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22 / 06 / 2017 | 118 vues
Jérôme Saddier / Membre
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Quel devenir pour les mutuelles et le mouvement mutualiste ?

Face à l’ampleur d’une telle question animant les débats mutualistes depuis si longtemps, ma conviction est d’abord qu’il n’y aura pas d’avenir mutualiste sans :

  • d’une part une volonté réelle et ambitieuse en matière de différenciation, qu’elle repose sur les activités assurantielles, les services, et même au-delà quant à la revendication pratique d’un modèle différent s’appuyant notamment sur la non-lucrativité ou la lucrativité limitée ;
  • d’autre part une reconquête de l’autonomie des mutuelles par rapport aux pouvoirs publics, se traduisant par le fait qu’elles cessent de se positionner comme des « complémentaires » en toutes choses, ce qui les met dans une situation permanente de dépendance et les refrène sur le plan entrepreneurial ou plus largement en matière d’imagination ;
  • enfin, un renouveau de l’engagement individuel et collectif dans les organismes mutualistes, au-delà des seuls mécanismes de représentation démocratique.
Pour autant, il n’est pas certain que les pouvoirs publics nous facilitent la tâche. Du moins ne faut-il pas compter là-dessus :

  • il est peu probable que la problématique de la fiscalité soit abordée de façon favorable ;
  • il est à peu près certain que la tentation de l’excès de réglementation ne va pas passer de mode et que celle-ci ne sera pas nécessairement ajustée sur des ambitions suffisantes en matière de régulation (notons au passage que la politique de régulation des organismes portée en France par l’ACPR, si elle s’inspire d’une philosophie anglo-saxonne tournée vers la libération raisonnée du marché, s’accommode ici d’une culture bureaucratique qui peut paradoxalement alourdir celui-ci) ;
  • enfin, on voit mal en quoi la réglementation applicable aux activités d’assurance échappe à la pesanteur du droit communautaire, même si les pouvoirs publics français ne devraient pas cesser de vouloir prouver leur inventivité parfois burlesque en la matière.
Les intentions du nouveau Président de la République sont à peu près connues mais force est de constater qu’elles peuvent encore susciter des interrogations légitimes de la part des mutualistes. Quoi qu’il en soit, dans ce contexte, la Mutualité Française ne peut être ni passive, ni naïve ; elle devra donc se positionner fermement sur les principaux sujets mis en avant par le candidat Emmanuel Macron, qui seront sans nul doute repris par le nouveau ministre :

  • on nous appelle à engager la « révolution de la prévention » : fort bien, les mutualistes ne peuvent que souscrire à cela et ils sont même souvent précurseurs ; reste à voir dans quelles conditions de partenariat cela peut s’envisager au nom de l’intérêt général ;
  • on nous annonce des ambitions fortes en matière de réduction de reste à charge, jusqu’à vouloir garantir un remboursement « à 100% » de l’optique, des soins dentaires et de l’audioprothèse ; ceci ne peut que nous interroger quant aux moyens d’y parvenir, même quant au fait de savoir à quoi se rapporte le « 100 % » ; de même, par souci de transparence et de saine concurrence, on nous annonce une volonté de mettre en place trois « contrats types » de complémentaire de santé ; les mutuelles doivent attirer l’attention du gouvernement sur les effets pervers d’une telle segmentation qui peut mener à une protection sociale à plusieurs vitesses et sur la conséquence qui s’ensuit en matière de concurrence par les prix, lesquels ne sauraient constituer une approche viable, considérant les portefeuilles existants ;
  • on nous garantit la volonté d’agir sur les inégalités d’accès aux soins, notamment territoriales ; ceci va effectivement dans le bon sens et les mutuelles appuient depuis longtemps le développement des maisons de santé, comme elles sont déjà, pour certaines d’entre elles, engagées dans l’innovation en matière de télémédecine ; mais les mutualistes devront demeurer vigilants sur le maintien d’une organisation de service public, seule à même de garantir l’égalité de tous face à l’accès aux soins ; enfin, on nous demande de contribuer à l’efficacité du système : il y aura sans nul doute des frictions quant à la pérennité des délégations de gestion du régime obligatoire voire du RSI, mais le plus cocasse à ce stade réside dans l’annonce d’un « tiers payant généralisable » qui ne serait pas contraignant pour les professionnels de santé. Attendons donc un peu pour en savoir plus sur cette innovation.

Pourquoi et comment réinventer le modèle mutualiste ?

La nécessité de réinventer à la fois nos façons de faire de l’assurance, de penser la proximité à nos adhérents et d’entreprendre autrement, s’impose pour définir les contours d’un nouveau modèle mutualiste en phase avec les enjeux de la protection sociale. J’identifie ces contours au nombre de quatre au moins.
 
