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18 / 06 / 2013
Jacky Lesueur / Abonné
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« La voix mutualiste n'est pas aphone et ses voies sans portée »

La MGEN tiendra ses assises et assemblées générales à La Rochelle du 8 au 10 juillet prochains. À un moment où le débat sur la protection sociale reprend le devant de l'actualité et la question de la place et du rôle des complémentaires de santé est posé, Thierry Beaudet, son président, a déjà donné le ton dans un message publié dans le dernier numéro de Valeurs Mutualistes et qu'il a bien voulu nous autoriser à reprendre pour éclairer les réflexions des uns et des autres...

Pour le président de la MGEN, « la mutuelle a pour objet de prévenir les risques sociaux liés à la personne et d’assurer la réparation de leurs conséquences. Issue des sociétés de secours mutuel d’instituteurs, la MGEN  s’inscrit d’emblée dans la construction de la Sécurité sociale et du service public, deux révolutions. Elle participe au régime obligatoire d’assurance maladie, au service public de l’Éducation nationale puis à travers son offre de soins au service public hospitalier. Elle porte au bénéfice de ses adhérents ses valeurs de démocratie sociale, de non lucrativité, sa capacité d’initiative et sa volonté militante de concourir à l’intérêt général. 3 500 000 personnes protégées, 2 800 000 mutualistes, 18 000 militants et correspondants, 9 500 salariés forment une expression accomplie de cette réussite.  

Depuis une quinzaine d’années, cette construction humaine est bousculée. Un carcan législatif, réglementaire, prudentiel et fiscal nous aligne sur les entreprises de marché. En dix ans, les activités de la MGEN ont relevé de la compétence de la Commission de contrôle des mutuelles et institutions de prévoyance (CCMIP), puis de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) et enfin de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) qui exerce aujourd’hui son autorité indifféremment sur les banques, les assurances et les mutuelles. Au-delà de la simple sémantique, il s’agit bien d’un marqueur visible de la financiarisation croissante de l’économie, toutes activités confondues, jusqu’aux services sociaux d’intérêt général, la protection sociale et la santé.

Du point de vue du législateur, de la puissance publique, du contrôleur, le fait mutualiste n’est plus distinctif : il s’efface derrière l’activité exercée, quelle que soit la nature de l’opérateur.

  • Les mutualistes pensaient conduire une activité sociale de solidarité visant l’intérêt général. Ils découvrent qu’elle est assimilée à une affaire marchande et concurrentielle.

On peut être gouverné par des militants bénévoles, décider en assemblée générale de l’affectation des excédents en réserves pour l’avenir collectif et se retrouver fiscalisé comme les sociétés de capitaux qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires. Comme elles, nous sommes assujettis à la taxe spéciale sur les conventions d’assurance et à l’impôt sur les sociétés. Cet alignement emporte même la contestation du modèle de protection de la MGEN. Depuis l’origine, la mutuelle organise une prévoyance sociale complète pour ses adhérents : assurance maladie obligatoire et complémentaire, accès aux soins, aide au logement, action sociale.

À cette volonté d’intervention globale, un principe de séparation des activités est opposé. Il a conduit à éclater dans des cadres juridiquement distincts le remboursement prestataire, les établissements de soins et les initiatives non économiques d’intérêt général.

  • Dorénavant, la mutuelle pourrait plus facilement financer des opérations de mécénat, et payer ainsi moins d’impôts, que soutenir l’équilibre économique d’une structure pour personnes en situation de handicap ou d’un centre de santé ouvert à tous.

Même notre gestion du régime obligatoire, reconnue performante, est parfois contestée sous prétexte qu’elle pourrait constituer un avantage concurrentiel pour la mutuelle complémentaire. Est-ce à dire que l’intérêt général et le bien-être de personnes protégées doivent s’effacer devant les logiques concurrentielles de marché ? Au fil des ans, l’initiative mutualiste est de plus en plus encadrée et l’adhésion découragée. Le référencement auquel nous a soumis le Ministère de l’Éducation nationale, s’il a permis de conforter l’ancrage de la mutuelle dans son champ socioprofessionnel, a aussi créé un droit de regard de l’employeur public sur la décision des mutualistes et donc sur leur capacité de choisir ce qui est bon pour eux-mêmes. 

D’une toute autre ampleur, avec l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, nous assistons à la généralisation législative des contrats collectifs obligatoires de branche professionnelle ou d’entreprise pour les salariés. Les organismes mutualistes en passeront alors par des appels d’offres aux cahiers des charges définis par les partenaires sociaux.

Comment la mutualité, confinée dans un rôle de prestataire, pourra-t-elle demeurer une composante à part entière du mouvement social ?

Qu’en sera-t-il du premier signe distinctif d’une mutuelle, à savoir la liberté de la personne d’appartenir à une communauté solidaire et de décider du bien commun sur une base égalitaire ?

L’adhésion sollicite un engagement réciproque et responsable de chacun. Elle n’est pas de même nature que la simple souscription d’un contrat.

L’assurance maladie obligatoire : le pilier fragilisé ? 

La MGEN affirme la primauté de la solidarité nationale ; en santé, du régime obligatoire d’assurance maladie dont elle est partie prenante : un système universel garant de l’équité comme de l’efficience. De lois en lois, de désengagements en déremboursements, la prise en charge solidaire se contracte : elle n’est plus que d’un euro sur deux pour tous les soins courants. Cette dérive a progressivement imposé la « nécessité » d’une généralisation de la complémentaire de santé, dont l’ANI donne une première traduction. 

