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27 / 08 / 2012 | 10 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« Réinventer » le système de santé : au-delà des constats et des questionnements

Le débat sur le sujet récurrent de la santé et qui s'est accentué au fil des mois, notamment avant l'élection présidentielle, est relancé en cette rentrée  par la fondation Terra Nova, (think-tank, comme on dit en français pour qualifier les cercles de réflexion),  qui vient de publier un rapport disponible sur son site et intitulé « Réinventons notre système de santé, au-delà de l'individualisme et des corporatismes ».

À l'évidence, à l'avant-veille du bouclage du PLFSS 2013, ce rapport n'est pas anodin, d'autant que des personnalités telles que Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de Marisol Touraine, y ont participé. 

Pour ne citer que quelques autres réflexions déjà évoquées dans ces colonnes, celles :

  • du Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie de mars dernier, évoquant différentes options et invitant à une mobilisation sur ces questions ;
  • du groupe de travail santé du Medef sur « la nécessité d'une profonde réforme structurelle » avec, entre autres, l'idée de mise en place d'un système à trois niveaux ;
  • de Pierre Tabuteau,(conseiller d'État et responsable de la chaire santé de Sciences-Po), co-auteur du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, de nombreuses réflexions sur la place et le rôle des complementaires santé et d'un livre co-écrit avec Pierre-Louis Bras (ancien directeur de la Sécurité sociale) sur Les assurances maladies » ;
  • de la MGEN, au travers d'un livre blanc sur la protection sociale, traitant des évolutions nécessaires et définissant une douzaine de propositions pour un nouveau système de santé, un nouveau pacte en faveur d'une assurance maladie solidaire et universelle, et les moyens de garantir son équilibre financier ;
  • de la Mutualité Française, qui a ouvert une large discussion en la matière et engagé un vaste mouvement de sensibilisation et de mobilisation sur le financement de l’assurance maladie obligatoire, sur les rôles respectifs de l’assurance maladie et du régime complémentaire, et sur l’amélioration de la prise en charge des patients, et a déjà formulé un certain de nombre de propsitions concrètes qui seront débattues lors du prochain congrès de la FNMF en octobre prochain.

C'est dire que, sur ce sujet éminemment sensible, le débat, au demeurant indispensable, est « nourri ».
Le rapport de Terra Nova présenté par Daniel Benamouzig, chargé de recherches au CNRS, qui a rejoint le CSO (Centre de Sociologie des Organisations *) depuis 2008, qui est le fruit d'un large travail collectif, part du constat que « souvent considéré comme référence, le système de santé français apparaît comme un des socles du progrès social. Mais cet héritage est menacé : d'abord, et de façon très visble, par l'accumulaion de déficits ; ensuite, et de façon plus profonde, par l'émergence de comportements individuels et l'atténuation des formes d'appartenance collective à partir desquelles avait été conçu le système de santé de 1945 ».

 


À partir de là, il pose un certain nombre de questions...

  • Comment prendre en compte de manière progressiste la vigueur de l’individualisme et l’affaiblissement des appartenances professionnelles ?
  • Comment intégrer au système de santé français des principes si différents de ceux à partir desquels il a été conçu en 1945 ?
  • Est-ce qu’intégrer ces principes équivaut à renoncer à toute forme de solidarité ?
  • Est-ce qu’anticiper le renforcement de l’individualisme et prendre acte du relâchement des liens professionnels implique nécessairement un affaissement de la Sécurité sociale ou un recours élargi au marché ?

Considérant que « le système de santé dispose de toutes les ressources pour surmonter le défi posé par l’évolution des comportements, des formes d’organisation sociales, des mœurs et des valeurs, à condition d’être orienté vers de nouveaux équilibres », les réflexions engagées en fait par Terra Nova depuis fin 2009 conduisent à la formalisation de plus d'une trentaine de propositions, dont certaines risquent bien de paraître assez « décoiffantes », articulées autour de 5 grands thêmes :

  • Lutter contre les inégalités sociales de santé
  • Inscrire la lutte contre les inégalités sociales de santé parmi les objectifs de toutes les politiques publiques (santé, logement, emploi, urbanisme, transport, environnement, énergie…).
  • Définir des objectifs quantifiés nationaux et territoriaux de réduction des inégalités sociales de santé et instituer un dispositif pérenne et non partisan d’évaluation.
  • Suivre et améliorer les conditions de travail des personnes les plus modestes et leurs effets sur l’état de santé physique et psychologique.
  • Surveiller et réduire les barrières financières à l’accès aux soins, notamment en matière d’assurance complémentaire.
  • Veiller à ce que l’état de santé ne soit pas facteur d’exclusion sociale, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques.
  • Intégrer les données et les objectifs de réduction des inégalités sociales de santé dans les systèmes d’information (assurance maladie, hôpital).

