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14 / 12 / 2012 | 229 vues
Gilles Ravel / Membre
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Cession de PME : les risques d’un droit de rachat prioritaire au profit des salariés

La question devrait visiblement venir sur la table après la présentation par la Sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann (PS) devant la commission des affaires économiques du Sénat de son rapport sur « les coopératives en France : un atout pour le redressement économique, un pilier de l’économie sociale et solidaire ».

Ce rapport qui s’inscrit dans le cadre du groupe de travail créé par le Sénat le 22 février 2012 sur l’économie sociale et solidaire s’intéresse aux sociétés coopératives et participatives (SCOP) qui représentaient 3,9 miiliards d’euros de CA pour l’année 2008 et dont le nombre en 2011 était de 2 046 unités avec une création de 91 unités sur l’année 2011 (soit +4,5%). Leur croissance s’expliquerait notamment par le nombre de reprises d’entreprises effectuées sous forme de SCOP. Le rapporteur souligne que la reprise par les salariés présente les avantages spécifiques suivants :
  • une bonne connaissance de l’entreprise qui augmente les chances de survie ;
  • une implication forte du personnel dans la gestion de l’entreprise ;
  • un encadrement de l’utilisation des excédents de gestion en faisant la part belle à l’accumulation des réserves et à une meilleure valorisation du travail grâce à la ristourne coopérative.

Cette efficacité économique des SCOP est mesurable avec un taux de pérennité à 3 ans égal à 71 %, contre 66 % pour l’ensemble des entreprises françaises. À long terme, les SCOP sont également plus solides, 3,1 % des SCOP ayant plus de 50 ans, contre 1,8 % de l’ensemble des entreprises françaises [1].

Droit préférentiel

Fort de ces constats, le rapport préconise d’instituer un droit d’information et de préférence au profit des salariés en cas de cession d’entreprise. Une notification aux salariés de tout projet de cession serait obligatoire, ces derniers disposant d’un délai pour faire part de leur intention de se porter repreneurs et présenter une offre de reprise. Le non-respect de ce droit de préférence entraînerait la nullité de la cession intervenue.

Les freins

S’il est vrai que les dirigeants ont souvent tendance à négliger la piste de la reprise de leur PME par leurs salariés, ce que je déplore, deux explications nous sont fréquemment citées :

  • le risque de perte de confidentialité ;
  • l’insuffisance des moyens financiers des intéressés. Cet argument masque d’ailleurs bien souvent la crainte que l’offre de reprise ne soit sensiblement inférieure à celle que pourrait faire un tiers repreneur, ce qui traduit, dans les faits, une méconnaissance des mécanismes de reprise par le cédant.


Personnellement, j’estime que c’est une des lacunes des dirigeants de PME de ne pas organiser leur société pour qu’elle puisse facilement être reprise par leurs salariés.

Contrairement à ce que beaucoup estiment, 30 % des transmissions de PME se font au profit des salariés (étude Oséo de 2005). Or, seuls 5,1 % des dirigeants envisagent de transmettre prioritairement à leurs salariés. De plus, lorsque des managers salariés sont intégrés au comité de direction, la voie du MBO est ouverte. Le « management buy-out » (MBO) est la technique privilégiée pour une reprise de PME par les cadres avec l’appui des fonds d’investissement qui sont friands de ces opérations qui les rassurent sur la continuité du management. L’association « cadres + fonds d’investissement » offre l’avantage de trouver des financements bancaires bien plus facilement et dans des conditions plus avantageuses que le simple repreneur individuel.

Dans tous mes dossiers, je suis donc parfaitement d’accord pour considérer et donner sa chance à toute velléité de reprise par les salariés et ceci d’autant plus que la reprise d’une PME effectuée par un tiers à l’encontre de quelques salariés clefs en poste peut rapidement tourner court. C’est une question de bon sens. Je me souviens ainsi de la volonté initiale du dirigeant d’une société spécialisée dans les appareillages de détection qui voulait céder son entreprise à une société étrangère en mettant le principal manager opérationnel (responsable de la R&D qui plus est) devant le fait accompli. De façon assez certaine, le projet avait avorté et la transmission a eu lieu via un MBO.


Pour autant l’instauration d’une notification préalable et d’un droit de préférence au profit des salariés est-elle souhaitable ?


Cette idée poserait toutefois plusieurs problèmes, dont les 2 majeurs qui sont :

La perte de la confidentialité

C’est un point crucial dans toute opération de changement d’actionnaires. En effet, une notification des salariés très en amont, comme le préconise le rapport, risque de nourrir les craintes de certains membres du personnel, des banques, des fournisseurs. En outre, les concurrents sont souvent prompts à exploiter ces craintes auprès des clients et « prospects » de l’entreprise en vente. Les dégâts collatéraux seront d’autant plus importants que la solution définitive aura été longue à se mettre en place. Or, il n’est pas rare (surtout dans la conjoncture actuelle) que la construction d’une solution admise par toutes les parties prenantes prenne plus 6 mois. En outre, quelle serait la forme de cette notification précoce ? Comment viendra-t-elle s’intercaler avec la consultation du comité d’entreprise, prévue par l’article L2323-19 Al 2 du Code du travail en cas de cession d’entreprise ? Celle-ci sera-t-elle encore utile si une notification précoce est intervenue ?