Nous assistons à un changement profond de système, sans le moindre débat public.

Au pilier solidaire fondateur, on en substitue deux, voire trois : une assurance maladie obligatoire de base, une complémentaire obligatoire et, probablement, une supplémentaire pour ceux qui en auront les moyens. Si l’on n’y prend garde, telle est la porte ouverte à tous les désengagements de la Sécurité sociale, à la mécanique, explosive socialement, de l’accroissement des inégalités en santé.

« La protection sociale, c’est le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas », déclarait en octobre 2012 le Président de la République devant le congrès de la Mutualité française. Qu’en sera-t-il demain ? Nous attendons mieux, davantage et différemment. 

L’extinction de « voie » mutualiste ? 

Prolifération et laminoir règlementaires, séparation des activités et banalisation concurrentielle, substitution obligatoire du contrat collectif à l’adhésion individuelle, régression de la solidarité nationale etc., la MGEN est-elle soluble dans ce monde nouveau ?

Questionnée, elle l’est. Ébranlée, parfois. Mais surtout déterminée. Déterminée à agir dans le monde tel qu’il est, pour le transformer. Les contraintes, bien réelles, les défis, redoutables, peuvent aussi révéler et stimuler la réactivité de nos dispositifs, l’adaptabilité de nos organisations, la capacité collective des militants et des salariés.

Depuis les sociétés de secours mutuel d’instituteurs du XIXème siècle en passant par l’institution d’une mutuelle générale et nationale à la Libération, c’est toujours la même ambition qui anime les militants, d’une génération à l’autre : faire de la MGEN un instrument de conquête sociale, de progrès humain qui accompagne les grands défis de la société.

À l’ère de l’industrialisation et de la mécanisation, les familles subissaient une grande précarité lorsque le chef de famille ne pouvait plus travailler, de façon temporaire ou définitive et, a fortiori, s’il disparaissait.

Les premières interventions des sociétés de secours d’instituteurs porteront sur le décès, l’orphelinat, l’incapacité de travail et l’invalidité pour garantir un revenu assurant la sécurité du lendemain. 

Après l’effort de reconstruction, les Trente Glorieuses ont vu progresser de façon spectaculaire les principaux indicateurs de l’état de santé de la population. Au maintien d’un revenu, la MGEN a ajouté son offre de protection, en santé principalement.

Accès aux soins, santé, prévoyance, autonomie, action sociale demeurent des espaces largement ouverts à notre initiative

L’amélioration des conditions de vie, de la médecine et de la santé publique, puissamment accompagnée par la Sécurité sociale, produira d’heureux effets sur la longévité. Dans ce contexte, la MGEN, au tournant de 2010, s’engagera plus avant sur le champ de la perte d’autonomie, de la dépendance. 

En 2013, nous entendons amplifier notre action sur nos champs socioprofessionnels, en lien avec l’employeur public et les organisations syndicales. Nous entendons faire progresser les droits sociaux de nos adhérents et améliorer les réponses que nous leur devons. Accès aux soins, santé, prévoyance, autonomie, action sociale demeurent des espaces largement ouverts à notre initiative.

Nous devons parallèlement être plus attentifs aux « nouveaux » risques sociaux que la mutuelle a le devoir de mieux « prévenir » et « réparer ». Plus d’un nouvel entrant sur deux n’est pas fonctionnaire.

Nos adhérents, aux parcours professionnels instables qui se sont multipliés dans la fonction publique, toujours plus nombreux exposés à la précarité, sollicitent notre attention et notre soutien solidaires. Nous devons être attentifs et présents auprès des jeunes générations confrontées directement aux effets de la crise économique et de la dégradation des mécanismes d’entraide : redonner de l’espoir collectif là où prévalent l’individualisme et le repli sur soi.

Notre ambition première est de conforter et promouvoir le lien mutualiste solidaire pour amortir les conséquences de la détresse des jeunes en difficulté d’insertion,  des aînés en situations difficiles. Nous agissons dans la société. Avec ses atouts et ses aspirations. Les rencontres mutuelles avec les adhérents, organisées sur l’ensemble du territoire, nourrissent notre engagement et notre responsabilité.

Notre responsabilité ne saurait être limitée à une réponse prestataire et de service, pour autant indispensable. Elle est aussi de militer, de revendiquer comme composante à part entière et autonome du mouvement social.

La MGEN s’en réclame par son histoire, par son engagement constant et résolu au service d’une protection sociale de haut niveau, de l’accès à la santé et aux droits sociaux pour tous. Pour la mutuelle, dont l’objet est bien de « favoriser le développement culturel, moral, intellectuel de ses membres et l’amélioration de leurs conditions de vie », le champ des solidarités mutualistes est largement ouvert.

Les militants MGEN sont bien dans leur sujet lorsqu’ils décident d’explorer ces vastes espaces d’intervention. La MGEN seule n’a pas l’ambition téméraire de couvrir la totalité des besoins de protection exprimés. Les convictions mutualistes ne s’affirmant jamais mieux que dans l’union, nous agissons avec d’autres. Apprendre des autres rend meilleur. Tel est le sens fondamental de notre union de groupe Istya et de notre alliance avec la MAIF.

Alors que partout dans le monde s’expriment la vitalité des organisations non lucratives, le besoin de vie démocratique et de progrès humain véritables, la voix mutualiste n’est pas aphone et ses voies sans portée. Notre identité fait notre modernité ».

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