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L’intérêt collectif de l’économie sociale en débat sur fond de financements publics
Quelles sont les frontières entre le non-lucratif et le profit limité ? Qu’est ce qu’une concurrence régulée ? Où commence l’intérêt collectif ? Autant de débats qui ont animé les 150 participants au deuxième colloque sur l’économie sociale, organisé le 25 septembre par Force Ouvrière. « L’économie sociale au péril du désengagement de la puissance publique et de la tentation du modèle capitalistique » : l’intitulé du colloque illustrait bien les enjeux du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire annoncé pour début 2013.
- L’occasion de définir les singularités d’un secteur qui représente d’ores et déjà plus de 10 % des emplois en France mais qui s’élargira (au-delà des coopératives, mutuelles, institutions de prévoyance et fondations) à des entreprises « d’utilité sociale à profit limité ». Les définitions s’imposent d’autant plus qu’elles conditionneront des accès privilégiés à la commande publique sur des missions et à des financements fléchés pour l’investissement.
L'État : un payeur aveugle
Les associations sont les premières à pâtir de la transformation de l’État en commanditaire sous-traitant des missions sociales. « La RGPP va changer de nom mais le transfert de l’intervention publique vers le secteur privé va continuer avec la nouvelle majorité », considère Pascal Pavageau, secrétaire confédéral FO. Alors que les cliniques peuvent désormais se voir confier des missions de service public et que les hôpitaux doivent être rentables, Denis Garnier, membre FO du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière confirme : « l’ancienne majorité a mis en place la réforme de la santé, la nouvelle nous l'explique ».
C’est toute la question des cahiers des charges et du suivi des missions qui se trouve dès lors posée. « Il n’y a plus de partenariat avec l’État qui n’appréhende pas la notion de mieux-disant social. Ce qui s’est passé dans l’ouverture des services à la personne est un scandale. Au final, tout le monde est perdant », explique Jean-Louis Cabrespine, président du CEGES (le groupement des employeurs de l’économie sociale) qui précise au passage que 22 000 emplois ont été perdus dans les associations... « La baisse des subventions pèse sur les associations mais c’est surtout la multiplication des financeurs potentiels, et donc des appels d’offres, qui déstabilise », note Nadine Richez-Battesti, enseignante-chercheur à l’Université de la Méditerranée.
Les conditions d’une co-construction des missions d’utilité sociale sont d’autant moins réunies que « les financeurs publics sont en mal de compétences pour établir des cahiers des charges », souligne Agnès Gramain, enseignante-chercheur à l’Université Paris I. Pour François Soulage, président du Secours catholique, « l’État est devenu un payeur aveugle. Il n’y a qu’à voir le nombre de personnes qui nous sollicitent juste pour avoir accès à leur droit. Sur le RSA par exemple ».
Le modèle anglo-saxon
« Si toutes les associations se mettaient en grève, on s’en apercevrait » Le secteur associatif peut certes espérer davantage de subventions de l’Europe. « La crise a un peu érodé l’intégrisme communautaire sur la notion de concurrence. La subvention est davantage admise pour les services sociaux d’intérêt général non économique mais exclusivement en situation de pompier. La plus grosse partie des fonds sociaux va bénéficier aux entrepreneurs sociaux qui raisonnent, quant à eux, en termes de solvabilité. Cela n’a rien à voir avec des entreprises sociales. Le danger est bien là », avertit Laure Batut, membre FO du Comité économique et social européen. La tendance est en marche quand les financeurs publics demandent à des associations de ne plus dépendre de subventions au bout de trois ans. Le risque devient grand de privilégier les personnes solvables au regard de financements exclusivement privés. L’économie sociale française est-elle soluble dans le modèle anglo-saxon en somme ? « Si toutes les associations se mettaient en grève, on s’en apercevrait », en profite pour lancer Béatrice Delpech, déléguée générale de la Conférence permanente des coordinations associatives pour illustrer le poids de ces structures engagées dans une course à la concentration pour survivre par rapport au secteur lucratif.
Course à la taille critique
« Il serait cohérent que les syndicats de salariés soient représentés au Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire » Une tendance à la concentration qui se retrouvent tout autant chez les mutuelles, en quête permanente de la taille critique, dont le futur projet de loi devrait permettre de faciliter l’accès à des financements, notamment au travers de la banque publique d’investissement qui prévoirait une ligne dédiée à l’économie sociale et solidaire. Les coopératives sont elles aussi très attentives à cette nouvelle forme d’investissement socialement responsable qui permettrait notamment de sauvegarder des emplois. « Nous devons créer toutes les conditions pour faciliter la reprise de PME par les salariés au travers des coopératives », témoigne Jean-Philippe Poulnot, du groupe Chèques Déjeuner, l’une des coopératives les plus emblématiques en France. Justement, quelle place pour les salariés de l’économie sociale dans les arbitrages qui vont accompagner ce futur projet de loi ? « Il serait cohérent que les syndicats de salariés soient représentés au Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire », considère Anne Baltazar, secrétaire confédérale FO en charge de l’économie sociale. D’autant que le prochain label social qui devrait permettre l’éligibilité à certains marchés publics ne fera pas l’impasse sur la capacité du secteur à montrer l’exemple en matière d’organisation du travail, avec peut-être à la clef de l’innovation sociale interne.
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