Renouveler le modèle de prévention

  • Définir un schéma national pluriannuel de prévention.
  • Rapprocher les administrations en charge de la santé publique et de la prévention des administrations en charge de l’organisation hospitalière et de la médecine ambulatoire à l’échelle nationale et régionale.
  • Prévenir les pathologies sociétales, comportementales ou environnementales à l’aide des divers instruments de prévention : taxe du type pollueur payeur, éducation à la santé, accompagnement social.
  • Redéfinir les missions de la communauté éducative et rapprocher les services de PMI et la médecine scolaire.
  • Améliorer l’accompagnement des troubles précoces et des traumatismes, ainsi que les effets de la fatigue et du stress sur les enfants et les adolescents.
  • Rapprocher la médecine du travail et les services d’inspection du travail pour créer des services régionaux de santé au travail.
  • Rendre publics les résultats et actions d’amélioration des entreprises en matière de santé au travail et moduler leur contribution au financement du service de santé au travail selon leurs actions et performances.
  • Créer une agence exécutive de santé au travail pour coordonner les actions publiques nationales et régionales dans ce domaine.
  • Organiser le recueil et la diffusion des données permettant l’évaluation des conséquences sur la santé des conditions de travail, de logement et d’environnement.

Étendre la couverture maladie

  • Définir une procédure démocratique de définition du panier de soins pour lesquels on veut faire jouer la solidarité.
  • Garantir un haut niveau de prise en charge de ces soins à travers deux stratégies possibles : (1) une extension de la couverture par la sécurité sociale sur le modèle du régime existant en Alsace Moselle, ou (2) une assurance obligatoire complémentaire régulée.
  • Délimiter le champ d’intervention des assurances supplémentaires, par nature privées et facultatives. 

Coordonner les soins

  • Promouvoir la création de maisons de santé dans les zones de faible densité médicale (soutiens aux projets innovants).
  • Diversifier les formes de rémunération individuelle en médecine ambulatoire (paiement à l’acte, à la capitation, à la performance). Interdire les dépassements d’honoraires après diversification des modes de rémunération.
  • Favoriser l’association de médecins libéraux aux fonctions hospitalières et de santé publique, ainsi que de personnels soignants hospitaliers « hors les murs ».
  • Créer des formes de paiement à la pathologie associant la médecine hospitalière et ambulatoire.
  • Renforcer ou créer des filières académiques en médecine générale et en soins infirmiers.
  • Moduler la tarification à l’activité par groupes homogènes d’établissements.
  • Diffuser et intégrer à la gestion des établissements des indicateurs de qualité et des indicateurs sociaux.
  • Renforcer les instances délibératives dans la gouvernance des établissements

Instituer l’État de santé

  • Transférer l’administration du secteur ambulatoire de l’assurance maladie vers l’État, tant à l’échelon national que régional.
  • Renforcer les compétences des agences régionales de santé dans le secteur ambulatoire.
  • Créer une agence exécutive de l’organisation des soins au sein du Ministère de la Santé.
  • Créer une autorité indépendante de régulation de l’assurance complémentaire santé.
  • Rassembler au sein d’une autorité indépendante d’évaluation et de sécurité sanitaire les services de plusieurs agences spécialisées existantes.
  • Créer des chambres régionales de santé.


Nul doute que ce nouveau rapport et ses « contributions » susciteront discussions et réctions et que les différents acteurs concernés y seront attentifs ; le débat sur la protection sociale étant un débat de société majeur qui, pour bon nombre d'entre nous, doit conduire à mettre en œuvre des solutions qui se traduisent par l'instauration d'un système de santé plus juste, plus efficace et plus perenne préservant à la fois une solidarité intergénérationnelle et celle entre les malades et les bien portants.

« Cotiser selon ses moyens et être soigné selon ses besoins » doit, en tout état de cause être la ligne directrice de toute réforme durable.

* Le CSO est une unité mixte de recherche de Sciences-Po et du CNRS.

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Beaucoup de "gesticulations verbales" sans traiter le sujet dans les faits et donc sur le fond. Pour avoir un avis éclaire, vous pouvez cliquer sur le lien ci-dessous: http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/social/sante/221145295/deficit-securite-sociale-est-encore-temps-cibler-vrais-respo