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11 / 05 / 2011 | 3 vues
Bruno Brochenin / Membre
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« Dieu voyage toujours incognito » : un roman noir de la modernité

Retour de lecture de Dieu voyage toujours incognito, de Laurent Gounelle.

En première lecture, c’est un road movie présenté comme un roman-photo

L’intrigue est linéaire et limpide, comme une aventure du Club des Cinq d’Enid Blyton, sans les cinq, ni leur chien. Une tape sur l’épaule donne l’impulsion initiale et l’aventure se déroule. La présentation des quelques personnages prend l’ampleur d’une photo d’identité au format réglementaire. Les séquences se suivent dans des décors s’affichant d’emblée comme autant de clichés tout juste adressés par carte postale du middle-west américain. Lui et elle s’unissent sur un coup de foudre sans état d’âme et se séparent sur un coup de tête. Les tourtereaux se trouvent emportés par des forces occultes entre un homme « tout mal » et un autre « tout bon » : ils se retrouvent fort heureusement dans un happy end à grand spectacle, afin que nul n’ignore la fin ! Ils auront probablement beaucoup d’enfants.

En seconde lecture, c’est un manuel de psychologie pratique tourné avec humour

La bleuette permet au psychologue de mettre en scène une succession de cas de psychologie appliquée à destination du jeune héros qui se cache en chaque lecteur (et non sans cet humour propre à la caricature). Guide pratique du développement personnel, cela se lit aisément, voire avec plaisir. Nul n’était besoin de grossir à ce point la police de caractères et l’interligne pour donner de l’épaisseur au document : la lecture dans le métro eut été facilitée par un format plus compact. À défaut de baguette magique, nous voilà pourvus de notre cape de praticien amateur, l’envie chevillée au cœur de mener nos propres expériences dans la folle aventure de notre boulot-bobo-dodo quotidien. Nous nous doutons que l’apothéose fantasmatique finale n’appartient qu’au conte avec cette vertu inoffensive de nous faire rêver sans nous faire d'illusion. Nous en sortons simplement apaisés, avec la sereine conviction que nous avons au moins la possibilité d’essayer à moindre frais et à petit bénéfice de dissiper la grisaille ordinaire de nos jours ouvrés.

En tierce lecture, c’est un roman noir de la modernité

  • Le spécialiste des sciences humaines, formé en France et aux États-Unis, nous livre un descriptif sans fard des pratiques du recrutement et de la gestion des emplois et des compétences dans l’entreprise contemporaine : blafard.

Les enjeux du pilotage boursier de l’entreprise sont poliment exposés et c’est à proprement parler un miracle qu’il faut invoquer pour les bousculer. Le salarié est un être de solitude, ni plus ni moins que son patron. Le corps social s’est évaporé dans la sphère virtuelle des journaux et des répondeurs téléphoniques, aussi bien au sein de l’entreprise qu’à l’extérieur. Tout empreint de défiance, le post-it se brandit comme l’étendard moderne de la coopération. De collaboration joyeuse et gratuite, spontanée ou activement concertée, professionnelle ou citoyenne, associative, syndicale ou politique, nulle perception, nulle tentation, nulle mention. Il n’y a de rapport que d'homme à homme, dans une pratique strictement manipulatoire, sans alternative entre perdre ou gagner : une forme de lutte de purs esprits, sans arbitre ni témoin, où tous les coups sont permis (une sempiternelle guerre des Jedi et des Sith sans les étoiles). Point de médiation ni de médiateurs. La loi du plus fort a emporté les derniers vestiges de l’autorité publique et de ses représentations pourtant encore visibles dans les westerns d’autrefois, curés, juges ou shérifs. Le monde se résume à une plèbe parquée sur les gradins du POPB, pour la repaître des lambeaux sanglants du vaincu. Quant au débat démocratique et à l’utopie d’un monde meilleur, qui se souviendrait d’espoirs d’un autre âge ? L’épilogue nous renvoie à nos foyers : dormez tranquilles, bonnes gens et terriens béats, ce sont là combats de demi-Dieux. Certains prétendent que Dieu voyagerait toujours incognito : à lire Laurent Gounelle, il semblerait qu’il ne soit plus de ce monde.

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