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28 / 12 / 2015 | 3 vues
Philippe Pihet / Membre
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Rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective : vers un retour des clauses de désignation ?

Lancée dans le cadre de la grande conférence sociale de juin 2014, la mission confiée à Dominique Libault visait « à accompagner la généralisation de la complémentaire de santé en entreprise, destinée à garantir une couverture de qualité à l’ensemble des salariés ».

Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, cette mission devait en outre analyser les conséquences de la suppression des clauses de désignation.

Pour mémoire, le Conseil constitutionnel avait censuré l’article L912-1 du code de la Sécurité sociale qui permettait aux accords de désigner l’organisme chargé de la protection complémentaire pour toute la branche, en jugeant que cette désignation portait atteinte à la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre.

Pour Force Ouvrière, la position du Conseil constitutionnel constitue une approche assurantielle de la prévoyance en privilégiant les intérêts catégoriels des acteurs du marché de l’assurance au détriment de l’intérêt général défendu par les interlocuteurs sociaux.

Sur le risque lourd, la mutualisation prend tout son sens

Publié le 23 septembre 2015, le « rapport Libault » est important en ce qu’il traite en profondeur des conséquences de la décision du Conseil constitutionnel sur la mutualisation de branche et la négociation collective des régimes de frais de santé et prévoyance.

Ce rapport a été élaboré après concertation avec les interlocuteurs sociaux (interprofessionnels et de branches) et les fédérations d’organismes complémentaires, soit 40 acteurs de la protection sociale auditionnés entre décembre 2014 et juin 2015.

Philippe Pihet, secrétaire confédéral chargé de la prévoyance sociale, représentait Force Ouvrière lors de cette concertation. Il a expliqué (encore et toujours) à destination du gouvernement que, dans le domaine de la prévoyance (notamment s’agissant du risque lourd, à savoir la couverture de l’invalidité, de l’incapacité et du décès), la mutualisation prend tout son sens.

À défaut de disposer de l’outil qui s’appelait « clause de désignation » permettant la mutualisation, les entreprises et leurs salariés sont livrés au marché.

Il a rappelé que Force Ouvrière, ne pouvant se résoudre à cette injustice frappant les salariés, a engagé différentes actions en justice. Il a aussi informé Dominique Libault que notre organisation étudiait toutes les possibilités d’écrire à nouveau dans le code de la Sécurité sociale (ou conventionnellement ou les deux) la possibilité de mutualiser les risques de prévoyance complémentaire collective en établissant un régime de Sécurité sociale complémentaire ou, plus exactement, une convention collective de Sécurité sociale justifiée par un degré élevé de solidarité.

Un constat général éloquent

« La remise en cause des clauses de désignation pourrait se traduire par une détérioration forte du modèle de solidarité qui était en train de se construire entre salariés et autres catégories de la population et entre salariés ».

Plusieurs dysfonctionnements

L’auteur relève des risques induits par la généralisation de la complémentaire de santé et par la suppression des clauses de désignation. En particulier :

  • le risque de « trous » de couverture : en cas de difficultés économiques ou de faillite de l’entreprise ou en cas de contrats courts avec pluralité d’employeurs. En l’absence de désignation, rien n’est prévu et cela risque d’affecter la solidarité dans les branches ;
  • la détérioration forte du modèle de solidarité avec des différences tarifaires selon le profil de risque de l’entreprise (démographie des salariés), affectant ainsi certaines entreprises dans les conditions de concurrence au sein d’un même secteur ;
  • le risque de non-soutenabilité dans la durée des clauses de recommandation : ce système fait porter le mauvais risque sur l’organisme recommandé, en imposant aux seuls organismes recommandés d’accepter dans les mêmes conditions et tarifs les entreprises présentant des risques ;
  • la probabilité de voir les cotisations augmenter à terme, la mutualisation technique étant affaiblie par la fin des désignations et les frais d’acquisition renchéris du fait de la concurrence accrue entre les assureurs (hausse des frais de gestion) ;
  • le risque de non-effectivité de la couverture de certains salariés, l’assureur unique permettant une protection sociale effective en maladie et encore plus en prévoyance, ce qui exige une continuité et une stabilité minimale de la relation entre l’assuré et l’assureur.

Dominique Libault formule des propositions concrètes à même de maintenir, voire de renforcer la solidarité professionnelle en matière de couverture collective obligatoire. Il vise à maintenir un cadre stabilisé et solidaire.

Sous forme de onze recommandations destinées à véhiculer (essentiellement par la voie règlementaire ou législative) le rapport vise cinq objectifs stratégiques : observer et analyser, renforcer la solidarité, renforcer le pilotage, limiter la sélection des risques et limiter les trous de couverture.

  1. Étoffer le dispositif d’observation.
  2. Mise en place d’un système de médiation renforcée.
  3. Compléter le dispositif de recommandation.
  4. Renforcer la gouvernance de la protection sociale complémentaire.
  5. Renforcer les dispositifs proposés par les assureurs pour limiter la sélection des risques.
  6. Autoriser, par dérogation, un assureur unique dans les secteurs multi employeurs.
  7. Organiser, via un fonds interprofessionnel, la couverture de certains contrats courts.
  8. Encourager les cotisations prenant en compte le revenu et les mesures favorables aux retraités grâce à des mécanismes d’incitation fiscale.
  9. Prévoir le recours à la co-désignation.
  10. Autoriser l’assureur unique en prévoyance.
  11. Créer le concept de conventions collectives de Sécurité sociale.

Plus précisément, Dominique Libault préconise notamment :

- de rétablir un système d’assureur unique, autrement dit de rétablir une mutualisation dans les secteurs caractérisés par des contrats courts ou des contrats multi-employeurs à l’intérieur de la branche. Pour les titulaires de contrats courts multiples qui cumulent des contrats dans des entreprises relevant de secteurs ou branches distincts, il propose de confier à un fonds unique, tel le fonds CMU, le financement de la part employeur de ces salariés. À ce titre, le fonds de solidarité pourrait remettre un « chèque santé » aux salariés ou proposer une solution mutualisée avec un appel d’offres (sur le modèle de l’aide à la complémentaire santé ou ACS) ;

- de mener une réflexion afin de compléter le dispositif de recommandation :

  • offrir aux branches la possibilité de mettre en place le fonds de solidarité spécifique (inscrit à l’article 972-7 du Code de la Sécurité sociale) qui gérerait de façon mutualisée certaines prestations ;
  • remédier aux effets d’anti-sélection en autorisant les branches à fixer une pénalité encadrée pour les entreprises qui rejoignent tardivement le dispositif de recommandation ;
  • renforcer la gouvernance de la protection sociale dans les branches ;

- d’encourager les cotisations prenant en compte le revenu et les mesures favorables aux retraités grâce à des mécanismes d’incitation fiscale.

Même si la position de Force Ouvrière a été entendue, nous resterons vigilants quant à la mise en œuvre des propositions du rapport Libault.

Dominique Libault a entendu la position de notre confédération en recommandant qu’il soit tenu compte de la spécificité de la couverture prévoyance par rapport à la complémentaire de santé et en incitant à la création du concept de conventions collectives de Sécurité sociale pour renforcer la solidarité et en encourageant le développement de droits non contributifs dans les accords de branche.

Cependant, la traduction concrète par les pouvoirs publics des mesures envisagées et le calendrier de mise en œuvre de ces recommandations font déjà l’objet de la vigilance et des réserves de Force Ouvrière, notamment à travers la transposition dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016.


- Téléchargez le rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective

- Téléchargez la synthèse Adéis

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