’hôpital. Devant les réticences des jeunes médecins face à l’exercice solitaire de la médecine, l'on pourrait imaginer des médecins hospitaliers à temps partiel qui participeraient en ville à un cabinet médical.
D. Poursuivre l’évolution des ARS
Les ARH avaient constitué un premier progrès par rapport à la tutelle préfectorale, en devenant des organismes techniques consacrés à la tutelle des hôpitaux. Les ARS en ont constitué un second en sortant d’une vision hospitalo-centrée pour embrasser tous les acteurs d’une politique de santé. Par ailleurs, les ARS sont devenues plus présentes dans la vie des hôpitaux alors que le conseil d’administration perdait beaucoup de ses pouvoirs en devenant un conseil de surveillance. Aujourd’hui, les directeurs sont astreints à la fourniture régulière d’un nombre assez considérable d’indicateurs, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose sauf que c’est assez chronophage. Mais les ARS devraient se doter des moyens en spécialistes susceptibles d’apporter une aide technique aux directeurs sur certains sujets.
E. Faire évoluer le statut de l’hôpital
Fondamentalement, l’hôpital public reste paralysé dans ses évolutions par son statut : personnel fonctionnaire, modalités de recrutement très encadrées, application du code des marchés publics etc. Il paraîtrait plus efficace de les transformer en établissements privés à but non lucratif, ce qui aurait sans doute l’aval de la majorité des directeurs.
Mais ce serait peut-être un chiffon rouge pour les organisations syndicales même si le personnel n’y perdrait pas forcément, au contraire. N’en déplaise aux ministres successifs de la Santé qui ont toujours déclaré, pour rester dans la « bien-pensance », que l’hôpital public n’était pas une entreprise : ce n’est à coup sûr pas une administration.
L’hôpital public a des « clients », même si on les appelle « patients ». Il est soumis à la
concurrence ; il a un compte d’exploitation et un bilan. La meilleure preuve en est que les hôpitaux privés sont des entreprises. La différence est que le but de l’hôpital public n’est pas de faire des bénéfices pour rémunérer des actionnaires. Un précédent délégué de la Fédération hospitalière de France disait que l’hôpital public est une entreprise de service public. C’est la bonne formule.
Il faudrait en tirer les conclusions. On constate en effet que les ESPIC se portent en général mieux que les hôpitaux publics. Ils ont un régime fiscal plutôt plus favorable, ils ont la possibilité d’intéresser le personnel aux résultats et la gestion est beaucoup plus souple. La contrepartie serait la perte d’un comptable public que certains réclament mais il faut néanmoins être conscient que l’intervention des trésoreries de la DGFIP dans l’exécution des recettes et des dépenses est une forme déguisée de subvention de l’État aux hôpitaux.
En conclusion, la situation de l’hôpital public est très grave. Or, sa bonne santé est un gage de
démocratie sanitaire. Au train où vont les choses, les gens ayant des revenus modestes risquent de ne plus avoir accès à certains soins. C’est la situation que l’on peut constater aux États-Unis et, plus près de nous, au Portugal. La France pouvait se vanter à juste titre de disposer de l’un des meilleurs systèmes de santé au monde même s’il a commencé à se fissurer. Faisons en sorte de le conserver.
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