Réinventer l’assurance santé
 
Même constitutive d’équilibres économiques tendus et soumise à une concurrence accrue sous couvert de normalisation des paniers de soins et de course aux bas prix, cette activité a pour vocation de demeurer durablement le cœur de métier de nos mutuelles, à condition de retrouver sa viabilité économique et de rester en phase avec les besoins sociaux. Cela ne sera pas possible sans se réapproprier l’ensemble des dimensions de la protection sociale pour concevoir une « protection sociale globale » et positionner nos mutuelles comme « acteurs globaux de santé » présents sur l’ensemble des champs. Les réseaux conventionnés par nos organismes devront contribuer non seulement à maîtriser le reste à charge pour nos adhérents mais aussi à établir des relations plus confiantes et équilibrées avec les professionnels de santé.
 
L’enjeu n’est rien de moins que de réinventer l’assurance de personnes pour refonder notre différence.
 
Retrouver l’esprit d’entreprise au service de l’innovation sociale
 
Nos mutuelles doivent cesser de raisonner principalement en termes de « complémentarité » en matière d’assurance ; non que nous contestions la prééminence de la Sécurité sociale car, en bons « assureurs paradoxaux », nous défendons un haut niveau de socialisation de l’assurance maladie, mais parce que c’est un préalable pour retrouver des marges de développement.
 
Nous sommes des « entrepreneurs de protection sociale et de bien-être » et notre organisation collective doit nous conduire à rechercher toujours plus d’innovation. Nous avons aussi des responsabilités d’investisseur et d’employeur, notamment sur les territoires, qui peuvent nous amener à renforcer la mesure de notre utilité économique et sociale.
 
Enfin, de manière indissociable de notre modèle non-lucratif, les performances et l’efficacité de nos actions doivent être au cœur de nos préoccupations afin de démontrer notre différence de manière constante.
 
Garantir le respect de la personne
 
Sociétés de personnes, les besoins de chacun sont par définition au cœur des préoccupations de nos mutuelles.

Alors que les attentes individuelles prédominent de plus en plus, l’enjeu pour nos mutuelles réside au moins autant dans les offres et services à proposer, que dans la nécessité de concilier personnalisation et mutualisation. Les évolutions prévisibles de la protection sociale, par exemple celles liées à la mise en œuvre du compte personnel d’activité, nous poussent à nous engager dans cette voie.
 
Par cette relation personnalisée, c’est vers le rôle de « tiers de confiance » que nos mutuelles vont évoluer, notamment fondé sur la capacité à informer nos adhérents de façon transparente et à les accompagner de manière efficace à tout moment de la vie.
 
Ainsi éclairés, nos adhérents n’en seront que plus responsables ; c’est du moins le pari que nous faisons. Cette transparence devra également caractériser nos politiques d’utilisation des données personnelles et de santé : dans un contexte réglementaire mouvant et face à des comportements individuels divergents en la matière, il serait opportun que les mutuelles se saisissent de cette question pour en faire d’abord un sujet politique, débattu démocratiquement afin de recueillir le consentement individuel de chacun dans un cadre aussi collectif que possible et ensuite un sujet stratégique à l’appui de l’évolution de nos activités.
 
Renouer avec l’esprit d’engagement individuel et collectif
 
Nos mutuelles ne sont rien sans l’engagement de leurs parties prenantes : adhérents, élus, salariés, voire clients… C’est toute la « chaîne de valeurs » de nos entreprises mutualistes qui doit être réinterrogée et mobilisée pour leur redonner de la consistance humaine.
 
Que ce soit pour délibérer de l’évolution des réponses aux besoins en matière d’assurance ou de service, pour amplifier l’influence et l’ancrage territorial de nos mutuelles, ou pour travailler sur des projets innovants, nos mécanismes démocratiques et représentatifs ne peuvent plus suffire, a fortiori dans nos organismes qui pratiquent principalement les contrats collectifs.
 
Surtout, cet engagement est nécessaire alors que nos mutuelles constituent en fin de compte les seuls acteurs collectifs qui ont à cœur de nourrir un large débat sur la protection sociale, alors qu’il a disparu du débat social et qu’il est devenu technocratique voire confidentiel dans l’enceinte politique : notre rôle est donc essentiel pour que nos concitoyens soient encore mobilisés quant à l’avenir de notre protection sociale solidaire.
 
Tous ces enjeux ne sont pas sans conséquences sur nos organismes. Chacun fait ses choix : autonomie, partenariats, fusions, regroupements… Le paysage mutualiste est en pleine restructuration avec des conséquences parfois lourdes en matière financière, démocratique et opérationnelle.
 
Mon propos n’est pas de porter des jugements de valeur car ces choix sont au moins à la mesure des ambitions que des moyens de chacun.
 
Néanmoins, si l’ensemble du mouvement mutualiste (et pourquoi pas d’ailleurs en réunifiant mutuelles santé et mutuelles d’assurance ?) pouvait s’engager dans des voies à la fois innovantes et conquérantes, nous passerions sans doute un peu moins de temps à déplorer la perte de parts de marché ou la surdité des pouvoirs publics.

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