  • Au-delà de ces aspects juridiques, je doute de l’utilité réelle d’une telle notification. En effet, en 15 ans de conseil en cession de PME je précise bien, il m’est très rarement (pour ne pas dire jamais) arrivé de mener un processus de cession sans que les quelques managers ou salariés clefs, c’est-à-dire ceux qui seraient déterminants en cas d’offre de reprise par les salariés, ne soient pas au courant des démarches en cours. De par leur position, leur implication dans le fonctionnement de l’entreprise, ces personnes identifient très rapidement des demandes inhabituelles de la part de leur direction (demande de reporting plus précis, reconstitution d’historiques, analyse détaillée de clientèle etc.).

Ainsi, bien qu’en accord avec l’idée de favoriser les schémas de reprise par le personnel, je crains qu’une obligation de notification préalable détaillée ne soit une source de fuite susceptible de fragiliser l’entreprise.

Le risque inhérent à l’utilisation à mauvais escient d’un droit de préférence

En théorie, un droit de préférence… Pourquoi pas ? D’autant que bien souvent une offre de reprise en MBO sera aussi généreuse qu’une offre émanant d’un tiers repreneur (hormis les cas de synergies). Toutefois, l’instauration d’un tel droit sans une étude détaillée de sa mise en œuvre risque rapidement de rendre l’usage très complexe.

  • Si un droit de préférence existe au profit des salariés pourra-t-il y avoir 2 offres de reprise provenant de salariés différents ? 

Quels sont les critères d’octroi de la préférence ? Le prix ? Les modalités de paiement ? Les conditions de garantie ? N'y aura-t-il pas, rapidement, des contentieux sur les critères d’analyse des offres ? Avec, le cas échéant, une tendance à vouloir inclure des critères autres qu’économiques. Par exemple, critères sociaux : conditions de travail, stabilité de l’emploi… Comment les mesurer à l’instant T ? En outre, que se passera-t-il en cas de révision à la baisse de l’offre d’un tiers acquéreur, suite à une due diligence ? Le droit de préférence des salariés s’ouvrira-t-il de nouveau ?

Plus largement, l’instauration d’un droit de préférence au profit des salariés en cas de changement d’actionnaire serait un mauvais signal adressé à tous les acteurs. Sa mise en œuvre, complexe par nature, rendra plus difficiles les opérations de croissance externe entre PME, qui sont pourtant un levier efficace de constitution des E.T.I (entreprise de taille intermédiaire), dont la France aurait pourtant besoin. Ce droit, s’il devenait réalité, ne ferait qu’augmenter la prise de risques de l’acquéreur (sachant que la sanction proposée en cas de non-respect est la nullité de l’acquisition) au terme d’un processus déjà coûteux et complexe.

Enfin, selon la nature de ce droit de préférence, il se pourrait que certains syndicats de la société cible soient tentés de l’utiliser pour s’inviter dans les négociations avec le tiers acquéreur pressenti. On pourrait facilement imaginer un échange assez simple : une renonciation à l’exercice du droit de préférence en contrepartie de l’obtention de certaines garanties sociales… Dans ce cas, le cédant deviendrait le simple spectateur d’un processus qu’il ne contrôlera plus. Gageons que cette situation très hypothétique ne se produise que dans des cas tout à fait marginaux et qu’il y a de très fortes chances pour que non seulement le tiers acquéreur refuse la demande mais qu’il quitte aussi le dossier en redoutant l’état d’esprit des initiateurs d’une telle demande.

  • Pour avoir vécu 2 situations assez semblables en 15 ans, je peux attester que le risque existe. À chaque fois, la situation de départ était identique : quelques salariés étaient devenus actionnaires à l’occasion d’un don d’actions du dirigeant. Aucun pacte d’actionnaires ni aucune clause de « squeeze out » statutaire n’était en vigueur. Lors du processus de cession, les salariés ont voulu négocier leurs actions contre des modifications substantielles de leurs contrats de travail, rendant presque impossible tout licenciement, quelle qu’en soit la raison. Aucun acquéreur n’a donné une suite favorable. Dans les 2 cas, la société n’a jamais pu être vendue et a déposé le bilan quelques années plus tard.


En définitive, la recommandation de l’instauration d’un droit de préférence au profit des salariés en cas de cession d’entreprise émise par le rapport Lienemann, aussi louable soit elle sur le principe, parait créatrice de risques juridiques et économiques substantiels. Il semblerait de loin préférable de former les patrons de PME pour leur donner envie d’impliquer d’avantage des cadres de direction en leur démontrant tous les avantages qu’ils peuvent en tirer tant pour la croissance de leur entreprise qu’en matière de réussite de sa transmission à terme.

[1] Chiffres de la confédération générale des SCOP.

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